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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.100 articles.

Armand Spilers, l’incroyable histoire de l’évadé de Cayenne...

Dans une biographie dense et intense, l’historien André Bendjebbar, spécialiste du bagne, retrace la vie d’un as de l’évasion étonnamment tombé dans l’oubli.

 

Par Caroline Douteau

 

Àla fin des années 1990, alors qu'il travaille sur les peintres du bagne aux archives du musée Alexandre-Franconie à Cayenne, André Bendjebbar fait une découverte intrigante. L'historien, à l'époque chef du service culturel du musée de l'Armée, découvre l'existence d'un cahier d'écolier confié aux pères spiritains par un certain Armand Spilers, condamné au bagne en 1925. Le texte, écrit tardivement par l'intéressé, s'avère constituer les Mémoires de l'évadé le plus méconnu de Cayenne – et pourtant l'un des plus héroïques, et un multi-évadé des prisons françaises.

André Bendjebbar se lance alors dans une quête de la vérité historique du personnage, témoin de l'histoire politique, judiciaire et militaire du XXe siècle. Un voyage qui le mène de Lille à Pau, en passant par Aix-en-Provence, Caen, la Guyane française, la Colombie et l'Espagne, pour retracer son parcours et vérifier ses écrits grâce aux archives des prisons, les archives nationales et la presse. « Je ne crois pas Armand, je crois les archives de la justice », précise l'auteur d'Armand le bagnard, l'éternel évadé, paru aux Éditions Le Cherche Midi. « Armand le bagnard » aurait pu être un personnage de roman, tant sa vie s'avère rocambolesque. Il a pourtant bien existé.

Première arrestation, première évasion

Né en 1902 à Lille, Armand Spilers, dont le premier fait de guerre est de voler des soldats allemands, devient apprenti métallurgiste après l'armistice. Frappeur aux forges du Nord, une de ses mains est mutilée, mais il reste habile. Assurant ensuite les métiers de charretier et serrurier, il devient receleur en orfèvrerie. « Ses deux métiers l'ont préparé à être un voleur d'élite. Le premier lui apprit les chemins de fuite, le second le maniement des rossignols », raconte André Bendjebbar.

À sa première arrestation pour dix vols avec recel, il se fabrique un passe-partout et s'enfuit. Il est condamné aux assises de Douai à dix ans de travaux forcés et deux ans de prison pour délit d'évasion. « La loi de 1885 soutenue par Jules Ferry était d'une extrême sévérité pour les voleurs par répétition. Au bout de quatre délits, ils étaient relégués. » Marié, père d'une petite fille, il promet de revenir… Il tiendra parole.

Le bagne n'est pas forcément craint par les condamnés, qui pensent l'évasion facile. Ils ne sont officiellement que quatre ou cinq à avoir réussi, dont le célèbre et polémique Henri Charrière dit « Papillon ». Mais il a romancé bon nombre de détails de son histoire s'inspirant peut-être d'Armand Spilers…

Arrivé sur l'île Royale après l'éprouvante traversée, Armand tue un prisonnier qui veut le violer et plaide la légitime défense devant le tribunal maritime spécial. Pendant deux ans, il s'achète une conduite et gravit les grades de la sagesse pénitentiaire, devenant pêcheur de requins puis planton chez le commandant. Désinterné dans un camp plus tranquille à Kourou, il organise son évasion, mais échoue. Pendant un an, il sera reclus sur l'île du Silence, assistant à l'horrible descente en enfer des bagnards privés de tout. Passant ensuite de camp en camp, il devient chaland de transport pour l'administration pénitentiaire… La meilleure des formations pour fuir par le fleuve et la mer.

« Un voyou sublime »

Partis à six sur un radeau de fortune, Armand et ses compagnons ne seront que trois à toucher terre, moribonds, non pas au Venezuela comme espéré, mais en Colombie, chez les indiens Wayuu. Se nourrissant des Mémoires d'Armand Spilers, de récits d'évasion et d'articles de presse, André Bendjebbar nous raconte le voyage en mer, les tempêtes et la dérive comme s'il y était. Armand serait resté dix heures dans l'eau pendant qu'un camarade écope. Arrivé en Colombie, il devient Armando Trilero, mais est arrêté et détenu à la prison de la Tunja, la plus dure du pays, dont il s'échappe encore… en creusant un tunnel dans sa cellule.

Franchissant à pied la cordillère des Andes, se faisant aider par des malfrats ou anciens bagnards, il traverse le Venezuela, puis navigue vers Cuba, la Jamaïque et Panama, jusqu'à devenir chercheur d'or au sud du Pérou. Dans cette vie de cavale, il n'oublie pas femme et enfant, et souhaite rentrer au pays. Avec de faux papiers espagnols, maîtrisant la langue, il revient en France en 1935.

Sous l'identité de Jacques Dupuy, il s'installe en région parisienne, et achète une guinguette sur la Marne au nom de son frère. Menaçant un cycliste qui roulait sur la laisse de son chien, il est arrêté pour port d'arme. Son portrait anthropométrique révèle vite son identité : il est placé à la prison de la Santé, réputée infranchissable. Grâce à son habileté et sa ruse, il s'évade le 17 mars 1936 sans jamais balancer un éventuel complice. Intronisé « roi de l'évasion », il reprend les cambriolages. Mais accusé d'avoir tué un policier après un casse, il est attrapé à Pau et devient le prisonnier le plus surveillé de France.

28 ans en prison, 900 jours au cachot

Classé ennemi public numéro 1, il est condamné à mort le 5 février 1937, malgré une défense rappelant son humanisme. « C'était un voyou sublime, raconte André Bendjebbar. Au bagne, il refuse de se prostituer et de devenir un maquereau, il cherche toujours à revoir sa famille, et ce malgré le danger. Il sauve même un enfant de la noyade. » Dans une lettre magnifique, exhumée par l'historien, son avocat demande sa grâce au président Albert Lebrun, qui la lui accorde. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité, qui ne se feront plus au bagne mais sur le territoire métropolitain.

Les prisons centrales françaises vont s'avérer bien plus dures que l'île Royale. André Bendjebbar décrit « un repaire de tortionnaires plus féroces que ceux des camps de Guyane ». Il raconte l'enfer de Fontevraud, dont Spilers s'évade par deux fois, ce qui lui vaut le cachot. Au total, il y passe 900 jours dans sa vie. Et 28 ans en prison.

À la centrale de Poissy, il obtient des remises de peine pour bonne conduite. Ouvrier d'élite, il est pris en affection par le personnel pénitentiaire, dont l'historien a retrouvé des témoignages. Il terminera sa peine de sept ans aux Baumettes, à Marseille, sous un régime de semi-liberté. Libéré le 1er mai 1953, il déclare : « C'est la première fois que je sors d'une prison par la porte, et non en franchissant les murs. » Il a 51 ans. Trois ans plus tard, il commet un vol « malgré lui », et se met à écrire en prison. Il est mort le 13 septembre 1980.

« Armand le bagnard, l'éternel évadé », d'André Bendjebbar (Le Cherche Midi, 432 p.)

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