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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

Affaire Seznec. Centenaire du procès Seznec : lundi 3 novembre 1924...

In Me Denis Langlois

 

Les lignes qui suivent sont extraites du livre de Me Denis Langlois "L'affaire Seznec".

Quand le lendemain on t’a fait monter dans la voiture, tu as compris que c’était le dernier voyage. La dernière audience. Tu l’as senti au regard fuyant du gardien quand il est venu te réveiller. Tu l’as senti au soin encore plus appliqué avec lequel le coiffeur t’a rasé et refait ton nœud de cravate. Tu l’as senti toutes ces voix assourdies, à ces silences, à ce journal dissimulé brusquement et sur lequel tu as eu le temps de lire en lettres énormes : « Ce soir, Seznec, connaîtra son sort. » Tu l’as senti au nombre inhabituel de gendarmes – une bonne trentaine – et la présence d’un capitaine à côté du chauffeur.

La voiture a commencé descendre lentement vers l’Odet et tu as tout de suite aperçu la foule. D’habitude, le long du quai, les trottoirs débordaient de monde. Là, c’était toute la rue. La chaussé, les parapets, les porches des maisons. Un grouillement incessant. Surtout des femmes, avec leurs bonnets blancs.

- Je vous avais prévenu, a dit le capitaine au chauffeur. C’est toute la Bretagne qui est descendue.

Il s’est retourné.

- Vous avez bien bloqué les portes. Si vous êtes en difficulté, tirez en l’air !

Le chauffeur a klaxonné. Lentement la foule s’est écartée. Mais les gens t’ont reconnu et on commencé à crier, à t’injurier, à cogner aux carreaux. « A mort ! » « A mort ! »

- Surtout ne vous arrêtez pas ! Klaxonnez toujours !

A cent mètres du Palais, la foule était trop dense. La voiture a heurté un groupe et s’est immobilisée.

- N’ouvrez surtout pas ! Les renforts vont nous dégager !

Des renforts sont arrivés et ont commencé à écarter la foule. La voiture a redémarré et avancé au pas.

- Bon sang, on ne va pas y arriver !

Les vitres étaient couvertes de buée, mais on entendait toujours les cris, les coups aussi sur la carrosserie.

- Nous sommes presque arrivés à la grille. Le mieux, c’est de faire une haie et de descendre !

Le capitaine a ouvert la porte. Un vent froid est entré brusquement. Le tumulte aussi. Mais, quand tu es descendu, les cris ont cessé. On te dévisageait, mais one criait plus. Tu t’es avancé entre deux haies de soldats et de gendarmes.

- Ne courez surtout pas, a dit le capitaine. N’oubliez pas, pour vous dégager, n’hésitez pas à tirer en l’air !

Vous êtes arrivés en haut de l’escalier. Il pleuvait légèrement, mais tu ne sentais rien. Tu avançais dans un cauchemar. Pourquoi une telle haine ? Une telle violence ? Qu’est-ce que ça pouvait leur faire que tu sois condamné ou non ?

On t’a poussé dans un couloir et les gendarmes se sont épongé le front.

- Ce n’est pas normal, a dit l’un d’eux. Ce n’est pas de la justice. Je n’ai jamais eu si peur de ma vie !

Quand tu es entré dans la salle, on se battait. Les gens tendaient au-dessus de leurs têtes leurs invitations bleu et rouge, mais il était impossible de trouver une place pour tout le monde. On avait repoussé la table des pièces à conviction et rajouté des bancs. Un entassement inimaginable.

- S’il y avait le feu, a dit un gendarme, on grillerait tous !

- Les gens sont complètement fous !

- C’est l’odeur de la mort qui les attire. Ils n’en ont pas vu assez à la guerre !

Le président est arrivé, mécontent, tête baissée. Il a ajusté ses lunettes, s’est éclairci la voix.

- La parole est à M. l’avocat général pour le réquisitoire ! Je préviens l’assistance que je ne tolérerai aucune manifestation d’aucune sorte.

