Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.100 articles.

Georges Claretie dans Le Figaro du vendredi 24 octobre 1924...

« Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne. »
Colette

Voilà ce que les lecteurs du Figaro ont pu lire en première page de leur journal du vendredi 24 octobre 1924 :

 

« La mystérieuse disparition de M. Quemeneur.

Les débats s’ouvrent aujourd’hui.

……………………………….

C’est une bien mystérieuse et bien dramatique affaire que va juger aujourd’hui la Cour d’assises de Quimper. La justice croit tenir l’assassin mais elle n’a pas retrouvé la victime.

Deux amis partent de Morlaix pour Paris en auto. L’un d’eux revient seul, et on l’accuse d’avoir assassiné son camarade en cours de route. Il se défend mal, il ment, il commet des faux pour faire croire à l’existence du disparu alors qu’on le recherche. Tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a fait forme des présomptions terribles de culpabilité, mais il manque le cadavre. Il est vrai que, dans l’affaire Landru, il en manquait onze, et Landru était bien coupable.

A Morlaix habitait un négociant en bois, M. Quemeneur, qui avait été conseiller général. Il était en relations d’affaires avec le propriétaire d’une scierie, Seznec, âgé de quarante-six ans, ancien cafetier, ancien épicier, ancien marchand de bicyclettes, qui avait une réputation très douteuse. Le 25 mai 1923, Quemeneur annonce qu’il va à Paris pour quelques jours, afin de traiter une affaire que Seznec lui a proposée : acheter des automobiles et les revendre en Russie. Le 22 mai, il s'est procuré 10,000 francs pour cela. La somme n’est pas suffisante, et son beau-frère, M. Pouliquen, notaire, doit lui envoyer 60,000 francs par chèque à Paris, poste restante. Il annonce son retour pour le 28. Tous deux partent en auto, dans une Cadillac.

Le 28, Seznec rentre seul. « Où est Quemeneur ? » lui demande-t-on. « A Paris. Je ne sais où. Peut-être même en Amérique. L’auto ayant eu des pannes, il m’a quitté à Dreux et a pris le train. A Paris, il a dû voir un sieur Chardy ou Sherdy, qui habite 6 boulevard Malesherbes. »

Quemeneur ne revient pas. Sa famille s’inquiète, dépose une plainte. Alors, la sœur de Quemeneur reçoit du Havre un télégramme : « Tout va bien. Rentrerai quelques jours – Quemeneur. » Cette dépêche inquiète davantage, et on interroge Seznec, le compagnon de voyage.

Or, chacune de ses réponses va être un mensonge. Ce Chardy ou Sherdy qu’il indique comme ayant vu Quemeneur à Paris, n’existe pas. Son adresse, 6, boulevard Malesherbes, est simplement le bureau de poste où Quemeneur devait aller retirer les 60.000 francs.

Quemeneur ne peut avoir quitté Seznec à Dreux pour aller à Paris, car Seznec a conservé la valise de son ami. En effet, au Havre, à la gare, la police retrouve une valise qui appartenait à Quemeneur. Et Seznec est allé au Havre, et personne n’y a vu Quemeneur. Dans cette valise il y a un carnet. Dans ce carnet est inscrit le prix d’un billet de Dreux à Paris, 11 fr. 40, et de Paris au Havre, 31 fr. 75. Or ce prix est inexact, les tarifs de chemins de fer ont été augmentés, et l’inscription du carnet est de la main de Seznec. Il a donc voulu faire croire à un voyage de Quemeneur au Havre. On lui fait l’objection, alors il change son système.

  • Ce n’est pas à Dreux, mais à Houdan que M. Quemeneur m’a quitté. Nous avons dîné ensemble à 9 h 30. Puis Quemeneur a pris le train à la gare. J’ai continué seul en auto. J’ai eu une panne alors je suis revenu à Morlaix.

Ceci est encore inexact. En effet on a bien vu devant la gare d’Houdan l’auto avec Seznec et Quemeneur mais à 10 h 10 ; or le dernier train pour Paris était parti. Il n’y en avait plus avant 3 heures du matin. Bien plus, la voiture ne s’est pas arrêtée à la gare, elle a simplement passé devant et a continué sa route avec les deux voyageurs, qui ont demandé le chemin de Paris.

Quelques heures plus tard, le lendemain, à 5 heures du matin, à 12 kilomètres de Houdan, à la Queue-les-Yvelines, la voiture est arrêtée faute d’essence. Elle n’a plus à ce moment qu’un seul voyageur, c’est Seznec. Quemeneur a disparu.

On arrive donc à fixer à peu près l’heure et le lieu de sa disparition. Quel chemin a parcouru la voiture ? Un trajet considérable, car Seznec, qui a fait de l’essence, quelques heures après a besoin de onze bidons de 5 litres, et chez le marchand il dépose un bidon tâché de sang. A-t-il donc roulé toute la nuit, cherchant un endroit où il pourrait faire disparaître le cadavre de sa victime ? On le pense, on l’affirme.

