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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.100 articles.

Papier d'ambiance. Paris 1922. La nouvelle capitale des Russes blancs.

Pour élever le niveau du débat sur l'affaire Seznec...

Qui est tombé bien bas...

Je vais vous proposer plusieurs papiers dits d'ambiance.

Pour mieux comprendre dans quelle atmosphère a pris place l'affaire Seznec.

On a beaucoup parlé des Sammies et de Pontanézen...

On va parler aujourd'hui des Russes blancs.

En 1923, Paris est envahi par les Russes blancs...

Mes parents, habitants de Boulogne-Billancourt, ont connu cette folle époque.

Boulogne, c'était aussi, c'était surtout la ville de l'usine Renault.

Que l'on avait fini par appeler Billankoursk.

Et où mon père a débuté comme groom, à l'âge de 11 ans, en 1920. 

Les russes blancs sont partout.

Ils avaient quitté terre et fortune.

Seuls les Bolcheviks dominaient la Russie.

Vers la fin 1922, ils ont reconquis la majorité du territoire qui allait devenir l'URSS.

Dois-je vous rappeler ici que Sidney Reilly a commencé sa longue carrière d'espion en dénonçant les étrangers ?

"Instruit, discret, celui dont la devise latine sera sa vie durant « Mundo Nulla Fides » (ne se fier à personne), collectera pour le Yard des renseignements sur les exilés politiques et immigrants, infiltrera des mouvements criminels ou anarchistes russes, devenant très vite pour Melville « l’homme qui sait tout."

LA NOUVELLE CAPITALE DES RUSSES BLANCS.PARIS 1922
 
Nous reproduisons ici l'article intitulé "La nouvelle capitale des Russes blancs.
PARIS 1922" paru dans le mensuel HISTORIA (01/03/2009 – 747)
sous la plume de monsieur Alexandre Jevakhoff.

 
Chassés par la révolution d'octobre 1917 et par la guerre civile qui s'ensuit, de nombreux exilés se réfugient en France. À Paris, ils se fixent dans quelques quartiers. Suivez le guide.

Les premiers sont partis au lendemain de la révolution de février 1917. Encore peu nombreux, ils se sont éloignés vers le sud de la Russie : l'Ukraine ou le Caucase, ou de l'autre côté du golfe de Finlande. Avec le coup d'État bolchevique d'octobre 1917, le mouvement d'exil s'est emballé. Tous ceux qui ne correspondaient pas aux critères bolcheviques ont rapidement été confrontés à un choix des plus simples : rester, avec le risque de l'exécution sommaire, de la prise d'otages, de l'emprisonnement, de la torture entre les mains de la Tcheka et, dans tous les cas, d'un inexorable bouleversement de leur vie ; ou partir, quitter la Mère-Russie avec l'espoir d'un prompt retour. Car, croyaient-ils, les Alliés (principalement Britanniques et Français) ne pouvaient laisser la Russie aux mains des bolcheviks et les armées blanches finiraient par triompher des rouges ; deux espoirs également vains. En novembre 1920, le général et baron Petr Nikolaïevitch Wrangel évacue la Crimée et transporte dans des conditions inimaginables 145 000 militaires et civils, hommes, femmes, enfants, vieillards, jusqu'à Constantinople.

Combien de Russes ont fui leur patrie à l'époque ? La réponse a de quoi effrayer un expert-comptable, tant les estimations sont variées et délicates : 5 millions, comme l'annonçait le grand-duc Kirill Vladimirovitch ? De 1,5 à 2 millions ? Lénine ne mentait pas trop, même s'il a vraisemblablement rehaussé le nombre des émigrés. Proposons donc entre 1 et 1,5 million.
Ni Paris ni la France ne représentent la destination première de ces Russes - rassemblés sous le vocable général de « Blancs ». Tout au long de la guerre civile - c'est-à-dire entre fin 1917 et fin 1920 -, un grand nombre choisit de rester aussi près que possible de leur patrie. Ce n'est qu'à partir de 1922-1923 que Paris devient, sinon la capitale de l'émigration russe, du moins une de ses places fortes. D'ailleurs, Paris n'est pas la seule ville de France à attirer des Russes blancs. Certains choisissent Nice et la Côte d'Azur avec l'espoir de retrouver le parfum des années fortunées ; d'autres vont partout où la France meurtrie par la Première Guerre mondiale a besoin d'hommes courageux : en Normandie, dans les usines métallurgiques ; dans le Nord et dans l'Est, pour « désobuser » les champs de bataille ; dans le sillon rhodanien et ses vallées chimiques ; dans le Sud-Ouest agricole, et même au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Mais retour à Paris, haut lieu de la diaspora russe.

