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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.

Affaire Seznec. Déposition Marie-Jeanne Seznec samedi 30 juin 1923.

“Nulle raison ne pourrait justifier le mensonge.”
Anton Tchekhov / Lettre - 2 janvier 1900

 

 

 

 

(Propriété Archives du Finistère)

Je me nomme Marc Marie Jeanne, épouse Seznec âgée de 37 ans, sans profession, demeurant à Morlaix, route de Brest.

Étant à Brest,  j'ai eu à blanchir le linge des divers hôpitaux de l'armée américaine et aussi le linge personnel de militaires de cette armée. J'ai commencé environ 3 ou 4 mois après l'arrivée des premiers contingents américains à Brest et j'ai cessé de m'occuper de ce blanchissage courant 1919.

C'est ainsi que j'ai eu des rapports d'affaires avec un infirmier qui m'a conseillé de profiter de la présence de l'armée américaine pour me procurer et mettre de côté des dollars en or, qui auraient une valeur 3 ou 4 fois supérieure dans 2, 3, ou 4 ans peut-être. Lui-même m'a procuré successivement onze ou douze pièces de 20 dollars au taux de 115 francs. J'ai été incitée aussi à me constituer des économies en pièces d'or des États-Unis. J'ai profité de mes relations d'affaires avec plusieurs militaires ou marins américains qui venaient chez moi, pour leur demander de leur céder leurs dollars en or, de préférence à d'autres personnes. A part quelques pièces de 20 dollars que j'ai achetées à raison de 112 francs, j'ai payé toutes les autres 185 francs, prix supérieur au cours du change d'alors. J'ai payé toutes les pièces de 10 dollars à raison de 57,50 francs.

C'est dans ces conditions que je me suis trouvée en possession, lorsque nous sommes venus habiter définitivement à Morlaix ( j'y suis venue rejoindre mon mari le 11 mai 1919) de quatre-vingt-dix-neuf pièces de 20 dollars et de deux cent dix pièces de 10 dollars.

S.I. Il ne m'est pas possible de vous faire connaître aucun des noms des militaires qui m'ont procuré ces pièces d'or. Celui qui m'en a donné l'idée, était un infirmier de l'hôpital U.S.A. N°6, qui est venu chez moi pendant 2 ou 3 mois.

J'avais toujours été résolue à ne jamais me défaire de ces dollars en or. Même lorsque mon mari a eu des difficultés dans son industrie, je n'ai pas voulu qu'on y touche. J'ai toujours dit à mon mari  qu'il avait assez d'argent dehors, qu'il n'avait qu'à le faire rentrer pour éviter les saisies, qui n'étaient que la méchanceté de la part des gens avec lesquels il était en relation.

En dernier lieu, toutes les pièces d'or que je possédais, étaient rangées par piles dans une boîte en carton très épais, aussi résistant que du bois, de dimensions comme ceci (Ici le témoin indique avec ses mains sur la table, les dimensions suivantes que nous vérifions aussitôt avec un 1/2 mètre : longueur 35 centimètres  - largeur 17 centimètres - hauteur 20 centimètres) - Ces dimensions ont été indiquées spontanément.  Cette boîte était de couleur marron foncé, sans marque. Je ne me rappelle plus l'origine et l'usage de cette boîte. Elle était déposée le plus souvent dans une cachette au grenier au fond d'un placard dans le mur. J'avais toujours eu l'intention de réunir ces dollars pour me procurer une propriété dans les environs de Quimper, car je ne me plaisais pas à Morlaix, à cause des injustices qu'on faisait à mon mari.

Si nous avons été dans la gêne depuis quelques temps, c'est parce que nous n'avons pas touché une somme de 48 à 50 mille francs, qui nous revient à la suite d'un sinistre survenu en 1921 dans la blanchisserie que j'exploitais à St Pierre-Quilbignon. Cette somme représente la valeur du matériel cédé (appareils à vapeur, essoreuse, barattements, etc) qui a été détruit au cours de l'incendie et la valeur du fonds de commerce cédé à mon frère Marc (Charles) demeurant à Paris (où j'ignore son adresse) lequel l'a cédé fin 1920 à deux associés Balzon et Genoux. Nous ne pouvons être payés, parce que mon frère est en procès avec ces derniers à la suite du sinistre.

