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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.100 articles.

Affaire Seznec : Interview exclusive de l'historien Michel Pierre.

Tout autant qu’une affaire criminelle, nous sommes ici confrontés à la chronique maintenant séculaire d’un phénomène irrationnel.
Michel Pierre

Michel Pierre...

Historien et auteur du dernier livre sur l'affaire Seznec "L'impossible innocence. Histoire de l'affaire Seznec" paru en septembre chez l'éditeur Tallandier...

A aimablement accepté de répondre aux questions de Liliane Langellier...

Blogueuse et journaliste, animatrice de ce blog "Seznec Investigation".

Qui travaille sur cette affaire Seznec depuis septembre 1992.

Liliane Langellier : Quel est votre impression aujourd’hui après quelques mois de présence de votre livre en librairie ?

Michel Pierre : Il est difficile de tirer des conclusions d’autant que tout s’est arrêté début mars avec la fermeture des librairies. Je n’ai pas encore de chiffre de ventes et c’est un livre conçu pour avoir une vie longue.

            J’ai eu l’occasion de le présenter dans de nombreuses librairies et bibliothèques, d’autres rencontres n’ont pu avoir lieu du fait des circonstances mais de nombreux rendez-vous sont déjà pris à l’automne. Le plus étonnant pour moi est de n’avoir pratiquement jamais rencontré ni hostilité, ni arguments défendant la thèse de l’erreur judiciaire ou de l’innocence de Guillaume Seznec. Comme si le temps avait eu raison d’un certain nombre de bouffonneries longtemps répandues comme l’idée d’une affaire d’État ourdie par des politiciens véreux et couvert par des machinations policières.

            Il y a eu aussi des effets presque émouvants lorsque s’est manifesté, du fait du livre, la parentèle des familles Quéméneur et Pouliquen qui n’avaient jamais osé se manifester jusqu’à présent. Non seulement, leur lointain parent était la victime mais la famille avait aussi été calomniée et salie dans les années 1930 lorsque nait « l’Affaire Seznec ». J’ai aussi souvent rencontré, localement, une longue mémoire peu favorable au condamné mais qui n’osait pratiquement pas s’exprimer.

L.L. : L’affaire Seznec continue…

M.P. Je prends connaissance, bien évidemment, de tout ce qui peut encore paraître sur cette histoire hors norme, en suivant les publications qui deviennent rares et surtout les blogs dont particulièrement le vôtre qui apportent toujours des éléments intéressants.

 

 

L.L. : En relisant récemment la presse de 1924, j’ai été frappée par la mauvaise tenue et l’agressivité de Guillaume Seznec pendant son procès.

 M.P. : Tel qu’on en retrouve trace dans la presse et dans des documents des archives départementales du Finistère, Guillaume Seznec apparaît comme un personnage violent, retors, procédurier, trainant à payer ses factures mais péremptoire pour exiger ce qu’on lui doit et vaguement trafiquant. Lors de l’enquête, de l’instruction et du procès, il s’enferre, se contredit, réagit par des paroles maladroites et tente de susciter de faux témoignages.

            Au bagne, il est un forçat âgé sur lequel l’administration pénitentiaire ne s’acharne pas tout en redoutant qu’il ne s’évade (il fait deux tentatives en ce sens à l’île Royale). Pour une bonne partie des autres bagnards, il n’apparaît pas comme très fiable et ses protestations d’innocence ne sont pas toujours prises aux sérieux, y compris chez certains journalistes se rendant en Guyane dont  le plus fiable d’entre eux, Alexis Danan.

 

 

L.L. : La grande bagarre actuelle est de donner un nom au Charly évoqué par Guillaume Seznec.

M.P. : C’est une bagarre ancienne puisqu’elle commence dès 1926. Personnellement, je m’en tiens à la vérité judiciaire, à celle du procès.

 

 

L.L. : D’après vous, Guillaume Seznec s’est-il fait aider par un de ses amis pour la fabrication des faux ?

M.P. : Vu la maladresse de la frappe pour les actes de vente et l’état de la machine d’occasion qu’il achète au Havre, je pense qu’il a fabriqué lui-même les faux. À l’époque, on avait aussi envisagé une possible complicité de sa femme mais ce point ne fut pas retenu.

L’idée de déposer la valise de Pierre Quéméneur au Havre me semble relever également de l’initiative personnelle. Guillaume Seznec est un solitaire, je ne pense pas qu’il se soit acoquiné avec un ou des complices.

 

 

L.L. : Comment avez-vous  adopté la thèse de la culpabilité de Guillaume Seznec ?

M.P. : En reprenant les documents, en consultant de nouvelles archives et en mesurant les charges pesant sur l’accusé. En découvrant aussi, malgré tout ce qu’on a pu nous seriner, que l’enquête avait été bien menée, l’instruction à charge et à décharge et le procès équitable, ce que l’avocat de la défense, au demeurant brillant quoiqu’on en ait dit par la suite, a reconnu.

            Pour ce qui est du lieu du crime et du cadavre non retrouvé, je partage les conclusions policières et la vérité  judiciaire de l’époque. Les policiers du commissaire Vidal ont fait des recherches sérieuses mais la région de Houdan avec ses bois, ses étangs et ses trous d’eau était difficile à passer au crible. N’oubliez pas que, deux ans auparavant, on avait aussi cherché dans la même région, des victimes de Landru, également jamais retrouvées.

 

L.L. : Que pensez vous des témoignages de Pierre Dectot et de Thérèse Malet que vous n’évoquez pas dans votre livre.

M.P. : Le parti pris du livre était de réaliser une synthèse et surtout de comprendre comment, partant d’un fait divers somme toute presque banal, s’était façonné par moments successifs, une histoire extravagante. J’ai donc volontairement résumé les faits et je n’ai pas mentionné l’ensemble des témoignages, surtout ceux qui m’ont semblé les plus fragiles.

 

 

L.L. : Pensez-vous qu’il y a encore une possibilité de voir arriver une 15ème demande de révision ? Sur quelles bases ?

M.P. : Le temps passe et il me semble difficile de trouver des faits nouveaux après un siècle de recherches et d’hypothèses en tout sens. On sait l’importance de l’opinion publique dans l’affaire et la manière dont l’idée de l’erreur judiciaire s’est distillée par des médias n’y connaissant rien, des avocats sincères ou en quête de notoriété et des hommes ou femmes politiques naviguant sur l’émotion. Il faut toujours en revenir aux conclusions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en décembre 2006 dont les magistrats ont très majoritairement, rejeté la demande de révision. Pour toute personne s’intéressant à cette affaire, c’est la lecture la plus recommandée et disponible aisément sur internet.

            Pour ma part, c’est justement cette folie médiatique que j’ai tenté d’analyser avec toutes ses implications idéologiques, sociales, locales et nationales. Tout autant qu’une affaire criminelle, nous  sommes ici confrontés à la chronique maintenant séculaire d’un phénomène irrationnel.

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