Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
3 Août 2024
« Lots of things are mysteries. But that doesn’t mean that there is not an answer to them. It’s just that scientists haven’t found the answer yet »
(Haddon, 2003, p. 125).
L’intervention de l’au-delà
La belle-sœur du frère de Mme Cadiou avait une amie, Mme Sainby, habitant Pont-à-Mousson. Profitant d’un déplacement à Nancy, celle-ci alla consulter une somnambule de cette ville, qui, selon Mme Cadiou, « dans des circonstances presque analogues, donna à une famille dans le deuil, la clé d’une tragique énigme ». Celle-ci, endormie par sa marraine, lui déclara en substance : « M. Cadiou a été tué près de son usine. Il y a deux assassins, l’un grand, barbu et châtain, l’autre plus petit. Ce dernier faisait le guet pendant que son compagnon, après avoir fait tomber M. Cadiou à l’aide d’une corde, l’assommait. Le premier coup a été porté à la tête, à gauche. Cherchez aux environs, à droite du moulin, près de l’eau, mais dans les bois. Le corps est sous très peu de terre. »
Voici le récit du Matin du 5 février : « La réponse fut adressée en toute hâte à Mme Cadiou, qui pria son beau-frère, Jean-Marie Cadiou, tanneur à Brest, de faire procéder immédiatement à de nouvelles recherches. Le frère du disparu se mit en campagne. Ce matin, un bâton à la main, il fouilla tous les buissons voisins du moulin et notamment les bois de M. Vacheront, maire de La Forest. Vers dix heures, il arriva dans un étroit sentier encaissé entre deux talus et aboutissant à un ruisseau. Écartant avec son bâton les branches de houx et de genêts, il arriva au pied d’un orme où la terre lui parut avoir été remuée depuis peu. Le cœur battant, il gratta avec l’extrémité de son bâton, découvrit un morceau d’étoffe et, pour aller plus loin, employa cette fois les ongles. Le malheureux reconnut bientôt le veston que portait son frère. Alors, il courut au moulin, ramena le contremaître de l’usine et c’est ce dernier qui, avec les mains, mit à jour le corps de son patron. »
Le procureur de la République dépêcha sur les lieux, avec le juge d’instruction et un médecin-légiste, un gendarme qui déclara : « Je ne croyais pas à l’hypnotisme jusqu’ici, mais m’y voici converti bien sincèrement. »
Le Journal, 30 août 1938
Ce qu’a vu la voyante
Ce n’était pas le sentiment de tout le monde. Le journaliste de L’Est républicain du 6 février écrivit : « Personne ne peut croire à la double vue d’une somnambule en pareille occurrence. » Alors qu’un ingénieur, Louis Pierre, directeur technique de l’usine de la Grand’ Palud était arrêté, puis inculpé d’assassinat, il formulait l’hypothèse que « l’histoire de la somnambule est un stratagème employé par la famille, afin de soustraire à des représailles le dénonciateur de l’ingénieur Pierre », qui aurait touché 2 000 francs promis par Mme Cadiou à la personne qui découvrirait le corps de son mari et désirait garder l’anonymat.
De son côté, Le Matin délégua un envoyé spécial auprès de Mme Sainby, qui déclara : « C’est bien moi qui ai eu l’ide d’aller consulter une somnambule (…) Celle-ci, dont je regrette de ne pouvoir vous donner le nom, car c’est un cas de conscience pour moi, avait déjà été consultée par moi il y a quelques années. À cette époque, il était question du mariage de ma fille avec un jeune homme au sujet duquel je me rendis auprès de la voyante. Celle-ci me dit que la santé du fiancé était mauvaise ; le mariage n’eut donc pas lieu. Quelques mois plus tard, ce jeune homme mourut en effet. De là ma grande confiance en cette somnambule.
« Aussi, ayant appris que la famille Cadiou était persuadée que son parent avait été assassiné, j’écrivis à une tante de la veuve pour lui demander quelques objets personnels du défunt. On m’adressa une cravate et une paire de gants. En possession de ces objets, que je reçus samedi matin, j’allai à onze heures chez la somnambule et je lui confiai, en lui posant quelques questions sur son propriétaire.