 

L'ambassade de Russie

Situé 79, rue de Grenelle, dans le 7e arrondissement, à quelques minutes du Quai d'Orsay, siège du ministère des Affaires étrangères, l'hôtel d'Estrées abrite alors la résidence de l'ambassadeur et la chancellerie. L'ensemble a de quoi décevoir les Parisiens convaincus des extravagances russes : une architecture modeste, une harmonie sobrement élégante.
Après février 1917, le gouvernement provisoire a nommé à Paris un représentant qui a tout pour séduire la République française : Vassili Maklakov est un avocat célèbre, député à la Douma et franc-maçon. Le coup d'État bolchevique ne change rien à sa situation : Paris, Londres, Rome ou Washington ne se précipitent pas pour reconnaître le nouveau pouvoir à Moscou. Maklakov reste donc rue de Grenelle. Il est secondé par sa soeur et fait de l'ambassade une sorte de carrefour de l'émigration russe. Les contacts avec les diplomates français passent par lui, tout comme l'aide aux émigrés et l'organisation de la « vie russe ».
Cette situation originale dure jusqu'à l'automne 1924, quand le Cartel des gauches reconnaît le gouvernement soviétique. L'heure est venue pour Maklakov de quitter l'ambassade, ce qu'il fait non sans emporter un certain nombre d'objets qui auraient bien intéressé les hommes de Moscou : les archives de l'Okhrana [Section de sécurité], la police politique tsariste qui disposait d'un bureau à Paris, en plein accord avec les autorités françaises. Maklakov prétend avoir brûlé ces documents particulièrement sensibles. En fait, l'ex-ambassadeur les a stockés dans des malles qu'il propose au gouvernement français. Déçu par l'atermoiement de ses interlocuteurs, Maklalov se tourne alors vers le gouvernement américain : les archives de l'Okhrana franchissent l'Atlantique.
Quant aux autres objets emportés par Maklakov, il faudra attendre la dernière étape de cet itinéraire pour les retrouver. Bien qu'ayant perdu son statut diplomatique, l'ancien ambassadeur ne disparaît pas. Il présidera l'Office central des réfugiés russes, l'interlocuteur dorénavant attitré entre l'administration française et les Russes blancs.
Privés de leur nationalité russe par les bolcheviks, les émigrés se retrouvent dans une situation complexe. Soit demander la nationalité française, ce que très peu font - car c'est renoncer à tout espoir de retour -, soit rester apatrides et bénéficier du passeport Nansen, du nom de l'explorateur norvégien chargé par la Société des nations de trouver une solution pour les Russes, comme pour les Arméniens. Apatride devient donc un statut, mais singulièrement précaire : de quoi occuper l'ex-ambassadeur Maklakov jusqu'à la fin de sa vie.
Les Soviétiques prennent possession de l'hôtel d'Estrées. Pour les Russes blancs, comme pour les Français antibolcheviques, le bâtiment devient un lieu fantasmatique : le repaire des mauvais coups ourdis par les agents secrets envoyés par Moscou. C'est effectivement dans une aile de l'hôtel que s'installent les représentants à Paris de la GPU [la Guépéou, Direction politique d'État]. Ils ignorent que la Sûreté générale a accès à une bonne partie des informations échangées avec Moscou…

