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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

Affaire Seznec. De la lettre des descendants de Pierre Quémeneur en janvier 2006

“Une lettre c'est magnifique et précieux comme un morceau d'âme.”
Anne Dandurand / Petites âmes sous ultimatum

M. Le Président..

La Cour de Cassation a été saisie d'une nouvelle demande de révision du procès de Guillaume Seznec pour meurtre à la suite de la disparition de Pierre Quémeneur il y a plus de quatre-vingt ans.           

Descendants ou alliés des familles Quemener et Pouliquen, nous sommes amenés à nous départir de la réserve à laquelle celles-ci s'étaient tenues jusqu'à présent car nous sommes surpris du tour que prend cette affaire et craignons notamment qu'on ne cherche à faire avaliser par la justice une version partiale des faits présentée auprès d'une large partie de l'opinion comme une vérité déjà acquise.

Cette affaire déchaîne certes depuis l'origine les passions les plus irrationnelles souvent très éloignées du contenu du dossier judiciaire dont ont eu à connaître les jurés des assises de Quimper. L'horreur du bagne, l'amateurisme d'une presse à sensation et, comme l'analyse très bien l'historien Michel Pierre (Cf. infra), un complexe de la Bretagne par rapport à Paris y ont contribué. Mais, ce qui est aujourd'hui plus singulier, est qu'un homme, profitant de ce que le champ de la mémoire est devenu vierge depuis la disparition des derniers protagonistes de l'affaire au début des années 1950, réussisse à l'investir tout entier et à faire de "l'Affaire" sa chose au point de donner au public la version officielle des faits dans un livre et un téléfilm sortis il y a quelques années.

L'intéressé à eu l'intelligence  dans une société de communication, de parvenir à circonvenir tous les relais d'opinion. Politique d'abord, ce qui lui a permis d'obtenir que le Parlement vote en 1989 une loi allégeant la charge de la preuve pour la révision d'un procès pénal mais aussi que le maire de Morlaix, devenue garde des Sceaux, ne ressaisisse la commission de révision quand il n'était lui-même plus recevable à le faire et ce, fait sans précédent, moins de cinq ans après le rejet sans équivoque en 1996 d'une précédente requête !

Les médias audiovisuels comme la presse écrite lui sont ensuite très largement acquis. Que ce soit à la télévision ou la radio, il est le seul à s'exprimer sur l'affaire Seznec présentée depuis longtemps dans ces supports comme l'une des grandes erreurs judiciaires du siècle que seule une justice corporatiste et d'un autre temps s'acharne à ne pas vouloir reconnaître. 

Seules quelques personnes courageuses, qui se sont quant à elles intéressées au contenu du dossier judiciaire, osent avancer que l'instruction de l'affaire comme celle de ses nombreuses demandes de révision ont été menées avec sérieux et que le poids des charges qui pesaient sur G. Seznec permet difficilement d'envisager sa réhabilitation. Nous pensons à l'historien Michel Pierre précité (Cf. La revue Histoire septembre 2001 "L'affaire Seznec : "Et si Seznec était coupable..."), au journaliste Bernez Rouz (L'affaire Quémeneur Seznec : enquête sur un mystère éditions Apogée 2005 (et, bien avant eux, à l'avocat Yves Frédéric Jaffré (L'affaire Seznec éditions S.E.G.E.P. 1956). Mais, curieusement, on ne les entend pas et les médias ne semblent guère pressés de les inviter ou de les commenter.

Il ne manque plus à Denis Le Her que la consécration judiciaire de la réhabilitation de son grand-père qu'il a déjà largement imposée à l'opinion au mépris de l'autorité de la chose jugée. Et la Justice qui à déjà donné des gages en la personne du représentant du ministère public.

C'est pourquoi, souhaitant rappeler que dans cette affaire la victime demeure Pierre Quémeneur et que notre réserve ne valait pas acquiescement aux tentatives de travestissement des faits de l'affaire, nous vous soumettons les quelques observations qu'appellent de notre part les arguments avancés à l'appui de cette énième demande de révision  tels que nous pouvons les connaître à travers les termes de l'arrêt de la commission de révision du 11 avril 2005.