« Ces gants, me répondit-elle, appartiennent à quelqu’un qui est mort. Je vois… il a été assassiné.
– Il s’agit, dis-je, de quelqu’un qui a disparu et que l’on suppose être noyé.
– Non, non ! répondit vivement la voyante. Le cadavre, je le vois… il n’est pas dans l’eau, mais dans un endroit noir.
– Alors, c’est sans doute au moulin ?
– Non plus ! répéta la somnambule. Au moulin, l’homme y est allé, à deux reprises même, mais maintenant, il est couché, mort, dans un endroit noir, dans un bois…
– Mais le bois, objectai-je, a été fouillé.
– Ce n’est pas à proprement parler un bois ; c’est dans un buisson, en travers d’un talus, au bord de la route. Le corps n’est pas enterré ; on l’a seulement recouvert d’un peu de terre pour le cacher.
– Mais, demandai-je encore, comment cet homme a-t-il été assassiné ?
– On l’attira dans un guet-apens, dans un piège. Peut-être est-ce une ficelle tendue en travers du chemin qui le fit tomber. Quand il fut à terre, on le frappa, par derrière, d’un coup à la tête et d’un coup dans le dos. Il y avait deux hommes, l’un âgé de trente à trente-cinq ans et l’autre qui n’a fait que le guet.
– Est-ce avec un couteau qu’on l’a tué ?
– Non. On l’a assommé. Le premier coup aurait suffi à donner la mort. D’ailleurs, je vois que le disparu a dû être tué net ; son cadavre a ensuite été traîné et le second individu a aidé le premier dans cette opération.
« En possession de ces renseignements, ajoute Mme Sainby, j’écrivis à la tante de Mme Cadiou tout ce que je viens de vous conter. Il était alors onze heures et demie du matin. Ma lettre parvint à destination lundi matin.
« Ce fut à la suite des révélations qu’elle contenait que le frère de M. Cadiou fit interrompre le dragage de la rivière et ordonna d’effectuer le long de la route des recherches qui aboutirent au résultat que vous connaissez ».
Enfin, comme le journaliste pressait Mme Sainby de nommer la voyante, elle répondit :
« Inutile d’insister, monsieur, riposta Mme Sainby, je ne dirai pas son nom ! »
Cependant, entendue par commission rogatoire du juge d’instruction de Brest, par le commissaire de police de Pont-à-Mousson, elle donna le nom et l’adresse de la somnambule.
Un journaliste de L’Est républicain rendit, lui aussi, visite à….
Excelsior 23 février 1914
Camille Simon, veuve Hoffman, dite Mme Camille
Une fois connus le nom et l’adresse de la somnambule, les journalistes cessèrent, dès lors, d’assaillir la maison de Mme Sainby pour celle de Mme Camille.
Un des premiers à l’approcher fut Achille Liégeois, de L’Est républicain, le 7 février. « À chacune de nos visites infructueuses », écrit-il « nous avons, pendant toute la soirée, entendu le panégyrique : “Elle reçoit du monde chic… Elle a des clients à ne savoir où les mettre… ” »
L’interview eut lieu au pied de l’escalier de l’immeuble de la somnambule. Elle « est radieuse. De taille bien prise, les yeux vifs et clairs, le front casqué d’une abondante chevelure (…) Elle s’exprime avec volubilité : “Cette dame est venue samedi dernier, un peu avant quatre heures. Je me rappellerais difficilement sa physionomie, car la nuit venait. Je lui ai posé une question que je pose toujours afin de m’éviter des ennuis :
– Venez-vous me consulter à propos d’un vol, lui demandai-je.
– Non, c’est au sujet de quelqu’un qui a disparu.
– De Nancy ?
– Non, c’est quelqu’un de dehors.