En plus de ces 48 000 ou 50 000 francs, nous avons d'autres créances à rentrer.

A Plomodiern, les Sieurs Pensec et Trebout demeurant au bourg même, doivent plus de 6000 francs de loyers.

Éclaireur du Finistère 24 février 1923 :

"affermé moyennant 1000 francs l'an". Ils n'ont pas payé leur loyer pendant combien d'années ?? 

A Landerneau, un fabricant de brosses, dont le nom m'est inconnu, nous doit 1000 francs pour une chaudière que nous lui avons cédé en 1915.

La maison Lucannes à Paris,  nous doit le remboursement d'une machine de blanchisserie à 4 cylindres payée à l'avance 7000 francs, au moment du début de la guerre et non livrée.

S.I. Je vous assure que mon mari a bien remis la boîte contenant les dollars à M. Quémeneur le 22 mai à Brest. C'est mon mari qui a emporté ce jour-là la boîte et son contenu à Brest mais ce n'était pas dans l'intention de donner les dollars à M. Quémeneur, mais pour les changer sans une banque quelconque. Car il ne voulait pas les changer dans les banques à Morlaix à cause des ennuis qu'on lui avait suscités. 

S.I. Mon mari est parti pour Brest le 22 mai au matin par le premier train. La veille au soir, je lui avais dit : "la boîte est là dans mon armoire à glace, où tu la prendras". Effectivement, il l'a prise à cet endroit le 22 matin où il est parti.

La veille au soir, ma bonne Angèle Labigou avait vu cette boîte et son contenu sur mon lit où j'avais soulevé le couvercle en sa présence et elle avait vu l'or dans la boîte.

D. Vous ne dites pas la vérité. Votre bonne était absente de chez vous le 21 mai ?

R. Je me trompe.....C'est vous qui me dites la veille... Eh bien ! Ce n'était pas ce jour-là... c'était quelques jours avant, moi j'ai dit le 21 mai, comme j'aurais dit le 18, comme j'aurais dit le 24... je ne sais pas quand c'était le 22.

D. La date du 22 mai n'a pas été précisée puisqu'il s'agit du jour où votre mari était allé porter l'or à Brest et vous avez précisé que votre bonne avait vu l'or la veille au soir ?

R. Eh bien ! Effacez ce que j'ai dit. Effacez-le sous ma responsabilité...

D. N'avez-vous pas changé des pièces d'or à l'occasion de la Communion d'un de vos enfants !

R. Si, j'en ai fait changer trois : une de 20 dollars et deux de 10 dollars qui ont été payées 15 francs le dollar, je crois, on n'a pas eu 600 francs, on a eu que cinq cents et quelques... Le témoin fait un calcul sur un bout de papier et dit : on a eu 560 francs.

D. Votre mari n'a donc pas pu emporter 4040 dollars à Brest ?

R. Mais si, j'avais 4080 dollars, dont cent pièces de 20 dollars. Et c'est après avoir vendu les 40 dollars en question qu'il restait maintenant 4040 dollars.

D. Qu'est devenue la boîte contenant les pièces d'or ?

R. Mon mari a dû la donner à M. Quémeneur qu'il a rencontré par hasard,  m'a-t-il dit, en allant à Brest, où il avait l'intention de les changer dans une banque.

En rentrant chez nous, le soir, mon mari m'a appris qu'ayant rencontré par hasard M. Quémeneur  sans me préciser à quel endroit, ce dernier lui avait dit qu'il ne serait pas content s'il ne voulait pas lui remettre les pièces d'or. Et que c'était ainsi qu'il avait remis l'or à M. Quémeneur et qu'il s'était arrangé pour acheter une propriété.

D'ailleurs M. Quémeneur était venu chez nous à différentes fois me casser la tête pour mon or. Il y avait longtemps que j'avais été visiter une propriété près de Paimpol avec mon mari et avec M. Quémeneur. Ce dernier venait assez souvent nous voir à Morlaix, il couchait de temps en temps chez nous. Nous étions très intimes avec lui, il y avait une grande amitié entre nous. Il était assez caché pour ses affaires bien qu'on lui racontait toutes les nôtres.