Landru avait essayé de faire croire, que celles qu’il avait tuées vivaient, lorsque les familles s’inquiétaient. Seznec aurait fait de même. Mlle Quemeneur se préoccupe de l’absence de son frère. Alors elle reçoit, le 13 juin, du Havre, une dépêche rassurante. Or, on en retrouve l’original. Le télégramme est de la main de Seznec. Celui-ci, en effet, est allé au Havre le 13 juin, on l’y a vu. Il y a acheté une machine à écrire et est revenu immédiatement à Morlaix, disant à ses amis qu’il était allé à Saint-Brieuc et Brest. Or il nie avoir fait ce voyage.

Le 20 juin, des témoins l’aperçoivent encore au Havre. Il a une valise à la main. C’est celle de Quemeneur qu’on retrouvera sous une banquette de la gare. Dans cette valise on découvre un acte écrit à la machine signé Quemeneur dans lequel celui-ci promet à Seznec de lui vendre 35.000 fr. une propriété. L’acte est daté du 22 mai. On l’examine. La signature Quemeneur est fausse, elle est, disent les experts, de la main de Seznec et l’acte a été tapé avec la propre machine que Seznec a achetée au Havre après la disparition de Quemeneur. On l’a retrouvée chez lui cachée dans un grenier.

  • Avec quel argent, lui demande-t-on, auriez-vous payé cette propriété ? Vous n’en aviez pas. D’ailleurs le 22 mai Quemeneur venait d’en refuser 100.000 francs ?
  • Mais je l’aurais payée 100 .000 fr., car j’avais déjà donné 4040 dollars à Quemeneur, je ne devais plus que 35.000 francs.

Or, personne n’a vu ces dollars, ni entre les mains de Seznec ni entre celles de Quemeneur. Le mobile du meurtre serait le vol, l’argent que Quemeneur avait sur lui au départ de Morlaix et celui qu'il devait trouver à la poste. Le cadavre manque. Mais on a trouvé du sang. Du sang sur la valise du Havre, du sang sur un bidon d’essence, du sang sur un col de Seznec. La doublure du vêtement de Seznec a été lacérée. Le cric de l’automobile qui pèse 15 kilogrammes n’a pas été retrouvé.

  • « Je l’ai perdu » dit Seznec.

A-t-il servi à tuer ? A creuser une fosse ? A-t-il, comme un boulet, servi à lester un cadavre jeter dans un fleuve ou un étang ? C’est possible.

Tout fait croire au meurtre. Pourtant des témoins disent avoir vu Quemeneur à Paris, après sa disparition. L’un d’eux précise qu’il l’aurait vu le 26 mai à 18 heures, en tramway. Il se trompe, dit l’accusation. Si Quemeneur était vivant, pourquoi ne donnerait-il pas de ses nouvelles, et pourquoi Seznec entasserait-il mensonges sur mensonges, faux sur faux, pour faire croire à son existence ?

Question dramatique et angoissante que le jury breton va résoudre.

L’accusé sera défendu par Me Marcel Kahn. Les débats dureront plusieurs jours. »

………………………

Georges Claretie (1875 – 1936) est le fils de l’académicien Jules Claretie. Il est docteur en droit de l’Université de Paris. Au barreau, il a été l’avocat de la Société des gens de lettres et de l’Académie française.

Il est connu pour s’être battu en duel contre Léon Daudet de L'Action Française le 4 mars 1911.

Chroniqueur judiciaire au Figaro, il a suivi pendant près de trente ans toutes les grandes audiences des cours d’Assises.

Très cultivé, il était également un critique littéraire autorisé.

……………………………..

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Pour essayer de faire croire à l’innocence de Seznec, il faut s’attaquer à chacun des innombrables éléments de preuve qui démontrent sa culpabilité (on dira que c’était un sosie, une coïncidence, une fabrication des méchants policiers contre le gentil Seznec, une affaire d’État, etc.), il faut faire fi de ses contradictions, de ses mensonges, de ses faux en écriture, de ses tentatives de subornation de témoins, de ses tentatives d’évasions... Ou bien on peut faire diversion en négligeant tout cela et en ne portant l’attention que sur un type un peu mystérieux dont on fera une crapule, Leon Turrou, et avec un peu de chance les lecteurs naïfs ne remarqueront pas que vous n’avez pas réussi à prouver que ce Leon Turrou a un quelconque rapport avec l’affaire de Cadillac qui occupait le disparu, ou avec la Bretagne, ou avec n’importe lequel des personnages liés à l’affaire Quéméner, ni même qu’il était en France au moment des faits.
Répondre
L
C'est vrai, cher Marc, il faut être très naïf ou très aveugle pour oser croire à la version "Léon Turrou"...<br /> L'auteur est coutumier du fait.<br /> Fasciné par les States, il pique un fait ou un personnage qui l'intéresse et il nous le colle dans l'affaire Seznec.<br /> Dieu fasse que son livre ne soit pas le dernier livre publié sur l'affaire Seznec.<br /> Et que ce mois du centenaire nous réserve encore de belles parutions.<br /> Joli 1er mai à vous !<br />