Lentement, l’avocat général Guillot s’est levé. Il est resté un instant le dos voûté, les mains appuyées sur son pupitre. Il s’est tourné vers toi, puis vers les jurés. Alors seulement, il a commencé se redresser et pour la première fois son visage s’est présenté en pleine lumière, les cheveux et la barbichette encore plus blancs, le nez long et droit, les pommettes saillantes, les lèvres étonnamment roses comme un enfant. Et, derrière ses lunettes, un regard bleu glacial, tel ces eaux profondes qui vous attirent par leur luminosité mais vous emprisonnent à jamais. Et puis ce rouge partout, sur sa robe déployée, sur la tenture derrière lui, sur le velours de son fauteuil.

- Messieurs, a-t-il commencé d’une voix douce en s’adressant aux jurés, vous avez prêté serment de vous prononcer en votre âme et conscience, devant Dieu et devant les hommes. Je ferai de même. Je ne rechercherai pas les effets oratoires, mais je serai intransigeant. Je vous ferai part de mes convictions, mais je m’appuierai sur des preuves.

Il s’est arrêté, a pris sur sa table un papier.

- Et des preuves il y en a partout. Le silence de Quemeneur n’est-ce pas la preuve de son silence éternel ? Le silence de Seznec n’est-ce pas la preuve de sa culpabilité ? Quel est l’auteur du crime sinon celui à qui profite le crime ? Mais je vois le défenseur de l’accusé qui secoue la tête. Ne soyez pas impatient, maître Kahn, tout cela je vais l’étayer. Seznec nous dit : « Montrez-moi le cadavre. » Je ne lui montrerai pas le cadavre qu’il a si bien su cacher, mais je trouverai sur lui les dépouilles qu’il s’est appropriées.

Et l’avocat général a commencé à décortiquer les faits. Patiemment, méthodiquement, à la façon d’un entomologiste qui suit les mouvements d’un insecte. Il te suivait partout. Sur la route de Houdan où armé de ton cric tu assommais Quemeneur, à Paris où tu tentais d’empocher le chèque, au Havre où tu envoyais le télégramme. Il entrait avec toi chez Chenouard, il discutait du prix de la machine, il t’aidait à la porter jusqu’au train. Il regardait par-dessus son épaule quand tu confectionnais les faux, il te guettait dans la salle d’attente du Havre, la valise de Quemeneur la main. Il entrait sur tes talons dans les prisons de Morlaix et de Quimper. Il intriguait avec toi pour trouver des faux témoins. Il écrivait des lettres clandestines à Marie-Jeanne. Il lisait dans tes pensées, il actionnait ton bras.

Tu le regardais, effaré, sans bien comprendre s’il était lui ou toi. Tu passais ta main sur ton front et, malgré la chaleur étouffante tu y trouvais la sueur glacée de la peur. Il agitait ses manches couleur de sang et sa voix prenait peu à peu de l’ampleur. Fini le mince filet douceâtre, c’était un flot qui montait et te vrillait dans les oreilles. Et cette bouche rose d’enfant, un pli mauvais la retroussait. Il continuait, mais tu n’écoutais plus. Tu sentais sa hargne contenue pendant tout le procès se déverser maintenant. Tu n’avais pas besoin des mots, le regard glacial te suffisait. Il s’adressait maintenant directement à toi.

- Seznec, votre crime, vous l’avez signé trois fois du nom de votre victime : par les fausses promesses de vente, par votre faux télégramme, par votre fausse inscription sur le carnet de Quemeneur. Et vous avez osé accuser la police de Rennes et de Paris. Elle est au contraire à féliciter, elle s’est toujours montrée correcte, adroite, intelligente et efficace. Trop efficace pour vous. C’est en fait ce que vous lui reprochez.