« La consultation eut lieu. Quand Mme Camille eut secoué la torpeur du sommeil hypnotique, elle s’aperçut qu’elle avait les yeux pleins de larmes :
– Vous m’avez fait pleurer, madame, dis-je alors à ma cliente, incapable elle-même de maîtriser sa propre émotion… J’ai assisté à un crime… J’ai aperçu un homme qui en frappait un autre, qui traînait le corps vers un bois tout proche…
– Oh ! c’est bien cela, c’est bien ce que vous m’avez révélé… Je vais télégraphier tout de suite… Mon Dieu ! si tout cela est vrai pourtant…
« (…) La voyante justifie la réputation que ses confrères en occultisme daignent lui accorder. Elle a jadis intrigué les savants : elle a fourni un médium incomparable pour les travaux de docteurs Bernheim et Liébeault, du professeur Liégeois : “Ils m’aimaient beaucoup, nous avoue-t-elle avec une pointe de fierté. J’ai assisté au dernier congrès scientifique qui se tint à Nancy vers 1880, si j’ai bonne mémoire… De huit heures à midi, le professeur Liégeois me plongea dans le sommeil et fit pendant ce temps un cours qui a paru dans les revues psychiques. Il parla devant une assemblée de 390 médecins… ”
« Le docteur Liébeault employait un mot familier. Il l’appelait “la petite sorcière ”. Le nom lui resta et, bien des années plus tard, M. le docteur Friot l’apostrophait en plaisantant : “Je pars pour la pêche, lui disait-il. Est-ce que j’attraperai aujourd’hui beaucoup de poissons, ô ma petite sorcière ? ” ».
Mme Camille, sujet privilégié de l’« école de Nancy »
Camille fut, en effet, un sujet privilégié de l’école de Nancy.
Voici ce que Jules Liégeois rapportait d’elle en 1889 : « Camille S… 18 ans, est une très bonne somnambule ; M. Liébeault et moi nous la connaissons depuis près de quatre ans ; nous l’avons endormie souvent ; nous l’avons toujours trouvée d’une entière bonne foi ; elle nous inspire, en un mot, toute confiance. Cette constatation était nécessaire, on va le voir, pour donner quelque poids aux singuliers résultats que j’ai obtenus.
« M. Liébeault endort Camille, et, sur ma demande, il lui suggère qu’elle ne me verra, ni ne m’entendra plus, puis il me laisse expérimenter à ma guise. Réveillée, le sujet est en rapport avec tout le monde ; seul, je n’existe pas pour elle, mais, ainsi que je vais le démontrer, cela n’est pas tout à fait exact ; il y a en elle comme deux personnalités, dont l’une me voit quand l’autre ne me voit pas, et m’entend, quand l’autre ne fait aune attention à mes paroles »
Hippolyte Bernheim a qualifié ces phénomènes d’hallucinations….
Joseph Delboeuf (1831-1896), alors professeur de latin-grec et de psychologie à l’université de Liège, mais aussi hypnothérapeute, avait gardé le souvenir de Camille, dont il souligne (1893, p. 301-302) qu’elle était « célèbre chez les magnétiseurs de Nancy », lorsqu’il y fit visite en 1889 :
« J’ai vu chez M. Liébeault une somnambule extra lucide, Mlle Camille, 17 ans. Elle donne des consultations en ville. Elle a le don de prophétie. Elle a annoncé une attaque de paralysie chez le père, à elle inconnu, d’une famille qu’elle ne connaissait pas davantage. L’attaque eut lieu quinze jours plus tard, juste à la date indiquée (…)
« Je sollicitai incontinent de mettre à l’épreuve la lucidité de Mlle Camille. Depuis quelque temps, je souffre de troubles de la vue. J’ai consulté mon ami et collègue, M. Nuel qui m’a découvert une cataracte de l’œil droit. Cette cataracte venait admirablement à point.
« Mlle Camille, bien et dûment endormie, me prit la main. Je reproduis fidèlement la scène et le dialogue.
– J’ai un mal, non douloureux, qui ne laisse pas d’être grave et menaçant, et qui néanmoins me préoccupe assez peu. Devinez-vous ?
« Pas de réponse.
– Je me doutais bien que vous ne le découvririez pas. C’est trop difficile. Je vais vous mettre sur la piste. Ce mal est dans un œil. Lequel ?
– L’œil gauche. » « Je fais un signe de dénégation à l’assistance. M. Liébeault intervient :
– Le gauche ? expliquez-vous. Le gauche de monsieur ou celui qui est à votre gauche ?
– Celui qui est à ma gauche.