La cathédrale Nevski

Il faut franchir la Seine et approcher de la place de l'Étoile pour découvrir la rue Daru. Depuis 1861, face à la rue de la Néva (ex-rue Pierre-le-Grand) se dresse l'église Saint-Alexandre-Nevski. Dans le ciel de l'émigration russe, ses coupoles dorées surmontées de la croix orthodoxe scintillent sans pareil.
Avec la révolution et ses drames, la guerre civile et ses horreurs, la politique de persécution engagée par les bolcheviks contre l'Église, les prêtres et les croyants, avec l'exil, les Russes redécouvrent une pratique, sinon une foi, qui s'était affadie. L'intelligentsia russe, par essence, était sceptique, et même une partie de la bonne société trouvait l'orthodoxie, par trop engoncée dans un dialogue institutionnel avec l'autocratie. Alors, la pratique se confondait souvent avec un certain formalisme. Celui-ci n'a pas disparu, particulièrement à la cathédrale, dont les registres de baptême, de mariage et de funérailles déclinent le Bottin mondain de l'Empire russe.
Mais ceux qui se précipitent dans l'église, qui emplissent le jardin à la nuit pascale jusqu'à déborder sur le trottoir, vers le restaurant et la librairie russe opportunément ouverts à proximité, ne viennent pas là uniquement pour être vus. Ils cherchent un réconfort individuel et collectif, une réponse spirituelle, une identification nationale. La cathédrale est devenue le porte-drapeau d'une Russie décidée à opposer ses valeurs au bolchevisme. Moscou n'est pas la dernière à le réaliser : dès leur régime reconnu par la France, les bolcheviks réclament la propriété de la cathédrale, au prétexte qu'ils sont juridiquement héritiers du gouvernement impérial. Les tribunaux parisiens leur donnent tort, en reconnaissant les droits de l'association paroissiale.
Au début des années 1930, six paroisses dans la capitale et autant dans les communes avoisinantes (Boulogne, Clamart, Meudon, Chaville et Saint-Cloud) font de Paris le centre d'émigration russe le mieux doté en églises orthodoxes.
Sans oublier, à l'ombre des Buttes-Chaumont, au 93, rue de Crimée, dans le 19e arrondissement, l'Institut théologique Saint-Serge. La renaissance orthodoxe et les premiers pas de l'oecuménisme doivent beaucoup à cet institut fondé en 1925. À l'origine, il s'agissait d'un temple protestant destiné à des ouvriers allemands. Bien ennemi, le temple est mis en vente après la guerre. Pour l'acheter, la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski fait appel à la générosité de ses ouailles ; elle ne suffit pas et il faut un prêt accordé par un entrepreneur russe juif pour emporter l'enchère. Une église toute de bois vêtue, comme celles qui peuplent par milliers les campagnes russes, un atelier pour fabriquer les cierges, un dispensaire et le fameux institut : Saint-Serge entre dans la légende de l'émigration russe et la longue montée qui conduit de la rue de Crimée à l'église perchée sur la colline ouvre aux séminaristes les portes de leur nouvelle vie.

 

Paris-Ouest et "Billankoursk"