D. Comment votre mari a-t-il été amené à tenter le voyage à Paris ?

R. C'est M. Quémeneur qui lui avait dit.

M. Seznec est allé chercher sa voiture Cadillac à Landerneau la veille du départ pour Paris. Elle avait été remisée en garantie d'une somme de 15.000 francs reçue de M. Quémeneur pour éviter une saisie. 

D. Pourquoi avez-vous emprunté 15.000 francs, alors qu'il suffisait de changer une partie de vos dollars pour vous procurer cette somme ?

R. Parce que je ne voulais pas m'en défaire. Et puis, on devait toucher sous peu de l'argent sur le sinistre de Brest.

D. Veuillez continuer sur les circonstances du voyage à Paris...

R. Je ne me rappelle pas à quel moment de la journée, M. Seznec est arrivé chez nous avec la voiture venant de Landerneau. Je ne me rappelle pas s'il était seul ou avec d'autres. Je me rappelle qu'il m'a dit que la voiture faisait un drôle de bruit. Je ne me rappelle pas où la voiture a été placée pour passer la nuit. Le jour du départ pour Paris, M. Seznec est parti seul avec sa voiture vers dix heures où dix heures et demie.

D. Qu'a-t-il mis dans la voiture avant son départ ?

R. Je ne sais pas. Probablement tout le nécessaire. On a mis aussi un pantalon bleu et un paletot. Le pantalon était propre. Je crois qu'il en possédait un ou deux.... Je sais pas...

D. Continuez votre déposition sur le voyage ?

D. Je ne sais rien. Je n'ai plus eu de nouvelles avant le retour de mon mari. J'ai trouvé drôle, car mon mari m'avait dit que j'aurais un télégramme et une carte postale aussitôt son arrivée à Paris.

Il est d'abord allé à Rennes, puisqu'il y avait rendez-vous avec M. Quémeneur, vers 16 h ou 16 h 1/2, ce dernier m'a téléphoné de Rennes pour me demander où était Guillaume - c'est le prénom de baptême de mon mari - Je lui ai répondu qu'il était parti d'ici vers les 10 heures, 10 heures 1/2 et que s'il n'était pas encore arrivé à Rennes, ça m'étonnait, et qu'il avait dû avoir plusieurs crevaisons de pneus en route.

Mon mari a été de retour un matin, je ne peux plus préciser si c'est le dimanche ou le lundi, - il est arrivé vers 4 heures ou 4 heures et demi, il faisait grand jour, c'était un peu avant l'Angelus.

En arrivant, il était fatigué. Il m'a dit qu'il avait attrapé une sacrée tournée et une tournée inutile, du moment qu'il n'avait pu arriver à destination. Il s'est couché en arrivant.

Il n'avait eu qu'un panier en osier pour faire le voyage.

Se reprenant : Nous n'avons qu'un panier en osier qu'il utilise quand il va en voyage et qu'il doit manger dans le train, ou bien quand il a quelque chose à porter, mais je ne dis pas qu'il l'avait dans son auto pour aller à Paris. Le panier, il l'a emporté avec lui lorsqu'il a été à Paris ces jours-ci.

Au cours du repas, le soir de son retour, mon mari m'a dit qu'après avoir quitté Rennes avec M. Quémeneur, ils avaient eu beaucoup de pannes ; à un moment donné, ils ont dit qu'ils ne pourraient pas arriver à Paris comme cela et ils sont revenus sur leurs pas pour prendre le train à la gare la plus proche. M. Quémeneur a pris le train pour Paris et mon mari a encore tenté de continuer sur Paris  qu'il avait été jusque vers Houdan, mais je ne me rappelle pas le nom de la localité. Il m'a cité des noms de localités et il m'a dit où il avait mangé : à Pré en Paille... Je ne me rappelle plus les noms qu'il m'a cités.

D. Depuis combien de temps la Mlle Angèle Labigou est-elle votre serveuse ?

R. Depuis 3 ans.

D. Lui devez-vous des gages ?

R. Nous lui devons des gages mais on lui a fait des avances quand elle nous a demandé de l'argent. Je ne me rappelle pas quel est le montant des gages, c'est 60 francs par mois, je crois. On la considère comme étant de la famille et on ne regarde pas de si près. C'est 60 francs par mois.