S'agissant, en premier lieu, de la prétendue survie de Pierre Quémeneur :

Les deux témoignages produits (M. Rivière et Mme Muller), qui sont particulièrement tardifs, sont encore moins crédibles que ceux qui avaient été présentés et écartés lors du procès et des précédentes demandes de révision. L'invraisemblance de celui de Mme Muller  qui révèle à 85 ans des faits dont elle aurait été témoin à sept ans, nous paraît suffire à le discréditer quelle que puisse être la bonne foi de son auteur.

D'ailleurs, quel intérêt Pierre Quémeneur aurait-il eu à disparaître en laissant ses proches dans l'affliction et son "ami" Seznec dans les pires tracas judiciaires, alors qu'il ne connaissait pas de revers de fortune et pouvait légitimement espérer un développement de sa carrière politique.

Enfin  la thèse de la survie de Quémeneur est en contradiction avec les autres pistes avancées par les partisans de la révision  notamment celle d'une machination de l'inspecteur Bonny, qui supposent bien le décès du disparu.

S'agissant, en deuxième lieu, de l'alibi de Seznec pour la journée du 13 juin 1923 :

Alors que Seznec n'a, à l'époque des faits, jamais pu fournir d'alibi sur ses diverses absences de Morlaix dans les semaines qui ont suivi la disparition de Quémeneur, qu'il a été contredit sur ce point tant par sa femme que par son employée de maison et qu'il n'a pas hésité à tenter de suborner des témoins depuis la maison d'arrêt, un témoignage établirait sa présence à Saint-Brieuc le 13 juin 1923. Ce témoignage de Mme Martin ne paraît cependant pas recevable dès lors qu'il est doublement indirect, qu'il relate une prétendue conversation entendue près de cinquante ans plus tôt et que les propos rapportés sont eux-mêmes insuffisamment précis pour établir, d'une part, la connaissance que le témoin initial - la mère supérieure - pouvait avoir de Seznec qui n'est pas né à Landerneau mais dans le Finistère Sud et, d'autre part, le lieu et la date précise de la scène évoquée. Que penser d'ailleurs de l'attitude des religieuses concernées qui auraient été détentrices d'une information susceptible d'innocenter Seznec et qui se seraient abstenues d'en faire état ou encore de celle du témoin indirect qui n'a livré l'information que cinquante ans après l'avoir reçue !

Le seul élément un tant soit peu sérieux avancé par la requête en révision est donc le témoignage de Mme Noll qui a reconnu en Boudjema Gherdi le dénonciateur de son réseau de résistance.

Mais si ce témoignage, cette fois circonstancié et susceptible de recoupements, est digne d'intérêt, peut-on sérieusement en tirer un doute sur la culpabilité de G. Seznec telle qu'elle a été retenue par les jurés de la cour d'assises du Finistère ?

En effet, en admettant même qu'il permette d'établir que Gherdi a servi la gestapo durant l'Occupation, rappelons que la thèse selon laquelle Pierre Quémeneur l'aurait eu comme contact à Paris ne résulte que des déclarations de Seznec alors d'ailleurs que, contrairement à ce que tentent de faire croire les partisans de ce dernier, il n'a jamais été établi que Quémeneur avait eu l'initiative du voyage en Cadillac à Paris. Gherdi a d'ailleurs toujours nié avoir eu affaire à ce dernier et s'il avait été mêlé de près ou de loin à sa disparition, il n'aurait pas, lorsqu'il a été interrogé en 1926, spontanément déclaré l'avoir rencontré à une seule reprise en 1922 ou au début 1923 sur le Champ-de-Mars.