Le restaurant Talisman, avenue de « Souffren » [Suffren] ; le restaurant Tchaïka, rue Laure-Surville ; le Conseil unifié du Don, du Kouban et du Terek, rue François-Coppée ; l'Union des anciens de Gallipoli, rue Mademoiselle ; l'Office central des réfugiés russes, rue de l'Abbé-Groult ; Pétrossian, alors place Saint-Charles ; la Ferme laitière russe, rue Lakanal ; le Basket-Ball Club russe, rue Lacretelle ; l'Association des chauffeurs et ouvriers russes de l'industrie automobile, rue Saint-Charles, à proximité de la rivale Union générale des chauffeurs russes, rue Letellier, sans oublier trois églises consacrées dans les années 1930 : le 15e arrondissement est bien le quartier russe de Paris. Pourtant, dans son livre La Russie en exil , écrit en 1930, Jean Delage ne place cet arrondissement qu'en deuxième position, avec 4 200 émigrés, soit 300 de moins que le 5e et un peu plus que les 6e et 11e (4 000). Avec les communes périphériques, Delage compte 53 000 émigrés russes. En 1921, le préfet de police en recensait 23 500 à Paris.
Les chiffres importent peu face à la marque qu'imprime l'émigration russe à cet arrondissement du sud-ouest parisien, face à l'harmonie qui s'instaure entre les Russes blancs et ce quartier populaire, bon marché, actif et situé à portée de marche des usines Citroën, Peugeot et Renault. Entre 4 000 et 5 000 Russes blancs travaillent chez Renault, c'est-à-dire environ un salarié sur six ! Ce qui explique pourquoi Boulogne-Billancourt, siège de Renault, gagne le surnom de « Billankoursk », sorte de village russe transplanté sur les bords de la Seine. Mais « Billankoursk » et le village du 15e ne se confondent pas. Boulogne, c'est le petit peuple. Tandis que le 15e...
Car, émigration ou non, la société russe garde divisions et hiérarchie. Et là, le 16e en impose à tous. C'est dans ce quartier récent de Paris que s'installent la princesse Paley, épouse morganatique du grand-duc Pavel Alexandrovitch assassiné par les bolcheviks, la fille aînée de Raspoutine et l'Union de la garde impériale. Cet arrondissement joliment construit séduit également Aleksandr Fedorovitch Kerenski (chef du gouvernement provisoire entre juillet et octobre 1917), ainsi que les industriels et banquiers russes. Ainsi, l'Association des financiers, industriels et commerçants russes a-t-elle son siège rue Nicolo, à côté des Associations d'avocats et d'ingénieurs et de la Commission pour la reconstitution de l'industrie minière et métallurgique de la Russie méridionale. Sans surprise, la franc-maçonnerie russe se regroupe dans le même quartier, rue de l'Yvette. Les habitants du quartier prennent l'habitude d'entendre le parler russe dans ses rues, jusqu'au lycée Janson-de-Sailly, un des premiers à enseigner la langue de Pouchkine.

Pigalle et ses cabarets

Partout, les Russes blancs forment ce que Nabokov appelle des « colonies denses ». À l'en croire, ni le temps ni l'envie ne poussent l'intelligentsia russe à se mélanger avec les indigènes. Le snobisme de Nabokov mis à part, les Russes blancs restent effectivement entre eux. La conviction, les premières années, du caractère éphémère de l'exil, l'impression de supporter plus facilement entre soi les contraintes de cette nouvelle vie, la découverte d'une France qu'ils croyaient bien connaître et qu'ils trouvent bien plus complexe... Alors, les naturalisations et les mariages mixtes sont rares ; restent les contacts professionnels et la vie quotidienne pour établir des passerelles entre les uns et les autres. Même la police française, qui tente de contrôler une infiltration soviétique, est en difficulté pour pénétrer le milieu russe blanc.

Il faut attendre la fin des années 1920 pour que deux romans écrits en français entrouvrent l'univers de l'émigration russe. Coup sur coup, Joseph Kessel publie Nuits de Princes et Irène Némirovsky David Golder . La jeune femme livre son milieu, celui d'un banquier israélite dont la fortune est exploitée par sa femme et son entourage. Quant au journaliste, né en Argentine en 1898, issu d'une famille israélite ayant quitté la Russie au XIXe siècle, il décrit « les princes avilis, les grandes dames vendant des fleurs, les officiers de la garde et les amiraux de la flotte impériale devenus serveurs, cuisiniers, portiers ». Nuits de Princes débute dans une petite rue de Passy - encore le 16e -, mais le coeur du roman se passe à Pigalle.
Entre les rues Pigalle et Fontaine flambent le Yar, la Troïka et le Château caucasien, trois restaurants russes, trois salles de spectacles tziganes et caucasiens. Les Russes blancs qui en ont encore les moyens retrouvent les habitudes pétersbourgeoises et moscovites, mais la clientèle est surtout composée de Français ou d'étrangers qui repartent enivrés, au propre et au figuré, à l'idée d'avoir côtoyé l'élite déchue de la société russe.
Les deux romans ont tellement de succès qu'ils sont portés au cinéma : le Grand Palais sert même de studio à la scène de cavalcades cosaques imaginée par Kessel. Ainsi s'installe, dans l'opinion française, l'image d'une émigration russe où tout le monde ou presque était prince, général ou cousin du tsar, où tout le monde est devenu alcoolique, drogué ou débauché. Sans oublier les grands-ducs chauffeurs de taxis et les héritières mannequins. Kessel se défendra en présentant son roman comme un hommage rendu à des personnages qui lui « ont donné une autre mesure de l'existence ».

