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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.

Ouest-France. RÉCIT. Il y a cent ans, l’affaire Seznec : un procès agité à la cour d’assises du Finistère...

Il y a cent ans, du 24 octobre au 4 novembre 1924, Guillaume Seznec était jugé par la cour d’assises du Finistère, à Quimper. Après dix jours de procès, il était reconnu coupable du meurtre du conseiller général Pierre Quéméneur.

 

Vendredi 24 octobre 1924. La foule se presse dans la salle de la cour d’assises du Finistère et aux abords du palais de justice de Quimper. Aujourd’hui, s’ouvre le procès de Guillaume Seznec dans la quatrième session de l’année. Ce maître de scierie de Morlaix est accusé du meurtre de Pierre Quéméneur, conseiller général du canton de Sizun, dans le Nord-Finistère, et négociant en bois.

Des Cadillac vers l’URSS

Les deux hommes, en affaires depuis 1919, se seraient engagés dans une affaire de rachat de Cadillac issues du stock américain de la Grande guerre, à destination de l’URSS. Ils ont fait route ensemble le 25 mai 2023 de Rennes à Paris dans une vieille Américaine. Seznec reviendra seul et Quéméneur ne réapparaîtra jamais à son domicile de Landerneau, où il vit avec sœur.

Les péripéties et les rebondissements de l’enquête ont passionné l’opinion : le public est donc nombreux sur les quais de l’Odet et dans la rue du Palais qu’emprunte chaque jour l’accusé pour se rendre de la prison de Mesgloaguen à la cour d’assises. Le Morlaisien y est si malmené qu’il demande au procureur à pouvoir être conduit en voiture. « L’imagination fertile, l’audace et la rouerie au service du crime impressionnent les lecteurs des journaux », remet en contexte Annick Le Douget, historienne de la justice*.

La composition

Les débats sont présidés par Tom Ernest Dollin du Fresnel. Il est accompagné de deux magistrats, Gerentes et Donnart. L’avocat général Guillot, de Rennes, porte l’accusation. Il est secondé par le substitut Ledoux. Quatre avocats occupent le prétoire : Me Marcel Kahn et Me Le Hir, le bâtonnier de Morlaix, défendent Seznec, tandis que Me Alizon et Me Le Bastard défendent les parties civiles : la famille Quéméneur.

Un flot de journalistes

En plus des journaux régionaux, L’Ouest-Éclair et La Dépêche de Brest, de nombreux journalistes parisiens ont fait le déplacement à Quimper. On y voir ainsi Pierre Bénard, Geo London et André Salmon aux côtés d’un certain Max Jacob, ami de Jean Moulin, Picasso et Louis-Ferdinand Céline.

Le procès commence par la lecture de l’acte d’accusation par le greffier. D’emblée, Geo London, décrit dans Le Journal un accusé « raisonneur, madré, criant, inconsistant, commençant par nier. Quitte, lorsqu’il se sent serré de trop près par le président, à discuter, ergoter, à faire à l’accusation certaines concessions, tout en soutenant mordicus ses dénégations sur le fait principal ».

Le journaliste du Temps parle d’une « bête traquée et prise au piège », celui de L’Ouest-Éclair évoque « une physionomie un peu crispée » tandis que La Dépêche de Brest souligne « les petits yeux perçants et une extraordinaire aisance à discuter jusqu’aux moindres détails ».

La foule enfle au fil des jours

La foule enfle au fil des jours. « Les hôtels sont pleins, le télégraphe est pris d’assaut et on ne parle que de ça dans toutes les boutiques de Quimper, même si on connaît mal les protagonistes de l’affaire Seznec », décrit l’historien Michel Pierre*.

148 témoins à la barre

On se presse dans la salle d’audience, trop petite pour un si nombreux public. Mais aussi dans celle des pas perdus, dans la cour, le jardin du tribunal et tout autour du palais. Les débats sont passionnés : après les 67 interrogatoires de Seznec par le juge d’instruction de Morlaix, Étienne Campion, ce sont désormais quelque 148 témoins qui défilent à la barre, dont 123 pour l’accusation. Parmi eux, 43 policiers.