– Le droit de monsieur alors ?
– Naturellement. Vous voyez de loin et ne savez voir de près… Vous êtes vite fatigué quand vous travaillez… Par moments, vos paupières se collent… Cela vous occasionne une grande gêne… »
« Je demande à M. Liébeault de la réveiller : – Quel est votre mal ? me demande-t-il.
– Une cataracte.
– L’élément douleur est tout à fait absent ?
– Oui.
– Cela pourrait bien être la cause de son insuccès ».
L’opinion d’Hippolyte Bernheim
Mme Camille était devenue une gloire de Nancy. Elle eut les honneurs de la presse et du cinématographe. Le nombre de ses clients augmenta ainsi que ses tarifs. Un agent de police de Pontà-Mousson pouvait regretter, auprès de Ludovic Chave, journaliste de L’Est républicain (15 février), qu’on ne recourût pas plus souvent aux sciences occultes dans les affaires criminelles : « Ainsi nous avons épuisé en pure perte de temps et d’argent tous les moyens de prouver la culpabilité d’un individu sur qui, il y a deux ou trois ans, pesaient les plus lourdes présomptions ».
Malheureusement, une commission rogatoire envoyée à Nancy pour interroger Mme Camille, ne put rien tirer de celle-ci : « Qu’ai-je dit à Mme Sainby ? Que lui ai-je révélé ? Je n’en savais rien moi-même avant qu’elle m’en instruise, car c’est dans le sommeil hypnotique que j’ai parlé, et je ne conserve aucun souvenir des paroles que j’ai prononcées, lorsque je suis dans cet état… Ce n’est qu’à mon réveil que Mme Sainby me révéla ce que je venais de lui dire ».
Il y avait, pourtant, des non-convaincus, des sceptiques, des incrédules. Si, pour Le Matin du 6 février, « cette histoire paraît servir à masquer les révélations d’un chasseur qui tient à garder l’anonymat, et qui aurait découvert par hasard l’emplacement où était enfoui le corps de M. Cadiou », L’Ouest-éclair s’étonne que longtemps avant qu’on fût sûr que M. Cadiou fût tombé sous les coups d’un criminel, on ait déposé une plainte pour assassinat et « qu’on n’ait même pas pris la peine d’interroger celui qui trouva seul le cadavre de son frère et qui raconte qu’il dût sa trouvaille à une somnambule extra-lucide de Nancy » (Le frère du mort, selon Le Matin du 24 février, admettra qu’on le soupçonne : « On trouve étrange l’histoire de la somnambule », déclara-t-il à l’envoyé du journal).
Un journaliste (Le Matin, 10 février), recueillit l’opinion d’Hippolyte Bernheim. Celui-ci déclara : « Je me rappelle parfaitement (…) avoir souvent assisté à des expériences du professeur (sic) Liébeault, au cours desquelles on endormait la petite Camille, alors âgée d’une quinzaine d’années.
« Je l’ai toujours considérée comme un sujet se prêtant facilement, et avec sincérité, aux nombreuses expériences scientifiques que nous faisions alors ; je n’ai cependant jamais observé, chez elle, de phénomènes merveilleux.
« Je n’ai, d’ailleurs, jamais pu obtenir, au cours de ma longue carrière, de phénomènes de vision à distance ni de divination.
« Le merveilleux n’existe pas en hypnose et l’on peut toujours arriver à expliquer scientifiquement des phénomènes qui paraissent au premier abord absolument inexplicables. Il faut cependant avant de tenter une expérience s’entourer de nombreuses précautions, car le sujet endormi, même s’il est absolument sincère, peut être influencé à son insu par les personnes présentes. Ainsi, dans le cas de la consultation donnée par Camille à Mme Sainby, il est plus que probable que cette dame a consciemment ou même inconsciemment suggestionné le sujet endormi et orienté ainsi le sens de ses réponses.
« On a souvent de nombreuses causes d’erreurs dans des expériences où toutes les précautions scientifiques sont prises ; à plus forte raison peut-il s’en produire au cours d’une consultation de « somnambule ».
