Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
25 Mai 2018
Toujours du même amour tu me vois enflammé.
(...) Malgré le faix des ans et du sort qui m'opprime,...
Racine (Mithridate)
J'ai envie, en ce jour anniversaire, de rendre hommage à la lutte de Marie-Jeanne Seznec...
Et je sais qui a su lui rendre un vibrant hommage.
C'est Yvonne Sarcey, dans les Annales Politiques et Littéraires, du dimanche 6 juin 1926.
L'article s'intitule "Une femme".
Et il est publié dans la rubrique "Lettres de la cousine".
N.B. Yvonne Sarcey (1869 - 1950) est l'un des pseudonymes de Madeleine Brisson, fille du critique Francisque Sarcey et épouse d’Adolphe Brisson.
En 1907, Yvonne Sarcey fonda l’Université des Annales qui, par la qualité de ses conférences, ajouta beaucoup au renom des Annales politiques et littéraires, « revue populaire paraissant le dimanche », créée en 1883 par Jules Brisson. constituée de textes signés de noms prestigieux du milieu littéraire.
En 1917, la revue tirait à près de deux cent mille exemplaires. Pierre Brisson, futur directeur du Figaro, entra aux Annales en 1919 aux côtés d’Adolphe, son père, en qualité de secrétaire de rédaction. À la mort de celui-ci, en 1925, il en prit la direction jusqu’en 1934. De 1934 à 1940, la direction de la revue fut assurée par Gérard Bauer. Après quatre ans de silence, Madeleine Brisson relança seule, en 1945, le cycle de conférences de l’Université des Annales.
"Je lis rarement les faits divers : le temps me manque et puis les histoires d'assassinat me semblent toujours d'une complication extrême. J'ai donc mal suivi l'affaire Seznec qui, pendant des semaines emplit les journaux de ses dramatiques péripéties. Mais, aujourd'hui, elle me prend aux entrailles, l'aventure, - que dis-je - la tragédie, l'admirable tragédie qu'une femme anime de sa foi tenace... Et je souhaiterais que Seznec fut innocent, puisque dans l'ombre, une flamme brûle, capable de lancer jusqu'au ciel des étincelles et d'y allumer une étoile.
Vous savez la trame du scénario : Seznec, maître de scierie, est accusé, au cours d'un voyage avec M. Quemeneur, marchand de bois, d'avoir fait disparaître son compagnon de voyage... L'a-t-il canardé de son revolver ? A-t-il enfoui son corps dans quelque trou mystérieux ?... La justice le croit, puisque Seznec fut condamné aux travaux forcés à perpétuité...
Des preuves formelles du crime, il n'y en a pas ; mais aux audiences, Seznec s'est mal défendu, des contradictions maladroites ont indisposé le jury, certaines dépositions l'ont accablé. En toute conscience, le jury le jugea coupable...
Mme Seznec ne partage pas cette opinion.
C'est une Bretonne au front têtu ; sous la coiffe blanche qui auréole son visage de nonne, une pensée d'honneur domine : opiniâtre, acharnée ; et sous les plis de son fichu un coeur fidèle bat douloureusement.
Chaque jour, on la vit au tribunal, à son banc, droite, silencieuse, dans sa robe traditionnelle, écoutant l'horrible histoire... Elle entendit tout ce qui peut blesser un amour, tout ce qui peut semer le doute dans l'esprit et la confusion dans l'âme. On étala devant elle les moindres faiblesses de l'homme ; autour de l'accusé, elle sentit grandir le mépris, et comprit que le nom dont elle était fière se couvrait de honte. Chaque jour, l'hallucination d'un cadavre, le cauchemar du sang éclaboussant une victime, lui furent imposés. Mais, simplement, la femme dit :
- Mon mari est innocent.
L'assassin de M.Quemeneur laissa quatre enfants en larme, un pays scandalisé par la scélératesse du meurtre, et, comme toujours, une réprobation lourde, haineuse, monta autour de la famille déshonorée.
Il fallut abandonner la maison où habitèrent l'aisance et la quiétude. Mme Seznec embrassa la vieille bonne qui avait aimé ses maîtres, s'occupa de faire admettre dans un couvent, sous des noms d'emprunt les filles du forçat..., ses filles qu'elle adorait, et, le coeur déchiré, quitta sa petite patrie, la maison du bonheur.
- Mon mari est innocent ! répétait doucement la Bretonne au front têtu...
Aujourd'hui, dans une pauvre cabane, non loin de Morlaix, elle vit avec le dernier de ses fils, son petit Albert, garçonnet de douze ans. Le sol en terre battue, les murs fumeux, le plafond bas et noir, feraient bien misérable l'humble logis, sans l'extrême propreté de Mme Seznec, qui prend un soin diligent du lit, de l'armoire et de la commode, seuls meubles de l'unique pièce. Tout est astiqué avec ferveur, le garçon tenu méticuleusement, elle-même pleine de décence, et puis, une conscience éclaire l'indigente baraque, une espérance passionnée l'embellit.
- Mon mari est innocent ! pense la vaillante créature.
Elle trouve le moyen de vivre, avec cinquante francs par mois que lui sert le liquidateur de son mari, et accomplit le prodige, du fond de sa hutte, d'ébranler la conviction de ses juges. Sans argent, sans moyens de défense, elle cherche, comme un pauvre chien haletant et fidèle, la piste favorable...
Son mari innocent -, cela c'est la vérité qu'elle tient. Elle est sûre de cette réalité-là, comme elle est sûre du soleil, de son pater, et de la tendresse de ses enfants. Il ne s'agit plus que de prouver aux hommes la lumière.
Et la voilà qui s'acharne à découvrir le fait nouveau permettant la révision du procès. Avec un flair et un instinct admirables, elle tombe en arrêt devant la moindre fissure par où pourrait passer l'innocence du condamné...
