Je m'étais contenté dans mon premier billet sur le sujet de parler de la seule procédure de révision, n'ayant pas eu le temps de parcourir à loisir l'arrêt de la cour de révision.

Mais les points de vue partisans se multipliant, et, faute de pouvoir démontrer l'inanité de la décision, attaquant les juges l'ayant rendu quand ce n'est pas la justice en général, il me paraît opportun de faire un résumé du fond de la décision cette fois ci, pour que, sans avoir à lire l'arrêt, vous puissiez comprendre que la décision qui a été rendue n'a rien de scandaleux, et que l'on doit à la vérité de l'admettre : l'innocence de Seznec n'est pas aussi évidente que ses défenseurs le disent.

Qu'il soit clair ici que je ne prends pas partie dans un dossier que je ne connais pas en détail. Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur le sujet, je ne suis ni parent, ni allié ni au service d'une partie. Je ne me fais ici que le porte-parole de la cour de révision. Mais je dois à l'honnêteté d'ajouter que mes doutes sur la culpabilité de Seznec ont été sérieusement ébranlés par la lecture de cet arrêt.

Récapitulons les faits, ce qui est déjà un sacré défi.

Les faits.

Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec, entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, et Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère et négociant, prennent la route de Paris à bord d'une voiture de marque Cadillac, après avoir passé la nuit à Rennes, Hôtel de Paris. Le but de leur voyage est de négocier une vente à grande échelles de véhicules Cadillac, abandonnés par les troupes américaines après la guerre. D'après Seznec, Quemeneur devait rencontrer le lendemain à huit heures un certain Chardy, ou Sherdly. L'affaire était très prometteuse.

Quéméneur avait indiqué à sa famille qu'il serait de retour le 28. On ne le revit jamais. Seznec revint à Morlaix, avec l'automobile, le 27 mai au soir, seul.

La famille Quéméneur s'inquiéta et alla voir Seznec pour lui demander des nouvelles. Il leur dit qu'à cause de pannes de la voiture, il avait laissé Quéméneur à la gare de Dreux, où il avait pris le train pour Paris. Pour calmer leur inquiétude, il suggéra qu'il avait peut-être dû aller en Amérique.

Le 13 juin, un télégramme signé Quéméneur fut envoyé du Havre, principal port de départ vers l'Amérique, disant « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ».

Le 20 juin, un employé de la gare du Havre découvrit une valise avec des papiers au nom de Quéméneur. Sa famille fut avisé.

Le 22 juin, une instruction pour disparition suspecte fut ouverte à Brest. Dans le cadre de cette instruction, la valise fut saisie. Elle contenait notamment une promesse de vente dactylographiée (ce qui à l'époque est rare) portant sur un manoir situé à Plourivo, appartenant à Quéméneur, au bénéfice de Seznec et pour une somme ridicule : 35000 francs de l'époque, soit 35000 euros.

Le 26 juin, Seznec est entendu par les gendarmes. Il explique que cette promesse de vente a été rédigée par Quéméneur et lui a été consentie contre la remise de 4040 dollars or qu'il venait de changer à Brest, les 35 000 euros représentant le solde du prix de vente. Cette remise a eu lieu sans témoin. Quéméneur aurait souhaité avoir des fonds liquides pour traiter l'affaire qui l'appelait à Paris, sans que Seznec n'en sût plus, son rôle s'étant limité à recevoir pour Quéméneur des courriers adressés sur des enveloppes à en-tête de la chambre de commerce américaine de Paris.

Il raconte le détail du voyage vers Paris, et le fait que la voiture étant en panne, il avait laissé Quéméneur à Dreux et était rentré... à Morlaix. Rappelons que Dreux est à 80 km de Paris et 486 km de Morlaix...

L'instruction

L'instruction va découvrir les faits suivants :

Huit témoins les ont vu ensemble à Houdan, à 60km de Paris, où ils se sont renseignés sur l'heure du dernier train pour Paris ; celui-ci étant parti, ils ont repris la route ensemble. Quéméneur n'avait donc pas quitté Seznec à Dreux.

Un témoin a vu Seznec seul au volant de sa voiture, au petit matin du jour suivant, à la Queue Lez Yvelines, à 15 km d'Houdan sur la route de Paris. Ce témoin l'a aidé avec sa voiture en panne. Seznec a reconnu ce fait.

Le 12 juin, Seznec est parti en voiture (confirmé par son épouse), il a laissé sa voiture dans une ferme à Plouaret.

Le 13 juin, jour de l'envoi du télégramme signé Quéméneur, Seznec était au Havre. Il y a acheté la machine à écrire qui a servi à taper la promesse de vente. Cinq témoins ont confirmé ces faits. Il utilisait un nom d'emprunt lors de ce séjour. La boutique était proche du bureau de poste d'où le télégramme a été expédié.

Le même jour, il a été vu dans la soirée à la gare Montparnasse à Paris, à 21 heures, où il prenait le train pour Plouaret (deux témoins l'ont aidé à déposer un colis pesant, la machine à écrire probablement).

Le 14 juin au matin, il a récupéré sa voiture à Plouaret au petit matin, soit dans l'heure qui a suivi l'arrivée du train où il a été vu la veille.