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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

9 août 2020. Interview de l'historien Michel Pierre par Libération...

 

«L’affaire Seznec est devenue irrationnelle»

 

Un article de Thibaut Sardier.

 

Malgré les quatorze demandes de révision lancées depuis près d’un siècle par des soutiens convaincus de son innocence, l’historien Michel Pierre, comme la commission de révision de 2006, l’assure : les archives montrent bien que Guillaume Seznec a tué Pierre Quéméneur en 1923.

Guillaume Seznec, innocent ? Cette question simple a créé une affaire judiciaire compliquée, durant près d’un siècle. Pourtant, lorsqu’il fut condamné au bagne à perpétuité en 1924 pour le meurtre de Pierre Quéméneur, rien ne laissait attendre tant de débats, et quatorze demandes de révision. L’histoire semblait même claire : le 25 mai 1923, les deux hommes régulièrement associés en affaires - Quéméneur est négociant en bois à Landerneau et conseiller général d’un canton du Finistère, Seznec est maître de scierie à Morlaix - se rendent de Bretagne à Paris au volant d’une Cadillac qu’ils comptent céder à un acheteur. Au cours du voyage, à Dreux ou à Houdan, ils se séparent. D’après Seznec, Quéméneur prend un train pour Paris, mais il disparaît. On ne retrouvera jamais son corps.

S’il soutient qu’il n’a pas revu son comparse après la séparation, de nombreux éléments semblent confondre Seznec. On retrouve deux promesses de vente relatives à l’achat par Seznec d’une vaste propriété de Quéméneur, à Plourivo (Côtes-d’Armor). Ils constituent un bon mobile pour le crime : prévoyant une somme largement en dessous du marché, les documents tapés à la machine semblent avoir été écrits à la va-vite. Des témoins certifient avoir vendu à l’accusé une machine à écrire au Havre peu après la disparition de Quéméneur. D’autres affirment l’avoir vu dans une banque à Paris le 2 juin tenter de retirer de l’argent à la place du disparu. Sans oublier la tentative de susciter de faux témoignages pendant le procès, avec l’appui de sa femme. Exprimant leur intime conviction, les jurés de 1924 le désignent coupable de meurtre et de faux en écriture privée. En 1947, avec la fin du bagne, il est rapatrié en France et gracié. Pourtant, il ne cessera de clamer son innocence, comme le feront (même après sa mort) des soutiens convaincus, parmi lesquels un ex-juge d’instruction, une militante de la Ligue des droits de l’homme (LDH), ou un avocat, sans oublier son petit-fils, Denis Le Her. Mais pour Michel Pierre, agrégé d’histoire, spécialiste d’histoire pénale et d’histoire coloniale, aucune des hypothèses mises sur la table depuis 1924 ne tient. Dans l’Impossible Innocence (Tallandier, 2019), il infirme ou met en doute ces arguments à travers une lecture des archives de l’époque. Ce faisant, il raconte un siècle de rebondissements qu’il analyse sous le prisme de l’emballement médiatique.

L’innocence de Seznec est encore largement défendue. Pourquoi le pensez-vous coupable ?

C’est la conclusion d’un travail au plus près des faits et des archives. J’ai voulu voir s’il y avait des défaillances dans l’enquête, l’instruction et le procès d’assises de 1923-1924. En consultant les dossiers des magistrats, j’ai remarqué que le juge Campion, qui dirige l’instruction durant plus d’un an, est considéré comme «pusillanime». Il vérifie tout, à charge et à décharge, sans opinion préconçue, et multiplie les commissions rogatoires pour prendre en compte les alibis avancés par Seznec, qu’il encourage à s’expliquer. De plus, les documents de la police tout comme les comptes rendus de la presse montrent que l’enquête a été bien menée. Cela vaut pour l’instruction comme pour le procès d’assises de 1924. Le président de la cour va jusqu’à demander au juge d’instruction de témoigner devant les jurés, afin de lever tout doute. Une chose rare, qui montre la volonté de prendre le temps de faire toute la lumière sur l’affaire.

Tout converge-t-il alors vers l’hypothèse de la culpabilité ?

Oui, parce que Seznec est incapable de produire des alibis solides à des moments clés. Le 13 juin 1923, témoignages et indices établissent qu’il se trouve alors au Havre, où il achète une machine à écrire retrouvée plus tard dans sa scierie et qui a servi à taper les fausses promesses de vente de la propriété de Quéméneur à Plourivo. Il envoie aussi un télégramme faussement signé «Quéméneur» pour rassurer la famille du disparu. Lui prétend être à Saint-Brieuc le 13 juin 1923, mais il se révèle incapable d’en fournir la preuve. Il en va de même le 20 juin, lorsqu’on découvre en gare du Havre la valise de Pierre Quéméneur. Elle contient l’une des promesses de vente (Seznec détient la seconde) et un carnet de dépenses mentionnant l’achat de billets de train qui laissent croire que les deux hommes se sont bien séparés à Dreux le 25 mai et que Quéméneur s’est ensuite rendu au Havre. Or, l’écriture est manifestement celle de Seznec, qui a été vu au Havre ce jour-là avec deux valises. Il s’avère à nouveau incapable de fournir un alibi.

Qu’en est-il à vos yeux de cette fameuse promesse de vente de la propriété de Plourivo ?

Les deux exemplaires fourmillent d’erreurs de frappe et de ratures manuscrites. Or Guillaume Seznec en fait peu usage. Il a acheté une machine d’occasion, qui laisse apparaître des blancs et des défauts sur certains caractères. Bref, il bricole, avec maladresse. Quand on compare cet acte avec des documents dactylographiés par des professionnels, on voit qu’il est impossible que ces documents puissent provenir d’une étude de notaire. Soyons simples : les faux impliquent le crime ! Cette promesse était une aubaine pour Seznec : elle prévoyait un montant de 35 000 francs à l’entrée en jouissance du bien pour une propriété qui en valait au moins 100 000. Guillaume a expliqué que les 65 000 francs manquants avaient été versés de la main à la main le 25 mai, avec des dollars or collectés en 1917 lorsqu’il était propriétaire d’une blanchisserie à Brest en contrat avec le «Camp Hospital No. 33» de l’armée américaine. Certains officiers auraient ainsi réglé en pièces d’or, ce qu’on imagine difficilement. Si Seznec possédait bien quelques dollars or, il n’a pas pu collecter ainsi une telle somme. Les 65 000 francs n’ont jamais existé !

Si tout condamne Seznec, comment expliquer les multiples demandes de révision ?

Lors du verdict du procès, nul journaliste ou chroniqueur judiciaire n’imagine que va bientôt prospérer l’idée d’une erreur judiciaire. Il y a bien les demandes de révision de sa femme, mais elles ne sont fondées sur rien de sérieux. Il n’en est pas de même lorsque entre en scène, dans les années 30, un ancien juge d’instruction, Charles-Victor Hervé. Ce dernier évoque des témoignages de marins, qui auraient entendu des coups de feu dans la propriété de Plourivo : Quéméneur aurait donc été tué chez lui. La date donnée par les marins ne concorde pas avec celle de sa disparition, mais qu’importe. Il faut dire que le juge Hervé ne jouit pas de toutes ses facultés : il a été interné à l’hôpital psychiatrique de Rennes. Il a ensuite démissionné de la magistrature et s’est pris de passion pour l’affaire Seznec. Il va recevoir le soutien d’un hebdomadaire fasciste de Rennes dont le rédacteur en chef comprend qu’il y a des coups à donner à la justice républicaine. Un deuxième soutien lui vient de la représentante du Finistère de la LDH, Mme Bosser, institutrice à Riec-sur-Bélon. Cette alliance improbable parvient à multiplier meetings et réunions qui rassemblent des milliers de gens sensibles à l’idée d’une erreur judiciaire. Le problème, c’est que le juge Hervé annonce toujours qu’il va produire des faits nouveaux, en particulier le nom du chauffeur qui aurait conduit Quéméneur à Plourivo. Or il n’y parvient jamais. Les différents ministres de la Justice ne peuvent, dès lors, rien faire.

Face aux demandes de révision, pourquoi revenez-vous toujours aux documents de 1923-1924 ?

Il s’agit de voir si des éléments nouveaux mettent en doute les conclusions de l’époque. Ce n’est pas le cas. Parmi les hypothèses souvent soulevées, on trouve l’idée que les deux hommes auraient fait les frais d’un trafic de véhicules automobiles dont des Cadillac issues des stocks américains de la Grande Guerre et achetées en sous-main par l’URSS. Il est extravagant de penser que cinq ans après la fin de la guerre, le pouvoir bolchevik se soit intéressé à des voitures d’occasion de ce type alors que les besoins étaient en camions et tracteurs. De plus, pour les dirigeants soviétiques, il était possible d’acheter des modèles neufs via l’Allemagne ou l’Angleterre.

L’une des pistes récentes s’appuie sur le témoignage de «Petit Guillaume», l’un des enfants de Seznec.

Selon cette hypothèse, Quéméneur aurait tenté d’agresser sexuellement la femme de Guillaume Seznec le dimanche 27 mai 1923, en sachant Seznec à la capitale. Il aurait pris le train de nuit vers Morlaix pour satisfaire une pulsion aussi impérieuse que coupable. Madame Seznec se serait alors défendue, et il serait mort, recevant un coup de chandelier ou heurtant un coin de cheminée. Rentrant quelques heures plus tard, Guillaume aurait alors découvert le corps, qu’il aurait enterré ou brûlé dans la chaudière de la scierie. Le couple aurait rédigé les fausses promesses de vente pour remplacer d’hypothétiques documents authentiques tachés de sang. Ce témoignage a entraîné en février 2018 des fouilles dans l’ancien bâtiment d’habitation des Seznec. Elles n’ont rien donné.

Pourquoi l’opinion suit-elle ?

Il y a d’abord le rôle de la presse, qui sait que le nom de Seznec fait vendre, d’où le grand intérêt porté au bagnard à son retour de Guyane. Mais on le voit à toutes les époques : dans les années 30, le magazine Détective fait figurer Seznec parmi dix bagnards que les lecteurs doivent départager pour désigner celui qui mérite une grâce (il arrivera troisième). Plus tard, le relais est pris par la radio, puis la télévision. En 1991, Patrick Le Lay, dirigeant de TF1 et néanmoins Breton militant, passe commande à Yves Boisset d’un téléfilm plutôt acquis à l’innocence de Seznec et appuyé sur les travaux de l’avocat Denis Langlois. On voit se perpétuer un côté régionaliste, bretonnant, comme si c’était la justice de Paris qui avait envoyé un Breton au bagne, en oubliant qu’il a été condamné par des jurés de Quimper. Cela est devenu totalement irrationnel, une affaire Dreyfus à la bretonne… Il y avait eu les meetings des années 30 et, plus de quarante ans plus tard, vient le temps des pétitions grâce à un remarquable travail de lobbying mené par Denis Le Her, petit-fils de Guillaume Seznec. Sans rien y connaître mais animé de la sainte croyance en une abominable erreur judiciaire, tout le monde signe. On retrouve des élus, des actrices, des metteurs en scène, des cinéastes, des écrivains, des navigateurs, ce qui laisse rêveur sur le pouvoir des mythes.

Ce mouvement obtient une demande de révision…

Elle est portée en 2001 par la ministre de la Justice et élue bretonne Marylise Lebranchu, estimant que la «surabondance des preuves réunies contre Seznec» était «suspecte» et relevait d’une «machination policière». Le complotisme à ce niveau de l’Etat mérite en soi d’être noté. Le dossier est alors confié à une commission de 33 magistrats présidée par Bruno Cotte, alors président de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Personne dans la commission n’a de lien avec les épisodes précédents de l’affaire Seznec, et un travail sérieux est mené. Nul n’imagine que la commission puisse ne pas adhérer à l’opinion publique. On comprend la stupéfaction lorsque en décembre 2006, il y a rejet, à la majorité des magistrats, de la demande de révision. Tout était pourtant prêt pour satisfaire une foule de partisans sur fond de binious et de drapeaux bretons. La presse dans sa majorité crie au déni de justice. En réalité, le travail de cette commission aura été un exemple de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs, et on ne peut que s’en réjouir.

Depuis 2006, l’affaire semble moins intéresser le public.

Il y eut de vagues rebondissements et une pièce de théâtre de Robert Hossein quelque peu orientée où spectateurs et téléspectateurs ont eu l’occasion de voter pour ou contre la culpabilité. Inutile de préciser que les jurés ont à chaque fois voté pour l’innocence à plus de 90 %. Aujourd’hui, les choses s’apaisent et il devient possible de travailler sereinement sur un événement qui est tout à la fois une affaire criminelle, une folie médiatique, un avatar des théories complotistes et un goût pour les machinations policières et d’improbables affaires d’Etat.

Quelle est votre intime conviction quant aux motivations de Seznec ?

Je pense qu’il est arrivé un moment où Guillaume Seznec avait fini par détester Pierre Quéméneur. Financièrement aux abois, il a vu dans son compagnon quelqu’un qui prospérait, et dont il convoitait les biens. Un crime d’opportunité, en quelque sorte.

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