« Quant à moi, toute mon éducation scientifique s’insurge contre l’existence de semblables phénomènes et, jusqu’à vérification sérieuse, je conteste leur véracité »
La confrontation de Mme Camille et de Mme Sainby
Le parquet de Brest chercha à faire cette « vérification sérieuse » et convoqua la somnambule et sa cliente, ainsi que d’autres témoins, dont Mme Sainby, qui furent reçus le 21 février. Mme Camille répéta qu’elle ne se souvenait de rien, qu’elle n’avait pas bénéficié d’indiscrétions et qu’elle ne lisait pas les journaux. Mme Sainby répéta ce qu’elle avait déjà déclaré et la confrontation entre les deux dames ne fit qu’apporter un peu plus de confusion.
– Madame, vous pleuriez lorsque vous vous êtes réveillée, a dit gravement Mme Sainby.
– Non, Madame, je ne pleurais pas, a répondu Mme Camille.
– Je vous ai répété tout de suite ce que vous m’avez appris, a répondu Mme Sainby.
– Non, madame, vous ne m’avez rien répété du tout, a contesté Mme Camille, parce que si vous m’aviez fait part de ce que je venais de vous révéler, je conserverais le souvenir que c’est par vous que je l’ai appris. Or, je sais mieux que personne, qu’il n’en est rien… À mon réveil, vous m’avez donné trois francs et vous êtes partie.
– Je vous ai mise au courant de vos révélations, protesta Mme Sainby.
– En aucune façon… »
Mme Camille (dé)mystifiée
Le sceptique Matin dépêcha, le 21 février, un envoyé spécial, Paul Limours, consulter Mme Camille, porteur d’une photographie et d’un autographe.
Endormie, Mme Camille, étreignant le poignet du journaliste dans sa main gauche proféra, « d’une voix caverneuse » :
« Ah ! enfin, je vois !… Oh ! comme je vois bien. Oui, je comprends maintenant pourquoi vous êtes venu… Ah ! il faut que cette personne vous intéresse joliment pour que vous ayez fait tant de kilomètres pour savoir ce qu’elle est devenue…
« Un profond soupir fut ma simple réponse (…)
« Ah ! monsieur, pauvre monsieur ! comme vous avez dû souffrir !… Avez-vous sur vous quelque chose lui ayant appartenu ?
Paul Limours lui plaça sous la main la photographie et les notes manuscrites :
« Oh ! comme je lis bien en elle, maintenant… Oui, c’est cela… Caractère emporté, mais pas méchante, pas méchante du tout… Un simple coup de tête… Je vous vois aussi avec elle, il y a quelques mois… Vous échangiez des mots vifs… Elle vous menace de partir… Elle part… Là, je la vois qui part. Elle part dans le train… Le train roule… Il s’arrête près de la mer, dans le Midi… Il y a des montagnes au loin… Elle est triste maintenant ; elle commence une lettre pour vous ; elle regrette d’être partie… Mais elle déchire la lettre par orgueil… Pourtant, elle vous reviendra, elle vous reviendra bientôt… avant deux mois… Je la vois auprès de vous. Vous lui avez pardonné… Elle a une robe rose et une ombrelle bleue… Vous oubliez tous les deux vos chagrins réciproques… Oh ! comme vous êtes heureux à présent. C’est tout… C’est tout ce que je vois aujourd’hui (…) »
Ce que Paul Limours révèlera à la fin de son article, c’est que la photographie et les lignes autographes qu’il avait soumises à Mme Camille étaient… d’Henri Rochette, « fugitif et vagabond financier »
Intervention d’Henry Beaunis
Henry Beaunis avait fait de nombreuses expériences avec Camille, chez Ambroise-Auguste Liébeault, alors qu’elle avait quinze ans, notamment de vision à distance.
Apprenant, le 9 février, par la lecture du Matin, que le juge de Brest se proposait de convoquer Mme Hofmann, il écrivit au journal :
« Si la justice avait tant soit peu la notion de ce que c’est que l’hypnotisme, elle aurait pu s’épargner cette peine… Camille ne pouvait répondre autrement qu’elle ne l’a fait… les lois de la mémoire hypnotique sont en effet les suivantes ; l’hypnotisé, au réveil, ne se souvient de rien de ce qui s’est passé pendant le sommeil hypnotique. Mais ce souvenir peut être réveillé si on le lui suggère une fois replongé dans le sommeil, à moins qu’une suggestion contraire ne l’en empêche.