Tu regardais la foule, tous ces gens attentifs qui écoutaient l’œil vengeur une histoire qui ne les concernait pas directement. En face, alignés sur deux rangs, les jurés étaient figés dans leurs costumes foncés du dimanche. A nouveau tu as passé ta main sur ton front et tu y as retrouvé la sueur de la peur. Sous tes doigts tu sentais tes cicatrices, cette mince pellicule qui n’était ni peau ni chair et qui te brûlait.

D’un seul coup tu as eu envie de te lever pour quitter cette cérémonie macabre. Mais, avant même de faire l’effort de te soulever, tu t’es souvenu des deux gendarmes qui te serraient de près et de ces soldats qui montaient la garde aux quatre coins de la salle. Avait-on vraiment besoin de toi pour continuer ce procès ? Le doigt pointé de l’avocat général t’a retiré tes dernières illusions. Tu étais bien la pièce maîtresse, la cible de tous les regards. Sans toi, tout s’effondrait. Les gens rentraient chez eux, privés de leur raison d’être, de leur divertissement du moment, de leur sujet de conversation. Aucun doute, dans un procès, l’essentiel c’était l’accusé. Tu étais même trop modeste, ce n’était pas l’accusé. C’était toi.

L’index toujours tendu de l’avocat général Guillot ne te laissait aucun doute. Tu étais son bâton de maréchal, le point d’orgue de sa carrière. Il ne disait pas impersonnellement l’ « accusé », il répétait Seznec, en appuyant sur le et le c, pour être sûr de ne pas te confondre avec un pauvre diable qu’il avait poursuivi jadis de sa hargne.

Depuis combien de temps parlait-il ? Deux heures, trois heures. Tu sentais ton dos douloureux, tu avais du mal à tenir ta tête droite, tu étais irrésistiblement attiré vers le nœud de bois et tes souliers couverts de poussière. Le public baissait aussi le nez. Un peu déçu par ce ronron rageur. Il était venu pour des envolées, de grands mouvements de manches et il assistait à un travail de sape besogneux.

In Me Denis Langlois

L’avocat général s’était brusquement arrêté, les têtes s’étaient relevées. Il ne cherchait plus dans son dossier le procès-verbal irréfutable. Il prenait son souffle, son essor et d’une voix calme et forte lançait :

- Seznec, j’ai cherché partout. Nulle part dans votre crime, nulle part dans votre passé, je n’ai trouvé la moindre circonstance atténuante. Pour une sordide affaire d’argent, vous avez assassiné l’ami qui avait confiance en vous. Vous avez joué le tout pour le tout et vous avez perdu.

Il se tournait maintenant vers les jurés plus que jamais figés sur leurs bancs. Sa voix s’était faite âpre.

- Si vous avez l’intime conviction de la culpabilité, pas de faiblesse. Vous devez être de ces hommes qui savent prendre leurs responsabilités et s’y tenir. Votre verdict fera comprendre que l’homme ne doit plus être un loup pour l’homme. Il faut que cela cesse. Nous avons un autre idéal pour lequel sont morts un million et demi de nos frères. Un idéal de justice et d’humanité. Vous ne donnerez pas raison à la trahison et à la perfidie. Vous condamnerez cet homme à la seule peine qui soit à la mesure de son crime. Vous lui infligerez le châtiment suprême.

Il y a eu une longue rumeur d’approbation. Tu n’as pas réagi, tu n’arrivais pas à prendre conscience de ce que cela signifiait « Le châtiment suprême. » Au premier rang, une vieille femme s’est levée. Droite, aussi pâle que sa pauvre coiffe de coton. Elle a joint ses mains, ses lèvres remuaient convulsivement : elle priait. Tu l’as regardée, étonné, et tu as reconnu le regard effaré de ta mère. Tu as alors compris que cet homme en rouge qui se rasseyait, en s’efforçant de ne pas froisser ses manches, venait de réclamer ta mort.

