Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
25 Mai 2021
Seznec, votre crime, vous l’avez signé trois fois du nom de votre victime : par les fausses promesses de vente, par votre faux télégramme, par votre fausse inscription sur le carnet de Quemeneur.
Gustave Guillot. Procureur.
in Base de données Criminocorpus.
Gustave Guillot est né le 14 décembre 1872 à Redon (Ille-et-Vilaine).
Il est donc âgé de 52 ans lors du procès Seznec.
Avec une solide expérience des prétoires.
Son réquisitoire au procès Seznec est donc sans failles.
Que nous apprend-il ?
Avant d'analyser son réquisitoire...
Je rappelle ici que, lorsque Guillaume Seznec est arrivé aux Assises de Quimper fin octobre 1924...
Sa réputation l'avait précédée.
Et ses deux escroqueries à l'assurance (1908 et 1921) l'ont passablement desservi.
Rappelez-vous les durs termes de son beau-père Marc (je suppose que c'est de Jean Corentin Marc dont on parle) dans Le Cri du Peuple du 7 juillet 1923 :
"M. Marc s'est montré fort sévère à l'égard de son beau-frère qu'il croit capable des pires méfaits, sauf d'un crime, à son avis, M. Seznec est trop croyant pour cela."
Et oui, les gens de robe lisent la presse...
Plutôt plus que le citoyen lambda.
Reprenons ici les grandes lignes de l'acte d'accusation de Guillot.
1/ Les faux en écriture
"- Seznec, votre crime, vous l’avez signé trois fois du nom de votre victime : par les fausses promesses de vente, par votre faux télégramme, par votre fausse inscription sur le carnet de Quemeneur."
Voilà. Tout est dit. C'est court. Net et précis.
Aujourd'hui encore Me Denis Langlois reconnait que les faux en écriture sont bien l'oeuvre de Guillaume Seznec.
2/ Le crime
"Et des preuves il y en a partout. Le silence de Quemeneur n’est-ce pas la preuve de son silence éternel ? Le silence de Seznec n’est-ce pas la preuve de sa culpabilité ? Quel est l’auteur du crime sinon celui à qui profite le crime ? Mais je vois le défenseur de l’accusé qui secoue la tête. Ne soyez pas impatient, maître Kahn, tout cela je vais l’étayer. Seznec nous dit : « Montrez-moi le cadavre. » Je ne lui montrerai pas le cadavre qu’il a si bien su cacher, mais je trouverai sur lui les dépouilles qu’il s’est appropriées."
"- Seznec, j’ai cherché partout. Nulle part dans votre crime, nulle part dans votre passé, je n’ai trouvé la moindre circonstance atténuante. Pour une sordide affaire d’argent, vous avez assassiné l’ami qui avait confiance en vous. Vous avez joué le tout pour le tout et vous avez perdu."
Il est évident que Pierre Quémeneur a été tué.
Il n'aurait certes pas laissé sa famille ainsi sans nouvelles.
Et puis le "Montrez-moi le cadavre" qui est la litanie de Seznec le dessert plus qu'il ne le sert.
Ce n'est pas sans rappeler la ligne de défense hasardeuse de Landru.
Alors oui.........
Plutôt que de se perdre dans les arcanes des mensonges de la famille Seznec.
Marie-Jeanne d'abord, puis Jeanne, puis Petit Guillaume, puis Denis...
Revenons aux essentiels.
Juste une précision : contrairement à ce qu'affirme Me Langlois, le procès Seznec n'est pas "le bâton de Maréchal" du procureur Guillot.
Qui a bossé jusqu'en 1944, soit encore 20 ans après le procès Seznec.
J'ai choisi ci-dessous un extrait de L'Action Française.
Non que j'apprécie le journal de Daudet et Maurras...
Mais il est parfois bon d'aller lire la presse d'opposition.
Surtout pour une affaire judiciaire comme celle qui nous préoccupe.
Liliane Langellier
P.S. Que l'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas...
Primo : Je suis totalement contre la peine de mort.
J'appartiens d'ailleurs à la L.D.H. (Ligue des Droits de L'Homme)
Secundo : Pour moi, comme pour Albert Londres : le bagne était une abomination.