« Dans le cas actuel, cette éventualité ne semble pas devoir se produire. Par conséquent, si la Justice veut se renseigner, c’est bien simple : il n’y a qu’à interroger Camille après l’avoir hypnotisée, elle révèlera alors tout ce qu’elle aura dit dans un sommeil précédent.
« La Justice le fera-t-elle ? J’en doute. Elle a toujours été hostile à l’hypnotisme, contre lequel elle a des préventions injustifiées et dont l’aide lui serait précieuse dans bien des cas (…) ».
Le directeur de l’information du journal lui ayant répondu, le 20 février, que sa lettre n’avait pu être insérée faute de place, il reprit la plume pour en exprimer le regret :
« (…) Dans cette lettre, je précisais ce qui est arrivé, c’est-à-dire que la somnambule ne dirait rien et ne pourrait rien dire. Mon assertion s’est confirmée aussi bien pour la commission rogatoire que pour l’interrogatoire direct du juge d’instruction et, enfin, pour la nouvelle affaire Chapeland, dont vous parlez dans votre numéro du 23 février. J’y indiquais la marche à suivre. Ma lettre en mettant les choses au point avait donc une certaine importance et aurait pu éviter au juge d’instruction de faire faire à Camille le voyage inutile de Nancy à Brest (…) ».
Il en vient ensuite à la consultation accordée par Camille au rédacteur du Matin :
« Permettez-moi quelques réflexions. Et d’abord un fait négatif ne peut infirmer les faits positifs. Il prouve que les somnambules les plus lucides peuvent se tromper. Et en effet, ces faits de lucidité sont toujours des faits exceptionnels.
« En outre l’expérience a été faite dans de mauvaises conditions. Camille était très fatiguée et elle n’a cédé qu’aux instances de votre rédacteur et à l’amour du gain de ceux qui l’entouraient. Dans ces conditions, la plus élémentaire prudence commandait de surseoir à l’expérience. Une somnambule est un instrument délicat dont il faut savoir jouer et qui se fausse facilement même inconsciemment.
« Enfin, votre rédacteur parisien sceptique, est-il sûr de n’avoir pas, pendant l’expérience, pensé à une robe rose et à une ombrelle bleue ou du moins à une personne susceptible de les porter et d’avoir ainsi par une suggestion mentale involontaire influencé la somnambule ?
102« Enfin ne serait-il pas possible que les assertions de la somnambule s’appliquassent à une dame des pensées de Rochette très sujet à caution (…) ».
103Non seulement la lettre d’Henry Beaunis ne fut pas publiée, mais elle n’obtint pas de réponse.
104Henry Beaunis commente : « Cela prouve une fois de plus combien public, journalistes, magistrats et je puis ajouter médecins, sont peu au courant de ces questions. Il ne s’est pas trouvé à Brest un médecin pour avertir le juge d’instruction qu’il faisait fausse route (…) ».
105Henry Beaunis se résolut, alors, à envoyer, aux Annales des sciences psychiques, organe de la Société universelle des sciences psychiques, fondée par Charles Richet (1850-1935) et Xavier Dariex en 1891 (Beaunis, 1914).
106Il commence par rappeler qu’en 1885, il avait écrit : « Je n’ai jamais pu (…) jusqu’à présent du moins, constater chez les sujets que j’ai observés, les phénomènes merveilleux admis par certains magnétiseurs, tels que la divination mentale, la seconde vue, le don de prophétie, etc. Toutes les fois que la suggestion que je voulais produire a été simplement pensée et non exprimée d’une façon ou d’une autre, elle ne s’est jamais réalisée. Jamais non plus les sujets n’ont pu deviner la nature d’un objet que je tenais dans la main ; jamais ils n’ont pu me dire ce que je pensais ou ce que j’avais fait à tel moment ». Il ajoutait : « Je ne veux pas cependant nier absolument ces faits en présence des affirmations des savants de très bonne foi ; ce que je puis dire, c’est que je ne les ai jamais observés. »
107Avec ces deux observations, il vient à résipiscence. En effet, il a pu observer d’une façon certaine la réalité de ces faits et, notamment, de la lucidité ou vision à distance.
