Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
17 Octobre 2021
C'est en page 36 de son livre :
"La véritable question à ce stade est de comprendre comment les deux hommes ont pu se convaincre l'un l'autre d'un possible et juteux marché de rachats de Cadillac destinées à l'URSS. Comment cette idée farfelue a-t-elle pu s'insinuer dans l'esprit d'hommes certes habitués à toutes sortes de négoces mais sans doute pas à ce point d'étrangeté ?
En 1923, les relations entre la France et la Russie soviétique se sont apaisées mais elles n'ont toujours pas abouti à des accords commerciaux ni à une reconnaissance diplomatique. Il pourrait donc y avoir place pour des courants d'échanges plus ou moins discrets mais comment un conseiller général du Finistère et un maître de scierie de Morlaix peuvent-ils envisager être impliqués en de tels échanges, avec de tels enjeux géostratégiques ?
L'enquête a montré par la suite que, tout particulièrement dans l'entourage de Pierre Quemeneur, l'idée paraissait bizarre et fleurait bon l'escroquerie. Mais cette escroquerie, si elle avait été mise en place, ne se serait pas limitée à la Bretagne : on en trouverait trace ailleurs en France, ce qui n'est pas le cas. Les deux hommes sont-ils alors victimes d'une forme de folie des grandeurs, d'un rêve dépassant l'ordinaire commerce de poteaux de bois, de planches ou de sabots ? Où, ce qui sera l'hypothèse retenue plus tard, n'est-ce pas une invention, une entourloupe montée par Seznec au détriment de Quemeneur qui aurait fait preuve, en l'occurrence, d'une naïveté confondante ?"
Et en page 109 :
Précisons ici que Michel Pierre est, lui, un véritable historien.
"Nul n'a cru non plus à l'hypothèse d'un possible "trafic" de Cadillac avec l'URSS et personne n'a relayé une telle possibilité qui, si elle avait existé, n'aurait échappé ni à la presse, ni aux enquêteurs.
Même si, en 1923, le temps n'était pas encore à des relations sereines entre la France et l'URSS, on s'en approchait et de multiples contacts étaient déjà pris. Le Conseil suprême interallié avait levé le blocus contre la Russie fin 1919. Les relations commerciales et financières entre la France et l'URSS ne sont donc pas légalement interdites, sauf pour la vente d'armes et de munitions. Dès 1921, la France a autorisé l'ouverture à Paris d'une succursale d'Arcos (All Russian Cooperative Société), forme de groupe de coopératives plus ou moins spécialisées dans le traitement de tel ou tel produit. Il est vrai que les échanges sont difficiles et que la France ne joue qu'un rôle dérisoire pour ce qui est des flux à destination ou en provenance de l'URSS. Pour l'année 1922-1923, d'octobre à octobre, la France représente 0,1 % des importations soviétiques, l'Allemagne, 41,3 % et l'Angleterre, 25,2 %. De même, la France ne représente que 0,4 % des exportations soviétiques contre 22 % vers l'Angleterre et 22 % vers l'Allemagne.
Parallèlement, l'homme d'affaires américain Armand Hammer, dont le père était (un juif) originaire d'Odessa, est en URSS dès 1921 pour entamer un processus menant à la signature entre l'Union Soviétique et la Ford Motor Company d'un accord permettant de produire des voitures sous licence d'un constructeur américain.
Il n'y avait donc aucune difficulté pour le gouvernement soviétique à acheter des biens d'équipement par le truchement de plusieurs pays occidentaux, y compris quelques automobiles neuves pour les dirigeants du régime. Comment peut-on imaginer qu'une quelconque autorité de Moscou se soit lancée dans des achats plus ou moins clandestins sur le sol français de véhicules issus des stocks américains alors qu'il était possible de les acheter neufs à Londres ? De plus, comment imaginer que, pour ce faire, une quelconque officine se soit adressée à un conseiller général des Côtes du Nord et à un maître de scierie de Morlaix ?
Ironie des dates et fruit de nombreux entretiens, le gouvernement acte, le 2 novembre 1924, en plein procès Seznec et conjointement à la création de relations diplomatiques décidées le 28 octobre, l'ouverture à Paris d'une mission commerciale dont l'ambassadeur Léonid Borrissovitch précise "qu'elle devra se préoccuper avant tout de se documenter sur les possibilités de l'industrie française quant à la fourniture de machines, de tracteurs, de camions et d'avions. La France nous intéresse non seulement comme source d'importation, mais comme marché pour notre pétrole, notre blé et notre bois". Le directeur de cette mission, Krassine, a été choisi par Moscou pour son expérience des affaires, il a représenté l'entreprise allemande Siemens en Russie jusqu'en 1917, a été ministre soviétique au Commerce extérieur et officiait à Londres jusqu'en 1920 où il dirigeait la mission commerciale soviétique.
Il n'est donc pas étonnant que personne, ni la presse, ni l'accusation ou la défense de Seznec, ne se soit beaucoup préoccupé de l'existence d'obscurs circuits de transaction entre la France et l'URSS puisque chacun savait a l'époque que des contacts normaux se mettaient en place.
A partir du moment où nul n'envisage sérieusement cette hypothèse, la recherche du contact lié à cet improbable commerce, le dénommé "Sherdy" ou "Cherdly", n'a pas été une préoccupation majeure, ni des enquêteurs, ni des magistrats, ni de la défense."
Et, pour finir, en page 295 :
"Faut il préciser que la guerre civile russe qui commence en novembre 1917 (les Américains ont quelque peu l'usage de leur matériel sur le front occidental) s'achève en juin 1923 alors que commence à peine l'affaire Quemeneur-Seznec ? Et l'on pourrait ajouter que si du matériel américain est bien présent en Russie, c'est celui lié au débarquement le 3 août 1918 des 8 000 hommes du général Graves à Vladivostok, en allié des armées blanches opposées aux Soviets."
Rien à ajouter.
Ah si..
J'enfonce le clou, car, rappelez-vous...
Denis Seznec a toujours soutenu qu'un mensonge répété à l'infini devient une vérité.
Liliane Langellier