L'Action Française du 4 novembre 1924.
L'Action française : organe du nationalisme intégral / directeur politique : Henri Vaugeois ; rédacteur en chef : Léon Daudet -- 1924-11-04 -- periodiques
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k762123j/f2.texteImage
L'Action Française du 4 novembre 1924.
in Denis Langlois "L'affaire Seznec" pages 221 à 224 :
"Le président est arrivé, mécontent, tête baissée. Il a ajusté ses lunettes, s’est éclairci la voix.
- La parole est à M. l’avocat général pour le réquisitoire ! Je préviens l’assistance que je ne tolérerai aucune manifestation d’aucune sorte.
Lentement, l’avocat général Guillot s’est levé. Il est resté un instant le dos voûté, les mains appuyées sur son pupitre. Il s’est tourné vers toi, puis vers les jurés. Alors seulement, il a commencé se redresser et pour la première fois son visage s’est présenté en pleine lumière, les cheveux et la barbichette encore plus blancs, le nez long et droit, les pommettes saillantes, les lèvres étonnamment roses comme un enfant. Et, derrière ses lunettes, un regard bleu glacial, tel ces eaux profondes qui vous attirent par leur luminosité mais vous emprisonnent à jamais. Et puis ce rouge partout, sur sa robe déployée, sur la tenture derrière lui, sur le velours de son fauteuil.
- Messieurs, a-t-il commencé d’une voix douce en s’adressant aux jurés, vous avez prêté serment de vous prononcer en votre âme et conscience, devant Dieu et devant les hommes. Je ferai de même. Je ne rechercherai pas les effets oratoires, mais je serai intransigeant. Je vous ferai part de mes convictions, mais je m’appuierai sur des preuves.
Il s’est arrêté, a pris sur sa table un papier.
- Et des preuves il y en a partout. Le silence de Quemeneur n’est-ce pas la preuve de son silence éternel ? Le silence de Seznec n’est-ce pas la preuve de sa culpabilité ? Quel est l’auteur du crime sinon celui à qui profite le crime ? Mais je vois le défenseur de l’accusé qui secoue la tête. Ne soyez pas impatient, maître Kahn, tout cela je vais l’étayer. Seznec nous dit : « Montrez-moi le cadavre. » Je ne lui montrerai pas le cadavre qu’il a si bien su cacher, mais je trouverai sur lui les dépouilles qu’il s’est appropriées.
Et l’avocat général a commencé à décortiquer les faits. Patiemment, méthodiquement, à la façon d’un entomologiste qui suit les mouvements d’un insecte. Il te suivait partout. Sur la route de Houdan où armé de ton cric tu assommais Quemeneur, à Paris où tu tentais d’empocher le chèque, au Havre où tu envoyais le télégramme. Il entrait avec toi chez Chenouard, il discutait du prix de la machine, il t’aidait à la porter jusqu’au train. Il regardait par-dessus son épaule quand tu confectionnais les faux, il te guettait dans la salle d’attente du Havre, la valise de Quemeneur la main. Il entrait sur tes talons dans les prisons de Morlaix et de Quimper. Il intriguait avec toi pour trouver des faux témoins. Il écrivait des lettres clandestines à Marie-Jeanne. Il lisait dans tes pensées, il actionnait ton bras.
Tu le regardais, effaré, sans bien comprendre s’il était lui ou toi. Tu passais ta main sur ton front et, malgré la chaleur étouffante tu y trouvais la sueur glacée de la peur. Il agitait ses manches couleur de sang et sa voix prenait peu à peu de l’ampleur. Fini le mince filet douceâtre, c’était un flot qui montait et te vrillait dans les oreilles. Et cette bouche rose d’enfant, un pli mauvais la retroussait. Il continuait, mais tu n’écoutais plus. Tu sentais sa hargne contenue pendant tout le procès se déverser maintenant. Tu n’avais pas besoin des mots, le regard glacial te suffisait. Il s’adressait maintenant directement à toi.