 

Les taxis russes

Près de 3 000 taxis russes ont sillonné les rues parisiennes !

En 1917, la révolution d'Octobre jetait hors des frontières de ce qui allait devenir l'URSS des centaines de milliers de réfugiés, dont beaucoup appartenaient à la noblesse, et surtout à l'armée russe. Ils se sont installés, en France, dans les grandes villes et sur la Côte d'Azur. A Paris, ils sont devenus, pour quelques milliers, ces fameux chauffeurs de taxi qui firent longtemps partie du folklore de la capitale.

" Dans les années 30, il y en avait plus de trois mille, dit André Korliakov, qui termine un livre sur l'immigration russe en France. 80 % Près de 3 000 taxis russes ont sillonné les rues parisiennes étaient d'anciens militaires et, parmi eux, il y avait de nombreux officiers supérieurs de la garde impériale. Ils avaient une excellente éducation, mais leur seule profession était la guerre. Or, ils savaient conduire, certains même avaient participé à des rallyes. C'est pourquoi ils se firent chauffeurs de taxi
. "

 

 

« Durant les vingt glorieuses, de 1919 à 1939, avec près de 45.000 russes installés dans la capitale et sa proche banlieue, Paris devient le pôle d’attractions de toute la diaspora russe. » D’où le cliché du prince russe chauffeur de taxi : « ce nomade urbain toujours en déplacement, qui joue un rôle très important au sein de la communauté en exil : il transporte les nouvelles en même temps que les clients, il relie entre eux les différents "villages russes" - Asnières à Boulogne, Clichy à Meudon, il conquiert la ville et colonise les territoires limitrophes, les banlieues où l’exilé, avec un bouleau et un lilas, se recrée un semblant de terre russe »
 



« Avant-guerre, devenir taxi, c’était avant tout échapper à l’usine, à l’atelier. C’était aussi quitter les petites villes de province pour Paris, la capitale de la diaspora russe, où l’on avait plus de chances de retrouver des amis, des connaissances, et où existait un réseau d’entraide bien structuré. L'accès à la profession était encouragé par les représentants de la communauté russe, qui organisaient des cours du soir, publiaient des manuels en russe : pour de nombreux jeunes, jetés dans la tourmente de la guerre sans avoir eu le temps de terminer leurs études ou d'acquérir une formation, ce métier représentait la seule possibilité de promotion sociale » « Les critères d’embauche étaient sévères, les grands garages – la G6+1 en particulier – se montraient très pointilleux sur l’honnêteté : leur réputation était en jeu, il ne devait y avoir aucune réclamation ou plainte de la part des clients, ce qui explique la préférence accordée aux Russes que leur éducation et leur situation précaire incitaient à une conduite exemplaire à tous égards. »
« De 1926 à 1936, le nombre de Russes enregistrés dans la profession a plus que doublé, ce qui témoigne bien d’un enracinement dans cette activité »

 

Hélène Menegaldo note avec ironie :
"Dans l'entre-deux-guerres, les chauffeurs de taxi deviennent un "type" parisien, au même titre que les rapins de Montmartre. ou les concierges sur le pas de leur porte. On les retrouve dans les romans de gare, au cinéma même, car ils sont tous princes ou grands-ducs déchus, chassés par la révolution de leurs riches demeures où ils faisaient marcher au knout une armée de moujiks barbus... Ainsi les mythes naissent-ils du pavé parisien..."