Pourquoi n'a-t-on pas essayé de retrouver l'homme à la figure de matelot qui, à la gare du Havre, jeta sous une banquette la valise de M. Quemeneur ?
Pourquoi ne fait-on pas rechercher l'employé de la poste du boulevard Malesherbes, lequel remit à un individu, n'étant pas Seznec, le pli contenant un chèque adressé à Quemeneur par le notaire, son beau-frère ?...
Et puis, quel baume lui apporte la visite de la dame en noir, secrète et romanesque dame affirmant avoir causé avec M. Quemeneur, quelques jours après la date de sa disparition !
Dans le dédale impénétrable du mystère, Mme Seznec, à tâtons, avec des mains de croyante, se dirige vers le but. Rien ne la presse, rien ne la déçoit, rien ne la décourage. Aux gens qui voyaient une feinte dans ses efforts, dont la raison eût été d'empêcher Seznec de s'embarquer pour Cayenne, elle répond :
- Sans argent, il m'a été, il me sera impossible d'aller à l'île de Ré. Que mon mari soit là ou à la Guyane, la séparation, pour moi, est identique.
Ce qu'elle veut, c'est, avec l'aide de Dieu, prouver l'innocence de Seznec, compagnon de sa vie, père de ses quatre enfants.
- Si le procès n'est pas révisé et si mon mari partait pour la Guyane ou mourait avant moi, je continuerais les recherches pour la vérité, et je ne m'arrêterais qu'à mon dernier souffle de crier son innocence à la face de la terre et du ciel...
Je ne sais si vous partagerez mon avis, mais je trouve d'une impressionnante beauté l'attitude de cette femme. Et si j'étais juré, je voudrais m'être trompé... Car, en somme, que savons-nous de ce maître de scierie ?... Ses apparences..., quelques actes..., ce qu'ont raconté des témoins..., et, autour d'un crime, les présomptions qui ont suggestionné l'idée de la culpabilité. Mais, elle, la Bretonne, elle n'a que faire des dépositions coutumières, ni des preuves psychologiques qui s'accumulent contre son homme, ni des arguties de la défense. En face d'elle, elle a tenu l'être cher avec lequel elle a dormi plus de vingt ans, dont elle connaît par coeur les expressions, les réveils, les attitudes, les défaillances, les larmes, les moindres frémissements et jusqu'aux rêves nocturnes ; et, ses yeux de voyante au fond de ses yeux, elle a lu le verdict qui ne trompe pas. Elle sait... Et nouvelle Eponine, elle cracherait à la face de n'importe quel juge sa certitude :
- Mon mari est innocent !
Et parce qu'il n'y a pas de force plus puissante que l'amour, principe créateur de toutes choses, et que cette femme couverte d'opprobre ne veut voir, aux bords de l'affreux précipice, qu'un pan de ciel répétant sans le savoir l'adorable vers de Racine :
Toujours du même amour tu me vois enflammé ;
Parce qu'une humble Bretonne, perdue dans une cabane, se bat, héroïque et douce, pour le forçat qui garde sa confiance ; parce qu'elle donne au monde l'exemple de la fidélité dans le malheur et de la foi qui soulève des montagnes, je voudrais dire que le miracle vînt à elle et que Seznec, réhabilité, tombât un jour sur ce coeur courageux.
YVONNE SARCEY"
Nous sommes en juin 1926.
Marie-Jeanne se bat pour faire réhabiliter son homme.
Lire sur la piste de Lormaye :
Les demandes de révision du procès de Guillaume (1)
Joli ? Non ?
J'offre ce texte à Jean-Yves et Gabriel Seznec.
En souvenir de la lutte de leur grand-mère, bien sûr.
Mais aussi pour cette première fête des mères, sans Claudie à leurs côtés.
Je compatis d'autant qu'aujourd'hui, c'est le 19ème anniversaire de la mort de ma Jeannette à moi.
Que nos mères, dans leur immense amour, veillent toujours doucement sur nous !
Liliane Langellier
P.S. Cet article est mon 100ème article sur mes blogs "Seznec" depuis le jour des fouilles, le 24 février dernier.
P.S. 2 Dans l'émission de Pottecher...
En ce qui concerne la reproduction du télégramme de Quémeneur à Pouliquen du jeudi 24 mai 1923 au soir...
Je continue de penser que c'est une reproduction agrandie pour les besoins de l'émission.
Car nous n'avons jamais vu une seule reproduction de ce télégramme.
Et puis...
Souvenez-vous...
Jean Pouliquen, le notaire, nous a bien dit que le télégramme du Havre était un faux car son beau-frère Quémeneur signait toujours Pierre dans les correspondances à sa famille...
in page 90 Bernez Rouz.
Et, là, c'est bel et bien signé "Quémeneur".
P.S. 3 Lire chez Erwan Le Gall :
Un débarquement passé inaperçu :
l'arrivée des Américains à Saint-Nazaire le 27 juin 1917
"C’est ainsi dans le port de Saint-Nazaire, à 7 heures du matin, le 26 juin 1917, qu’arrivent les premiers boys d’outre-Atlantique, à bord du Tenadores, un cargo mixte à vapeur construit en 1913 à Belfast et converti en transport de troupes. Pourtant, contre toute attente et contrairement à ce que suggère trop souvent un discours mémoriel bien souvent décalqué du D-Day, ce débarquement ne suscite aucun enthousiasme dans la population bretonne."
Réunion de famille chez Madame Adolphe Brisson en 1893. Portraits réunis d’Yvonne Sarcey épouse d’Adolphe Brisson (1869-1950) ; d’Adolphe Brisson (1860-1925) ; de Francisque Sarcey (1827-1899) ; de Jules Brisson (1828-1902)