108Ces cas ont été observés par lui, écrit-il, chez Ambroise-Auguste Liébeault, sur Camille précisément, alors âgée de 15 ans, « dont il a été parlé récemment dans les journaux à propos de l’affaire Cadiou ».
109Dans la première expérience, Henry Beaunis avait demandé à Camille endormie de donner la provenance (Constantinople) d’une enveloppe et la maladie de la personne dont une mèche de cheveux était contenue dans cette enveloppe. Si la description de la ville parut exacte au correspondant d’Henry Beaunis, il n’en fut guère de même de la maladie.
110Dans la seconde expérience, faite en présence de Frederik Van Eeden (1860-1932), directeur de la clinique Liébeault d’Amsterdam, toujours dans le cabinet d’Ambroise-Auguste Liébeault.
111Henry Beaunis remet une lettre à Camille endormie et l’interroge sur la provenance de la lettre, son auteur (une dame d’Utrecht), ce qu’elle fait, etc. Je ne puis en reproduire les détails, mais l’expérience paraît manquée. Beaucoup de réponses sont jugées inexactes.
Or, de retour à Amsterdam, Frederik van Eeden, qui a pu les vérifier sur place, confirme en tous points les réponses de Camille, même des détails qu’il ignorait.
113Cela permet à Henry Beaunis de conclure : « La science ne doit reculer devant rien. Elle doit absorber toutes les questions, quelque étranges, quelque troublantes qu’elles puissent être et celle-ci est une des plus troublantes qui puissent se présenter. Il y a évidemment en nous, dans les profondeurs de notre âme ou de notre cerveau, des énergies latentes, insoupçonnées, qui dans certaines conditions encore inconnues, chez certains sujets, se révèlent comme des jets de flamme qui sortent d’un volcan (…) » et, dans ses Mémoires, il s’en prendra à Hippolyte Bernheim : « M. Bernheim oublie que le merveilleux d’aujourd’hui devient quelquefois la vérité de demain. Il s’arrête en chemin après avoir été à l’avant-garde et cette vérification sérieuse qu’il demande et qu’on lui a montrée, il ne veut pas la voir, toute son éducation scientifique s’insurgeant contre l’existence de semblables phénomènes. »
114Saint Augustin affirmait déjà : « Les miracles ne sont pas en contradiction avec la nature, ils ne sont en contradiction qu’avec ce que nous avons d’elle. »
« Lots of things are mysteries. But that doesn’t mean that there is not an answer to them. It’s just that scientists haven’t found the answer yet » (Haddon, 2003, p. 125).
116Pour Henry Beaunis, « l’affaire Camille » est close. Il s’est retiré dans le Midi et a d’autres préoccupations. Surtout, c’est la guerre.
117En janvier 1916, les Annales des sciences psychiques annoncent que « Madame Camille, la somnambule nancéenne à qui l’affaire Cadiou a donné une assez grande notoriété (…) est arrivée à Paris au commencement de l’année, avec l’intention de s’y arrêter trois mois. Un groupe s’est formé qui poursuivra avec elle, non seulement des expériences de clairvoyance, mais aussi de médiumnité “physiques ” d’un caractère déterminé ».
118Effectivement, plusieurs expériences de vision à distance, sept en tout, sur deux journées, le 26 mars et le 2 avril 1916, seront réalisées (Bardonnet, 1916) chez Cesare Baudi de Vesme (1862-1938), rédacteur en chef des Annales des sciences psychiques, en présence, notamment, de L. Bardonnet et du colonel Frater, pour la première série d’expériences, les mêmes plus Gustave Geley (1865-1924), directeur de l’Institut métapsychique international et deux autres témoins pour la seconde série.
119Comme L. Bardonnet le soulignera, les crédules y trouveront des raisons de croire et les incrédules de ne pas croire, les expériences n’ayant pas été totalement convaincantes, ce que L. Bardonnet attribuera à des imperfections techniques.
Mme Camille nous aura presque fait oublier que l’affaire Cadiou était une affaire criminelle. On en trouvera les détails dans Bernède (1931).