En dehors des juges, des jurés et des avocats, personne n’est sorti de la salle, de peur de perdre sa place. Les journalistes faisaient passer leurs dépêches par l’intermédiaire des gendarmes.

L’audience ne devait reprendre qu’à 20 h 30 et on t’a conduit dans la petite pièce derrière le box.

- Il faut manger, ça va se terminer tard dans la nuit. Il ne manquerait plus que vous tombiez dans les pommes !

Le brigadier a apporté deux sandwiches au saucisson, mais tu n’avais pas faim.

Un jeune soldat est entré et t’a regardé avec un mélange de peur et de pitié. Tout le monde était gentil avec toi, mais il te suffisait de te retourner pour découvrir les regards fixés sur ton cou.

Me Kahn est arrivé et t’a posé la main sur l’épaule.

- Ne vous en faites pas. Il a demandé la peine de mort parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. Mais je vais vous tirer de là.

Il t’a frôlé de sa main elle était glacée. Tu l’as regardé, sa mâchoire tremblait. Dans le couloir on entendait des cris. « A mort Seznec ! » « A mort ! »

A 20 h 30, on t’a reconduit dans la salle. La chaleur était encore plus étouffante, malgré les fenêtres ouvertes, le public encore plus entassé et agressif. Un groupe s’était même installé sur les marches au pied de l’estrade du président.

Celui-ci est arrivé avec une bonne demi-heure de retard. Pas moyen de se frayer un passage dans les couloirs. La robe en bataille, il s’est carré dans son fauteuil.

- La parole est à la défense !

Me Kahn s’est levé, blanc comme le col de sa chemise. Emu, il a commencé lire ses notes d’une voix hésitante.

- Vous avez entendu l’accusation. Voici la défense. Car, quelle que soit l’impression que vous ont laissée les paroles qui viennent d’être prononcées, vous ne pouvez pas, vous ne devez pas avoir une opinion déjà faite.

Tu voyais ses mains fines qui tremblaient et tu avais envie de lui venir en aide. Brusquement, il a posé son papier et respiré un grand coup. Sa voix est devenue plus ferme.

- Les chemins qui mènent à la vérité sont longs. Au stade où nous en sommes, je sais que vous aurez la volonté d’accomplir le dernier effort que je vous demande. Pour moi, à cette place, d’où aurait dû s’élever une éclatante voix, celle de Me de Moro-Giafferi, j’apporte à la cause que j’ai la responsabilité de défendre toute la force de ma jeunesse fervente et de ma conviction sincère.

In Me Denis Langlois

 

Au mot « jeunesse », tu as vu l’avocat général baisser la tête et les jurés s’immobiliser, attentifs. D’un seul coup, tu a pris conscience que l’homme qui te défendait était un néophyte faisant ses premières armes. Tu as regardé son cou blanc, ses cheveux bien taillés, les plis impeccables de sa robe noire, son épitoge bordée de fourrure blanche, et tu as eu peur. Tu as cherché les visages de ta mère et de Marie-Jeanne. Ta mère a secoué la tête en souriant et cela t’a rassuré.

La voix jeune et claire de Me Kahn prenait du poids. Ses gestes se faisaient plus amples.

- On vous a dit que Seznec avait imaginé l’affaire des automobiles destinées à la Russie. C’est faux. Il n’était qu’un associé, la « cinquième roue du carrosse » comme il l’a dit lui-même. C’était Quemeneur qui avait la maîtrise de l’affaire, qui prenait les contacts, qui concluait les accords. La preuve, c’est que Seznec ne connaissait pas l’Américain qui avait proposé l’affaire. Il a été incapable de donner son nom et son adresse exacts. On a dit que Seznec avait intérêt à la disparition de Quemeneur. C’est faux. La promesse de vente ne pouvait se réaliser que si Quemeneur était vivant. Il n’y avait pas de reçu pour les 4 040 dollars et la famille n’aurait pas manqué – ce qu’elle a fait du reste – de contester la valeur d’un tel acte. Et cela Seznec, commerçant avisé, ne pouvait pas l’ignorer.

Tu as commencé à reprendre espoir. Le jeune ne se débrouillait pas trop mal. Tu regardais ses mains fines qui s’agitaient, son dos qui s’était redressé. Deux jurés prenaient des notes et l’avocat général baissait toujours le nez.

- Mais en fait Quemeneur est-il mort ? Personne n’en sait rien. Pas plus M. l’avocat général que moi-même. La disparition n’est pas la mort. On a écarté un peu trop vite l’hypothèse de la fugue amoureuse ou autre. Dans cette ville de Quimper, un homme, M. Soulière, directeur du Service agricole du Finistère, a disparu récemment sans donner de ses nouvelles. Quelles secrètes raisons l’ont déterminé à ce départ ? Qu’est-il devenu ? Personne ne le sait. Il est toujours difficile de savoir ce qui se passe dans la tête d’un homme, même lorsqu’il est riche, honorablement connu et apparemment à l’aise dans la vie. Je voudrais à ce sujet vous rappeler l’affaire de M. de la Pipardière, qui, il y a bien longtemps, disparut brusquement. On accusa sa femme de l’avoir assassiné et on la jeta en prison. Et un beau jour il réapparut, insouciant. Si demain cela se reproduisait pour Quemeneur, vous n’auriez pas d’excuses, car des témoins sont venus vous dire qu’ils l’avaient vu après la date de sa disparition. M. l’avocat général vous a dit que ce n’étaient pas de bons témoins et que leur parole n’avait aucune valeur. De quel droit ? Ils ont vu, ils ont prêté serment. Nous devons tenir compte de leurs déclarations.

Me Kahn s’est arrêté pour s’éponger le front. Les deux jurés continuaient à prendre des notes.

- Nous avons parlé de Quemeneur. Parlons maintenant de Seznec. On a dit qu’il était couvert de dettes, poursuivi sans cesse par des créanciers. C’est faux. Quand, six mois après son arrestation, on a examiné sa situation financière, elle était encore largement bénéficiaire. En fait, Seznec avait seulement des problèmes de trésorerie et, s’il avait expliqué sa situation à son banquier, il aurait certainement obtenu un prêt. On a dit qu’il était insensible. J’ai regretté moi aussi de ne pas voir sur son visage la trace d’une émotion. Mais si vous saviez combien l’innocence se revêt parfois de maladresse ! Ne jugez jamais un homme sur son attitude ! Insensible, Seznec ? Mais on pourrait reprocher aux témoins la même chose ! Ils étaient 125 à l’accuser dont certains le connaissaient depuis longtemps et aucun, vous m’entendez aucun, n’a dit qu’il était un père de famille affectueux et attentif et que, s’il cherchait à gagner de l’argent, c’était surtout pour ses quatre enfants. Insensible, Seznec ? Mais vous n’avez donc pas vu ses yeux remplis de larmes lorsqu’il a aperçu sa vieille mère dans la salle !

Tu n’as pas entendu la suite, tu pleurais. Tu as sorti ton mouchoir et essuyé tes larmes. Tu avais un peu honte devant tous ces gens. Me Kahn s’est retourné et vos regards se sont croisés.

Il s’adressait maintenant aux jurés.

- Quemeneur a-t-il été tué ? Je ne sais. Vit-il encore ? Je ne saurais répondre. On évoquait son souvenir, hier, jour des Morts. Songez aussi, messieurs, à tous ceux qui ont été victimes de l’erreur judiciaire, victimes de l’injustice es hommes. Songez à tous ceux qui sont morts de désespoir et d’effroi dans la torture d’un tourment immérité. Voici venir à vous leur troupe suppliante. Que cette vision douloureuse vous protège contre l’erreur et vous soit un avertissement. Malheur à vous, jurés bretons, si l’on peut dire un jour que vous avez condamné un innocent !