D. N'avez-vous pas dit avant-hier jeudi 28 juin, en présence d'un inspecteur de la police mobile, au cours d'une conversation : "... Nous avons une bonne domestique, elle fera tout pour sauver mon mari" ?

R. Si j'ai dit cela, ce n'est pas dans le sens que vous voulez lui attribuer. Je voulais dire qu'elle nous est très dévouée.

D. Quelles sont les personnes qui ont fait le voyage pour Paris le 24 mai avec votre mari ?

R. Il n'y avait que M. Quémeneur avec M. Seznec. 

D. Quel est le montant de la somme emportée par votre mari pour ce voyage ?

R. Peut-être cinq ou six cents francs ; oh ! Il avait peut-être bien sept ou huit cents francs puisqu'il a acheté un pneu et un cric.

D. Quels étaient les individus avec lesquels votre mari et M. Quémeneur devaient se rencontrer à Paris ?

R. Je lui avais entendu prononcer le nom d'un " Charly". Je ne sais pas autre chose.

D. Comment était vêtu votre mari pour le voyage à Paris le 24 mai ?

R. Il avait les mêmes vêtements que ceux qu'il a sur lui actuellement,  c'est-à-dire : complet veston de couleur marron, chapeau noir velouté (ce chapeau est ici), pardessus teint noir confectionné avec des couvertures américaines (ce pardessus qui était lourd plein de poussière a dû être mis au lavage par la bonne) - chemise blanche en coton, caleçon teint crème en coton laine - faux col rabattu celluloïd - cravate noire à rayures blanches - souliers noirs (qui sont ici) - chaussettes en laine grise - deux tricots de même tissu que le caleçon (il portait les tricots sur la peau sous la chemise parce qu'il s'enrhume facilement). En outre, il avait dans la voiture un pantalon bleu et un vieux paletot que la bonne lui a portés. Il n'avait pas d'autres effets.

En rentrant chez nous, mon mari a dit à la bonne en ma présence : "Vous aurez de quoi faire pour détacher mes effets, voilà un complet fini ". Effectivement la bonne a nettoyé les effets, quand elle les a mis à sécher elle a fait la réflexion que ça sentait le grésil, le coaltar. Je crois qu'elle les a nettoyés en brossant. Je n'ai pas su comment elle les a nettoyés.

Angèle Labigou 

Si la pauvre Angèle Labigou gagnait 60 francs par mois, elle a prêté 100 mois de ses gages aux Seznec.

Quelle honte !!

 

Ce long travail était nécessaire.

Cette déposition est par trop accablante pour les pro Seznec

Et pour cause.

Quel aplomb, mais quel aplomb elle a Marie-Jeanne Seznec dans le mensonge.

Comparez cette déposition avec celles de Guillaume Seznec.

Elle mène le couple. Elle porte la culotte.

Guillaume Seznec est un faible. Un fils unique à sa maman.

Et, de plus, elle est complètement parano la Marie-Jeanne... Tout le monde en veut à son chéri...

Elle oublie un peu vite comment Seznec a acquis Traon-ar-Velin.

Elle omet de dire que Seznec est un mauvais payeur. Qui a emprunté de l'argent à ses propres employés...

Qu'il passe plus de temps à battre la campagne pour chercher des bagnoles plutôt que de gérer sa scierie.

Quand il est rentré à Traon-ar-Velin au tout petit matin du lundi 28 mai, Guillaume a dû pleurer dans ses bras en racontant son histoire.

Je pense que c'est elle qui a échafaudé toute cette légende dorée. Elle a minutieusement fait les comptes pour que ça corresponde avec la version de son mari pour justifier le bas prix indiqué sur les promesses de vente de Traou-Nez.

Il a bien raison, mon lecteur assidu, il faut reprendre toutes ses déclarations une à une, traquer chacun de ses mots pour mieux comprendre.

Pas étonnant que les policiers se soient méfiés de ce couple Seznec...

 

Liliane Langellier 

L'Angélus ou prière de l'Ange doit être sonné trois fois par jour : 7 h 05, 12 h 05, 19 h 05.

 (6 h 05 heure d'été).

[Tableau : L'Angélus de Jean-Francois Millet]

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