Les différentes phases de l’enquête démontrent ensuite que le télégramme du 13 juin est un faux envoyé par Seznec du Havre, jour où il y achète également une machine à écrire comme des nombreux témoins l’affirment à la police. Machine ayant servi à taper les promesses de vente qui s’avèrent être des faux. La découverte de cette même machine dissimulée dans une pièce de la scierie lors d’une perquisition effectuée le 6 juillet finit d’accabler l’inculpé par ailleurs incapable de fournir des alibis pour les journées du 13 et du 20 juin où, par contre, nombreux sont les témoins à l’avoir vu et reconnu soit au Havre, soit dans les trajets en train, aller-retour, menant de Bretagne en Normandie via Paris.
L’instruction
L’instruction scrupuleusement menée à charge et à décharge est peu favorable à l’inculpé qui tente, de plus, depuis sa prison de Morlaix de faire passer frauduleusement à sa femme des messages lui expliquant comment et à qui s’adresser pour susciter de faux témoignages en sa faveur. Certes, le corps de Quéméneur n’est pas retrouvé et Seznec clame son innocence à l’instruction mais c’est insuffisant pour le disculper. Les preuves accumulées et le mobile avéré de s’emparer frauduleusement d’une partie des biens de Quéméneur l’emportent sur l’absence de cadavre de la victime qui, pour l’opinion d’alors, incite à imaginer son habileté à faire disparaître un corps plutôt que toute autre hypothèse. Il est vrai que, deux ans auparavant, lors du procès ayant mené Landru à la guillotine, il manquait huit corps jamais retrouvés sur les onze disparitions recensées…
Le procès en cour d’assises qui se tient à l’automne 1924 à Quimper, se conclut par une condamnation aux travaux forcés à perpétuité de Guillaume Seznec, sans qu’aucun chroniqueur judiciaire d’une presse tant locale que nationale (qui s’est déplacée en force pour l’événement) ne mette en cause la tenue des débats ou le jugement rendu.
La fabrication d’un mythe
Ce n’est que quelques années plus tard qu’une étrange coalition se met en place pour mobiliser l’opinion publique en dénonçant une erreur judiciaire ayant envoyée un innocent au bagne de Guyane. Tout part d’un ancien juge d’instruction sujet à des troubles mentaux, d’une institutrice de Riec-sur-Belon, représentante locale de la Ligue des Droits de l’homme et d’un hebdomadaire de Rennes, La Province, s’affichant « antisémite et antimaçonnique » et pour qui tout est bon pour attaquer les autorités.
Cet attelage hétéroclite parvient à mobiliser des auditoires considérables en une forme de fabrication d’une « affaire Dreyfus à la bretonne » alors que de premières demandes en révision basées sur des hypothèses farfelues ne donnent aucun résultat.
Les choses se tassent par la suite puis ressurgissent au retour de Guillaume Seznec du bagne en 1947, gracié l’année précédente, non pas individuellement par le général de Gaulle comme le dit la légende mais par un décret signé de Félix Gouin et concernant globalement les quelques centaines de forçats encore présents en Guyane.
Un déferlement médiatique
Avec ce retour et ayant compris que le thème du « martyr innocent » envoyé en Guyane garantit de beaux tirages, on assiste à un véritablement déferlement médiatique que la mort de l’ancien bagnard en 1954 fait peu à peu s’étioler. De nouveau, aucune tentative de révision alors effectuée pour des motifs où l’invraisemblable le dispute à l’absurde ne peut aboutir.
En 1967, une émission de « Cinq Colonnes à la Une » animée par le chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher relance l’affaire, sans rien apporter de nouveau. Il en est de même vingt plus tard lorsque Denis Le Her, petit-fils de Guillaume Seznec par sa mère, apparaît sur la scène médiatique et sait attirer l’attention des médias.
Demande de révision accordée en 2005
À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, des ministres de la Justice successifs, soucieux de satisfaire à bon compte l’opinion publique, vont tout faire pour faciliter une demande de révision finalement accordée en 2005. L’année suivante, 33 magistrats de la Chambre criminelle de la Cour de cassation reprennent le dossier et, à la grande stupéfaction de beaucoup, conclut, fort logiquement, qu’il n’y pas lieu de réviser le jugement de la cour d’assises de Quimper de 1924. De fait, le seul document qui vaille sur les extravagances des décennies précédentes est la lecture des quarante pages de l’arrêt porté par une très large majorité des magistrats de la Chambre criminelle ( Affaire Guillaume Seznec . 05–82.943 Arrêt n° 5813 du 14 décembre 2006 ).
Qu’importe ! Les thèses farfelues expliquant pourquoi on a condamné un innocent au bagne reprennent de plus belle. Robert Hossein y participe en créant une pièce de théâtre en 2010 que la télévision retransmet. Appelés à voter, le public des représentations théâtrales et les téléspectateurs d’un soir votent l’innocence à près de 95% des suffrages avec le même engouement et les mêmes procédés menant, en d’autres temps, à la condamnation de suspects. Mais il est vrai que c’est moins grave de déclarer un coupable innocent que de faire l’inverse…
Il était une fois dans l’Ouest
De plus, l’affaire Seznec est la rencontre parfaite d’une famille incarnée (le grand père, la fille, le petit-fils), d’un territoire pittoresque (la Bretagne), de théories complotistes (la fameuse Cadillac aurait été destinée à un gros marché vers l’URSS à travers des hommes politique hauts placés et corrompus) et donc de machination policière (le fait que Pierre Bonny ait été, en 1923, l’adjoint du commissaire chargée de l’enquête, devenu par la suite un policier stipendié par les Allemands, a permis de bien délirantes supputations).
Depuis, le rouleau compresseur d’une forme de croyance irraisonnée en une erreur judiciaire a continué sa course folle sans que plus personne ne sache vraiment de quoi il s’agit. Comme disait Einstein : « la définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer des résultats différents ». Mais comme le disait aussi le journaliste à la fin du western de John Ford L’Homme qui tua Liberty Valance, « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ».