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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

L'affaire Seznec et L'affaire Sévéléder....

"Il faut aussi que je vous parle d’une autre affaire, dite affaire Sévéléder, qui avait fait beaucoup de bruit par chez nous, jugée au Mans peu avant le crime de Seznec, et mettant en cause deux amants qui voulaient se débarrasser du mari gênant. Le trio était natif du sud-Finistère, à peu de distance du lieu de naissance des époux Seznec. Un vaudeville pathétique qui n’a rien à voir avec le fond de notre affaire Seznec, mais le modus operandi (éloigner la victime de ses bases sous prétexte de faire de bonnes affaires au loin, guet-apens), m’y fait penser, et même s’il faut se méfier des intuitions, je me demande s’il n’a pas un peu inspiré les Seznec… J‘aurais bien aimé que vous me donniez votre avis là-dessus quand vous aurez un peu de temps." 

Annick Le Douget 

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Le mari fou amoureux, la femme, l’amant et le tueur à gage : le vaudeville breton qui a fasciné la France

 Sacha Guitry a popularisé le triangle amoureux du mari, sa femme et de l’amant. La justice tout autant, comme en 1922, où la tentative d’assassinat d’un Breton, commanditée par son épouse et son soupirant, prit une dimension nationale, en raison de l’attachement irraisonné de la victime pour sa conjointe. 

 « Souvent pour deux époux, l’art d’être heureux, c’est l’indulgence », écrivit un poète. En la matière, personne n’égalera Joseph Sévéléder. Cet homme était un agent d’assurances, né à Poullan-sur-Mer, près de Douarnenez. En 1911, il se marie avec Corentine Le Roux, fille du boucher de Plogastel-Saint-Germain. Elle a 20 ans, lui 33 ans. En 1912, ils deviennent parents d’une petite fille, née à Quimper.

 De Lorient à Brest 

Joseph et Corentine déménagent à Lorient, où ils reprennent un café, le « bar central ». Puis, en 1916, ils atterrissent à Brest, pour tenir une librairie papeterie, rue du pont, dans le quartier de Recouvrance. Le couple y recroise Corentin Coïc, un sous-officier originaire de Pouldreuzic qui fréquentait son bistrot lorientais. Il a été muté à Brest comme « maître fourrier », soit chargé de la comptabilité et des écritures administratives à bord d’un navire. 

Les amants et le matelot 

Corentin Coïc aurait-il des vues sur Corentine ? Joseph Sévéléder finit par nourrir quelques soupçons. Il coupe les ponts. Rien n’y fait. À son insu, les deux amants se retrouvent dès qu’ils le peuvent et commencent à se dire que Joseph est enquiquinant. S’il venait malencontreusement à disparaître, rien ne ferait plus obstacle à leur bonheur… C’est là qu’entre en scène Emile Dupré, un jeune matelot, originaire du Mans et affecté début 1919 au 2e dépôt des équipages de la flotte, sous les ordres de Corentin Coïc.

 Reconnaissance de dette 

Emile Dupré n’est pas un marin zélé. Corentin Coïc lui promet une affectation à terre s’il les aide à se débarrasser de Joseph Sévéléder. Il y ajoute une reconnaissance de dette de 1 800 francs qu’il lui réglera une fois l’assassinat perpétré. Tope là ! Dupré se fait passer pour un voyageur de commerce. Mi-mars 1919, il démarche Joseph Sévéléder en se faisant passer pour un représentant d’une maison d’édition de cartes postales basée au Mans. Il convainc le libraire papetier brestois de l’accompagner au Mans pour acheter un stock de cartes postales à prix cassé.

 Jeté dans la Sarthe 

Sévéléder accepte. Le 17 mars 1919, les deux hommes prennent le train à Brest. Ils arrivent au Mans vers 1 h du matin. Les deux hommes marchent sur le boulevard Demorieux, qui relie la gare nord au centre-ville du Mans. Arrivé sous les arches d’un viaduc qui surplombe l’artère, Dupré se saisit d’une massette en fonte que lui avait fournie Corentin Coïc. Il assomme Joseph Sévéléder puis lui porte plusieurs coups de couteau. Persuadé de l’avoir tué, il le tire jusqu’à la Sarthe qui coule tout près de là et le jette dans la rivière. L’eau froide ranime Joseph Sévéléder ! Il râle, appelle à l’aide. Deux cheminots qui travaillaient sur le viaduc l’entendent et accourent. Ils parviennent à le sortir de la rivière et alertent les secours.

 L’enquête piétine 

Hospitalisé, Joseph Sévéléder survit malgré ses graves blessures. L’un des coups de couteau lui a notamment perforé le poumon droit. Au bout de quinze jours, il est transféré en convalescence à Brest. Emile Dupré, lui, s’est réfugié chez ses parents, qui habitent toujours Le Mans. Couvert du sang de sa victime, il leur a tout raconté. Mais c’est leur fils ! Alors ils conviennent de ne pas aller voir la police. L’enquête, ouverte pour assassinat, piétinera pendant deux ans, jusqu’à ce qu’un courrier anonyme désigne Emile Dupré comme l’auteur de la tentative de crime. 

150 lettres d’amour 

Les policiers Manceaux convoquent Joseph Sévéléder le 13 juin 1921. Il est confronté à Emile Dupré. Il le reconnaît aussitôt. Dupré se met à table, reconnaît les faits et désigne Corentin Coïc comme le commanditaire du meurtre. Il remet au juge d’instruction la reconnaissance de dette de 1 800 francs que le sous-officier lui avait remis. Corentin Coïc est arrêté. La cabine qu’il occupe à bord du navire « Le Calédonien » est perquisitionnée. Cent cinquante lettres d’amour signées Corentine sont saisies. Plusieurs évoquent Joseph, qui reste diminué depuis l’agression. L’épouse espère qu’il trépasse sans tarder. Elle est arrêtée le 1er juillet 1921. Joseph Sévéléder s’insurge, exhorte les enquêteurs à la libérer. 

Joseph défend sa femme

 Las ! Corentine est transférée à la prison du Mans. Ni une ni deux, Joseph Sévéléder prend un pied-à-terre dans la ville pour être au plus près de son épouse. Il lui fait livrer des pâtisseries et des fruits en prison. Il hante aussi le palais de justice, espérant l’entrapercevoir en marge des convocations par le juge d’instruction. Il tente tout, même d’obtenir sa libération auprès du magistrat, ce qui lui vaut une sacrée remontée de bretelles. L’instruction se poursuit et quand Joseph est auditionné, il défend sa femme avec ardeur, assure qu’elle ne devait pas avoir toute sa tête quand elle a écrit ses lettres.

 Tentative d’empoisonnement 

Au cours de l’été 1921, ses efforts portent leurs fruits : Corentine obtient un non-lieu, faute d’éléments probants pouvant attester de sa complicité. Joseph emmène son épouse à Casablanca, pour un nouveau départ. C’est sans compter sur leur domestique. Celle qui s’était tue jusque-là révèle que Corentine et Corentin lui ont proposé chacun 1 000 francs si elle acceptait de verser du poison dans la tisane de son employeur. Fin de la parenthèse marocaine : Corentine est arrêtée en janvier 1922. Inculpée de tentative d’empoisonnement sur son mari, elle retrouve sa cellule, au Mans. 

« Aveuglement stupide ou foi sublime ? » 

Le procès s’ouvre le 27 septembre 1922 devant la cour d’assises de la Sarthe. La salle d’audience est comble. Les journalistes parisiens ont fait le voyage et ironisent sur ce vaudeville breton. Corentin et Corentine nient mordicus. Emile Dupré est le seul à reconnaître sa culpabilité. Les journalistes s’intéressent presque davantage à Joseph Sévéléder, essayant de percer les raisons qui le poussent à défendre sa femme obstinément. « Aveuglement stupide ou foi sublime ? », s’interroge le chroniqueur du Matin. Joseph est décrit comme « héroïque et lamentable ». Quand vient pour lui le moment de témoigner à la barre, il supplie : « Messieurs les jurés, soyez cléments au nom de mon enfant ! »

 Acquittés !

 Coup de théâtre : le trio d’accusés est acquitté ! Joseph Sévéléder est aux anges. Les journaux s’étonnent d’un tel verdict puis passent à autre chose. Joseph et Corentine ont quitté Brest et se sont installés à Lyon avec leur fille. Corentin Coïc a gardé son poste dans la marine, s’est marié et a pris sa retraite à Port-Louis. L’amour aveugle de Joseph tombe dans l’oubli. Rideau.

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