- Seznec, votre crime, vous l’avez signé trois fois du nom de votre victime : par les fausses promesses de vente, par votre faux télégramme, par votre fausse inscription sur le carnet de Quemeneur. Et vous avez osé accuser la police de Rennes et de Paris. Elle est au contraire à féliciter, elle s’est toujours montrée correcte, adroite, intelligente et efficace. Trop efficace pour vous. C’est en fait ce que vous lui reprochez.
Tu regardais la foule, tous ces gens attentifs qui écoutaient l’œil vengeur une histoire qui ne les concernait pas directement. En face, alignés sur deux rangs, les jurés étaient figés dans leurs costumes foncés du dimanche. A nouveau tu as passé ta main sur ton front et tu y as retrouvé la sueur de la peur. Sous tes doigts tu sentais tes cicatrices, cette mince pellicule qui n’était ni peau ni chair et qui te brûlait.
D’un seul coup tu as eu envie de te lever pour quitter cette cérémonie macabre. Mais, avant même de faire l’effort de te soulever, tu t’es souvenu des deux gendarmes qui te serraient de près et de ces soldats qui montaient la garde aux quatre coins de la salle. Avait-on vraiment besoin de toi pour continuer ce procès ? Le doigt pointé de l’avocat général t’a retiré tes dernières illusions. Tu étais bien la pièce maîtresse, la cible de tous les regards. Sans toi, tout s’effondrait. Les gens rentraient chez eux, privés de leur raison d’être, de leur divertissement du moment, de leur sujet de conversation. Aucun doute, dans un procès, l’essentiel c’était l’accusé. Tu étais même trop modeste, ce n’était pas l’accusé. C’était toi.
L’index toujours tendu de l’avocat général Guillot ne te laissait aucun doute. Tu étais son bâton de maréchal, le point d’orgue de sa carrière. Il ne disait pas impersonnellement l’ « accusé », il répétait Seznec, en appuyant sur le z et le c, pour être sûr de ne pas te confondre avec un pauvre diable qu’il avait poursuivi jadis de sa hargne.
Depuis combien de temps parlait-il ? Deux heures, trois heures. Tu sentais ton dos douloureux, tu avais du mal à tenir ta tête droite, tu étais irrésistiblement attiré vers le nœud de bois et tes souliers couverts de poussière. Le public baissait aussi le nez. Un peu déçu par ce ronron rageur. Il était venu pour des envolées, de grands mouvements de manches et il assistait à un travail de sape besogneux.
L’avocat général s’était brusquement arrêté, les têtes s’étaient relevées. Il ne cherchait plus dans son dossier le procès-verbal irréfutable. Il prenait son souffle, son essor et d’une voix calme et forte lançait :
- Seznec, j’ai cherché partout. Nulle part dans votre crime, nulle part dans votre passé, je n’ai trouvé la moindre circonstance atténuante. Pour une sordide affaire d’argent, vous avez assassiné l’ami qui avait confiance en vous. Vous avez joué le tout pour le tout et vous avez perdu.
Il se tournait maintenant vers les jurés plus que jamais figés sur leurs bancs. Sa voix s’était faite âpre.
- Si vous avez l’intime conviction de la culpabilité, pas de faiblesse. Vous devez être de ces hommes qui savent prendre leurs responsabilités et s’y tenir. Votre verdict fera comprendre que l’homme ne doit plus être un loup pour l’homme. Il faut que cela cesse. Nous avons un autre idéal pour lequel sont morts un million et demi de nos frères. Un idéal de justice et d’humanité. Vous ne donnerez pas raison à la trahison et à la perfidie. Vous condamnerez cet homme à la seule peine qui soit à la mesure de son crime. Vous lui infligerez le châtiment suprême.
Il y a eu une longue rumeur d’approbation. Tu n’as pas réagi, tu n’arrivais pas à prendre conscience de ce que cela signifiait « Le châtiment suprême. » Au premier rang, une vieille femme s’est levée. Droite, aussi pâle que sa pauvre coiffe de coton. Elle a joint ses mains, ses lèvres remuaient convulsivement : elle priait. Tu l’as regardée, étonné, et tu as reconnu le regard effaré de ta mère. Tu as alors compris que cet homme en rouge qui se rasseyait, en s’efforçant de ne pas froisser ses manches, venait de réclamer ta mort."