En outre, on ne peut déduire du seul témoignage de Mme Noll que Gherdi  à supposer de nouveau qu'il s'agisse bien de lui, ait fréquenté Bonny du seul fait que celui-ci sévissait rue Lauriston. Et, en l'admettant même, cette circonstance autoriserait-elle à supposer qu'ils étaient de mèche 20 ans plus tôt dans une affaire de droit commun ? Le témoignage de Léon Sacré, dont il conviendrait de s'interroger sur la crédibilité, ne le permet nullement dès lors que le "François" qu'il mentionné a toujours été considéré comme se rapportant à François Le Her. D'ailleurs, c'est après avoir pris connaissance dans les journaux de l'homicide de ce dernier par son épouse Jeanne Seznec, que le témoin s'est manifesté. Et si l'on doit prendre en compte son récit, il faut alors le faire jusqu'au bout et notamment en ce qu'il fait état de l'aveu par Seznec de ce que celui-ci aurait été le complice de Le Her dans le meurtre de Quémeneur !

Or, y a-t-il un autre témoignage susceptible d'être reconnu comme "élément nouveau" ?

La personnalité de Bonny elle-même, telle qu'elle s'est révélée dans les années 1930 et 1940, autorise-t-elle par une espèce de présomption de culpabilité à rebours, à le tenir pour un policier véreux au début de sa carrière dans les années 1920 comme nous le proposent les partisans de l'innocence de Seznec et, notamment, de façon particulièrement outrée, le téléfilm d'Yves Boisset ?

Rappelons d'ailleurs qu'au moment de l'affaire dite Seznec, Bonny n'était qu'un inspecteur stagiaire de 28 ans assistant le commissaire Vidal, que peu d'actes de l'enquête sont de sa main et que la Sûreté parisienne n'est intervenue que quelques jours après le commencement des investigations et, notamment, après la découverte de la valise au Havre contenant les documents qualifiés de faux.

Rappelons qu'il n'a jamais reconnu avoir joué le rôle que lui prêtent les partisans de la révision et notamment celui d'avoir apporté la machine à écrire retrouvée au domicile de Seznec et ce, alors que, face à la mort, il n'avait plus rien à perdre et aurait même pu retirer une certaine gloriole d'aveux aussi extraordinaires. Les notes qu'il a rédigées dans sa cellule de condamné sur les affaires dont il avait eu à connaître durant sa carrière de policier, dont l'affaire Seznec, ne comportent nullement l'aveu d'une quelconque machination de sa part ni même l'expression d'un doute sur la culpabilité du condamné (Cf. Yves Frédéric Jaffré L'affaire Seznec cité supra p. 194). Et le témoignage indirect et tardif de Mme Moreau-Lalande, qui est d'ailleurs édifiant sur le sens de l'honneur de son mari qui aurait tu les prétendus aveux de Bonny, n'est pas de nature à infirmer cette réalité.

En tout état de cause, quel esprit d'une intelligence supérieure eut-il fallu à Bonny pour organiser la machination policière qui sous-tend la requête en révision !

Il aurait fallu en effet qu'il parvienne, avec la complicité ou à l'insu de ses supérieurs, à attirer Quémeneur dans un traquenard sans que celui-ci n'en informe son compagnon de route, qu'il découvre l'endroit où ils s'étaient prétendument séparés afin de compléter le carnet de frais de Quémeneur retrouvé dans la valise du Havre - en commettant au demeurant la même confusion entre Houdan et Dreux que Seznec ! -, qu'il se rende au Havre acheter une machine à écrire sous l'apparence de ce dernier, qu'il parvienne à s'immiscer à Paris dans une enquête qui était en cours à Rennes, qu'il dactylographie de faux exemplaires des promesses de vente de la propriété de Plourivo sur du papier acheté à Morlaix chez le fournisseur de Seznec, qu'il parvienne à les substituer à ceux du dossier de l'instruction puis à déposer la machine chez Seznec à Traon-ar-Velin et à fomenter les nombreux témoignages qui, sur tout un quart Nord-Ouest du pays, ont confondu l'accusé dont celui d'une jeune fille qui a identifié dans la voiture une valise jaune correspondant à la description de celle retrouvée au Havre. Il fallait même qu'il sache, d'une part, que les proches de Quémeneur, accompagnés de Seznec, avaient signalé sa disparition à la police de Rennes le 10 juin pour leur envoyer 3 jours plus tard un faux télégramme les rassurant sur le sort de leur frère et, d'autre part, que Seznec avait déclaré aux mêmes que Quémeneur était probablement parti faire des affaires en Amérique pour avoir l'idée de déposer la valise du disparu au Havre, premier port d'embarquement pour cette destination.