Il y a eu quelques applaudissements dans la salle, puis les choses ont alors été très vite. Le président t’a demandé si tu avais quelque chose à ajouter. Tu t’es levé et as secoué la tête. La cour et les jurés se sont retirés. On t’a ramené dans la petite pièce derrière le box. Un gendarme a regardé sa montre : minuit moins vingt.

Personne n’a parlé. Chacun baissait la tête. Un soldat est entré pour proposer du café. Deux gendarmes ont accepté, tu as refusé. Affaissé contre le dossier du banc, tu regardais les menottes de tes poignets et tu pensais à ta mère et Marie-Jeanne. Tu n’avais pas eu le courage de les regarder après avoir pleuré. Pleuraient-elles, elles aussi ? C’est terrible, les larmes. On se croit endurci par tant de malheurs et puis brusquement, sans prévenir, ça jaillit. Ça vous submerge. En un instant vous n’êtes plus rien. Un pauvre enfant désespéré.

.................................................................

In Me Denis Langlois

Une sonnerie a retenti, les gendarmes se sont affolés. Ils t’ont poussé dans la salle. La cour et les jurés étaient au grand complet. La plupart baissaient la tête.

Le président du jury, un homme imposant aux cheveux courts et à la moustache épaisse, s’est levé intimidé et a donné les réponses aux questions posées.

- Première question : Seznec est-il coupable d’avoir volontairement donné la mort à Pierre Quemeneur ? Réponse : oui, à la majorité.

Un long murmure d’approbation dans la salle. Des applaudissements. Tu as aperçu ta mère qui se cachait le visage dans ses mains.

- Seconde question : A-t-il agi avec préméditation ? Réponse : non.

Remous de déception.

- Troisième question : A-t-il agi avec guet-apens ? Réponse : oui à la majorité.

Perplexité.

- Quatrième question : Est-il coupable d’avoir commis un faux en écriture privée ? Réponse : oui à la majorité.

Brusquement l’avocat général s’est levé.

- Il y a une erreur et une contradiction. Quand il y a guet-apens, il y a forcément préméditation. Or, le jury a répondu différemment aux deux questions. Ce n’est pas possible.

Le président a plongé dans ses papiers. Dans le silence, on l’entendait tourner les pages.

- Le cas est prévu par le Code d’instruction criminelle. Il faut procéder à une nouvelle délibération.

Les jurés, têtes basses, sont sortis à nouveau. On t’a ramené dans la petite pièce. Le brigadier discutait avec un gendarme.

- C’est très simple, s’il y a préméditation, cest la peine de mort !

Il t’a aperçu et s’est arrêté.

- Et s’il n’y a pas préméditation ? a insisté le gendarme.

- Dans ce cas, a dit doucement le brigadier, c’est à la cour de fixer la peine de travaux forcés.

A minuit quarante, la sonnerie a retenti.

- Voici le résultat de la seconde délibération, a annoncé le président du jury. Y a-t-il assassinat ? oui. Y a-t-il préméditation ? non. Y a-t-il guet-apens ? non. Y a-t-il faux ? oui.

- Vous sauvez votre tête ! t’a soufflé le gendarme.

A 1 h 15, le président et ses deux assesseurs sont revenus.

- La cour condamne Seznec Joseph-Marie, dit Guillaume, aux travaux forcés à perpétuité.

Les juges se sont levés et ont commencé à sortir par la petite porte.

- Non ! as-tu balbutié. Ne partez pas ! Ce n’est pas fini !... ça ne peut pas être fini comme ça…

Devant toi, Me Kahn était effondré et se tenait la tête entre les mains. Doucement, sans te bousculer, le gendarme t’a remis les menottes. Tu t’es retourné et, au milieu du tumulte de la foule, tu as aperçu Marie-Jeanne qui, en pleurant, agitait sa main.

Police Magazine 24 janvier 1932

Marie-Jeanne Seznec photographiée le jour où fut rendu le verdict contre son mari.

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