121Comme on l’a lu, le directeur technique de l’usine, Louis Pierre, avait été arrêté et inculpé d’assassinat. En dépit de la fragilité des charges qui pesaient contre lui, le juge d’instruction, persuadé de sa culpabilité, refusa toutes ses demandes de remise en liberté et ce ne fut que sur l’injonction du parquet, qu’il put quitter la prison, après cent dix jours de détention.
122Il restait, néanmoins, inculpé. Le 29 juillet 1914, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Rennes l’envoyait devant la cour d’assises du Finistère, mais la guerre éclatait quelques jours après. Louis Pierre, mobilisé, rejoignit son régiment et c’est le 23 septembre 1919 seulement qu’il fut convoqué à comparaître devant la cour d’assises de Quimper, les débats étant fixés au 26 octobre suivant. On va voir reparaître Madame Camille.
123C’est le 30 octobre que « le Sherlock Holmes de l’au-delà » (Le Matin) fut appelé à la barre des témoins. « Son entrée excite la curiosité du public », rapporte L’Ouest-éclair « et pourtant Mme Hoffmann est une personne très simple, qui ne se distingue par aucun caractère particulier ». Selon Le Matin, « Elle s’avance l’air digne, solennel même, et convaincue de la réalité du pouvoir merveilleux qu’elle exerçait moyennant d’honnêtes bénéfices » écrit Arthur Bernède (p. 637).
124« Quelle est votre profession ? demande le président.
125– Somnambule !
126– De quoi vous occupez-vous principalement ?
127– Je ne travaille que dans la recherche de l’assassinat.
128– Depuis quand exercez-vous cette profession ?
129– Il y a si longtemps que je ne m’en souviens plus.
130– Vous rappelez-vous l’entrevue que vous avez eue avec Mme Sainby ?
131– Tout ce que je puis vous dire, monsieur le président, c’est que c’est ma marraine, comme d’habitude, qui m’a endormie. Quand je me suis réveillée, j’avais des larmes pleins les yeux. Mais je ne me souviens jamais de ce que j’ai vu en état de sommeil. Je ne sais si ce sont mes propres révélations que ma cliente m’a racontées.
132– Personne ne vous a fourni des renseignements sur le crime de la Grand’ Palud ?
133– Oh ! personne. »
134Le président ne jugea pas utile de pousser cet interrogatoire plus loin que le juge d’instruction ne l’avait fait lui-même.
135Défendu par le célèbre avocat Henri Robert (1863-1936), le « maître des maîtres de tous les barreaux », Louis Pierre fut acquitté le 1er novembre et le verdict accueilli par une ovation.
L’assassin de Louis Cadiou ne sera jamais découvert. Mme Camille ne fera plus parler d’elle. Quant à Henry Beaunis, voici la conclusion qu’il consignera dans ses Mémoires : « Comment étudier ces phénomènes, ces actions à distance, ces lucidités télépathiques ? Je suppose que Camille, avec ses aptitudes spéciales, au lieu de tomber dans les mains d’une famille, qui l’exploite plus ou moins et en fait une somnambule vulgaire, soit restée entre les mains de physiologistes exercés, habitués aux recherches les plus délicates, à quels résultats n’aurait-on pas pu arriver ? C’est par des recherches patientes, suivies, longues, qu’on pourra arriver à des résultats et les sujets, pour employer le terme banal, s’en trouveraient beaucoup mieux que l’exploitation à laquelle ils sont forcément soumis et qui développe chez eux trop souvent l’esprit de lucre et de mensonge.
137« La science métapsychique, pour employer l’expression de Richet, ne pourra avancer qu’à condition d’avoir à sa disposition des laboratoires largement outillés comparables aux laboratoires de physiologie et de psychologie physiologique (…) ».
138Lui-même, qui avait conduit quelques expériences d’hypnotisme dans son laboratoire de physiologie de Nancy, n’en réalisera aucune dans le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, qu’il contribua à créer en 1889.
Généalogie de Camille Léonie SIMON
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Camille Léonie SIMON
Généalogie de Hortense Marie Louise RICHARD
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Hortense Marie Louise RICHARD
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