Hélène Menegaldo : Les Russes à Paris : 1919-1939 Editions Autrement 1998, page 155

Maurice Privat, le père spirituel de la théorie du complot, en pages 73/74/75 :

"Après la guerre et la révolution l'immense Russie manquait de tout. Il lui fallait des produits chimiques et de la verrerie, de la quincaillerie et des autos, des appareils téléphoniques et des lampes électriques, des vêtements et des vivres. Elle avait envoyé des émissaires en Angleterre, en France, en Italie, aux Etats-Unis, pour ce ravitaillement forcé qui attirait tous les mercantis de la planète. Les envoyés du paradis rouge étaient entourés d'une garde de courtiers marrons qui les faisaient participer à leurs bénéfices. Qu'importait d'abandonner vingt sur une fourniture, à celui qui la procurait : on élevait le prix en conséquence. Les intermédiaires grouillaient comme crapauds après la pluie. Les réceptionnaires étaient coulants, pourvu qu'on leur fermât les yeux. Les mercantis proposaient des bidets et des serviettes, des seringues et des acides. Tous les rossignols étaient bons. Les autos provenant des stocks s'entassaient en de vastes camps aux portes de Paris, de Nantes, de Bordeaux, de Marseille. On ne se préoccupait pas des pièces de rechange ni de l'état des moteurs. La consommation importait peu : les naphtes de Bakou fourniraient l'essence.

Des émigrés servaient de porte-paroles entre les acquéreurs officieux et les traitants rusés, féconds en ressources, appuyés sur des banques plus ou moins véreuses. Ils s'enrichissaient en vingt-quatre heures. Ils faisaient à chacun sa part et n'oubliaient pas les agents des Soviets. Car la Russie sera toujours la Russie. Les grands ducs la pillaient. Leurs successeurs ont les mêmes appétits. Dans l'agence commerciale des Soviets, rue de Bassano, dont le concierge était inspecteur de la police judiciaire et surveillait les allées et venues, dix signataires de contrats au moins se sont largement enrichis. Ils ont préféré ne pas aller rendre des comptes à Moscou. Vingt autres ont dû rendre gorge et expier en Sibérie.

Ces trafics étaient évidemment surveillés par la Sûreté générale qui comptait des indicateurs dans ces fournisseurs à tout faire. Quantité de négociations furent entreprises sous son contrôle. Tandis que le commerce honnête s'éloignait de ces tractations, considérait les Soviets avec défiance, les bricoleurs, les fricoteurs, les fantaisistes trafiquaient.

Une longue impunité les couvrait. N'avaient-ils pas procuré des wagons quand le ravitaillement en manquait et mis les stocks américains au pillage ? Autour de Guipavas, ceux de Brest, des officiers yankees, vendaient des Ford neuves trois mille francs, un side-car complet trois cents francs, une machine à écrire cent francs. Des loustics traitaient avec eux dans les cafés et n'étaient pas las de ces voleries. Le gouvernement français acquit, sans inventaire, les camps de l'armée alliée. Ses représentants se doutaient-ils que les meilleures marchandises avaient été enlevées ? Si on avait dû remporter ces amas hétéroclites un scandale monstre aurait pu éclater aux Etats-Unis.

Les écumeurs fournissaient alors les Russes."

Quel rapport entre nos taxis russes et nos deux protagonistes de l'affaire Seznec, me direz-vous ?

Et bien...

Si l'on suppose que Pierre Quémeneur a pris un taxi avant et pendant son séjour parisien...

Oui, si, par le plus grand des hasards, Guillaume Seznec l'avait conduit en Cadillac jusqu'au Pont de Saint Cloud..

Il lui fallait bien prendre un taxi pour gagner Montparnasse...

Et, il avait de grandes chances de tomber sur un taxi russe.

Qui, au vu de l'heure tardive, aurait pu lui proposer de l'emmener dans l'un de leurs cabarets à Pigalle...

Et puis...

Dans les années vingt...

Ernest Ackermann et François Le Her ont bossé chez Renault, non ?

Donc, à Billankoursk. 

Et ils n'ont pas pu ne pas en fréquenter des Russes blancs, et leurs taxis, isn't it ?

 

Liliane Langellier

 

 

Papier d'ambiance. Paris 1922. La nouvelle capitale des Russes blancs.
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