Que de complices lui aurait-il fallu solliciter et maîtriser pour qu'il n'y ait pas eu la moindre fuite depuis 80 ans malgré la chute du mystificateur, une première fois par sa révocation de la police en 1935, et une seconde fois par son exécution en 1944 !

Et tout cela pour quel mobile ?

Les perquisitions diligentées chez Quémeneur n'ont pas permis d'identifier l'existence d'un trafic quelconque, à fortiori susceptible de mettre en cause Gherdi ou Bonny ou leurs supérieurs. Rappelons d'ailleurs que Quémeneur ne se cachait pas, notamment auprès de son banquier, de l'objet de son équipée à Paris avec Seznec.

Par ailleurs, les historiens ne tiennent pas pour sérieuse la thèse de l'affaire d'Etat résultant de l'organisation à cette époque d'un trafic inavouable de Cadillac à destination des Soviets dès lors que la N.E.P. permettait alors de commercer librement avec l'Occident (Cf. l'article de Michel Pierre cité supra).

Quant au fait que l'expert commis le 24 avril 2003 conclut que les fausses promesses de vente ont probablement été dactylographiées par deux personnes différentes, il n'est pas incompatible avec l'hypothèse, retenue par les jurés, d'un crime commis sans préméditation, dès lors que son auteur a pu chercher à en tirer profit à posteriori en réalisant les faux à l'aide d'un tiers. Quant à l'anomalie de frappe commune au fac-similé dactylographié le jour de la découverte de la machine avec l'exemplaire saisi entre les mains de Seznec, il ne semble pas qu'elle permette de déduire que le scripteur était nécessairement le même dans les deux cas, cette anomalie étant imputable à la machine et non à ses utilisateurs.

Rappelons d'ailleurs que la commission de révision a écarté en 1996 la théorie du faux intégral au motif qu'elle se heurté aux éléments objectifs de la procédure d'instruction et au fait que Seznec n'a jamais contesté l'authenticité de sa signature sur ces actes.

Rappelons aussi que la perquisition du 6 juillet 1923 dans une annexe de la propriété de Seznec avait à l'origine pour objet de vérifier la rumeur selon laquelle celui-ci avait brûlé le corps de Quémeneur dans le four de sa scierie et non de rechercher une machine à écrire (Cf. Jaffré L'affaire Seznec p. 103).

Nous avons souhaité vous faire part de ces quelques observations car nous voulons croire, comme nous l'avons toujours fait, que la Justice, bien que souvent malmenée ces derniers temps, peut continuer à examiner l'affaire de la disparition de Pierre Quémeneur avec le recul et la sérénité nécessaires que n'a plus une large part de l'opinion après des années de désinformation et qu'elle ne sera pas sensible au chantage au suicide qu'exerce de façon à peine voilée M.Le Her dans les médias dans l'hypothèse où il n'obtiendrait pas satisfaction.

 

Nous vous prions d'agréer...

 

..................

 

Pourquoi retranscrire mot à mot cette lettre aujourd'hui ?

Tout d'abord pour souligner la grande dignité de la famille de Pierre Quémeneur face aux gesticulations hystériques de Denis Seznec.

Ensuite...

Parce que je suis la seule à la détenir et que je voulais en faire profiter mes lecteurs.

Enfin...

Parce que les sujets traités dans cette lettre font aujourd'hui encore l'objet de contestation des pro Seznec...

De moins en moins nombreux, heureusement.

 

Liliane Langellier 

 

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