Un accusé mal aimé

L’accusé est un grand homme au corps maigre contre qui l’animosité du public est palpable, en particulier des Morlaisiens : elle s’affiche au grand jour depuis son inculpation. Le public fait aussi le rapprochement avec le procès Landru (une affaire qui a passionné Guillaume Seznec), condamné et guillotiné en 1922 avec un point commun : aucun corps n’a été retrouvé.

« L’engouement général est d’autant plus fort qu’il encourt la peine de mort », souligne Annick Le Douget. Le ministère public est sous pression : en 1924, 37,5 % d’acquittements ont été prononcés en France et davantage encore dans le Finistère qui dépasse les 50 %. Seznec persiste chaque jour dans ses dénégations, esquive les questions gênantes, réfute les témoignages du rapport de police et les trois expertises à charge. Selon la presse de l’époque, son attitude vue comme arrogante est mal perçue par l’auditoire.

Une assemblée bruyante

Il se défend sur les détails du voyage à Paris en Cadillac et nie s’être jamais rendu au Havre. Au fil de l’audience, l’assemblée, bruyante, ne cache pas sa haine envers l’accusé. Le 29 octobre, trois experts confortent l’accusation. L’après-midi, les proches de Pierre Quéméneur, parties civiles, sont entendus par la cour. Tout comme le lendemain, le 30 octobre, où les témoins du Havre déposent également à la barre.

Le 31, c’est au tour des témoins d’Houdan, Dreux, et encore Le Havre. Le samedi 1er novembre est dédié aux témoins de survie de Quéméneur, c’est-à-dire les personnes qui affirment l’avoir vu après sa disparition, le 25 mai 1923. Le lendemain, François Le Her, qui sera, plus tard, tué par sa femme, la fille Seznec, est entendu.

« Cette amante-là, c’est la mort »

Le 2 novembre, MAlizon plaide pour les parties civiles : « Seznec a voulu le crime. Seznec a perpétré le crime, Seznec a profité du crime ! Vous nous avez parlé de la gonzesse qui est allée rejoindre Quéméneur ; cette amante-là, nous la connaissons tous, c’est la mort dont le baiser glacé scelle à jamais les lèvres sur lesquelles elle se pose et dont vous vous faites, Seznec, l’entremetteur cupide et sinistre. »

La peine capitale requise

Le lendemain, l’affluence est encore plus grosse. La foule est nerveuse. Les gens se bousculent, se pressent. Certains en viennent aux mains pour profiter du spectacle : la police intervient pour éviter des incidents.

L’avocat général Guillot, au terme d’un réquisitoire de plus de quatre heures, demande la peine capitale : « Ni dans votre crime, ni dans votre passé, je ne puis trouver une circonstance atténuante. » D’après Le Figaro, « une rumeur d’approbation salue sa dernière phrase ». Coup de théâtre : le président du jury reçoit un télégramme : « Paris. 13 h 15. Rentre de Russie, très surpris. Arrivera à la première heure. Signé Quéméneur. » L’assistance éclate de rire.

Une salle chauffée à blanc

Quand l’avocat de la défense, Me Marcel Kahn, démarre sa plaidoirie, à 20 h 30 dans une salle chauffée à blanc, il lance : « Malheur à vous, messieurs les jurés, si l’on pouvait jamais dire que vous avez condamné sans preuve un homme qui n’était pas coupable. » Comme dans chaque procès, la cour propose le dernier mot à l’accusé : Seznec se lève et murmure un « non » à peine audible. Puis le jury se retire pour délibérer pendant seulement une heure.

Travaux forcés à perpétuité

Le 4 novembre 1924, à 1 h 15 du matin, le verdict tombe : travaux forcés à perpétuité. Dix voix sur douze pour le meurtre, douze sur douze pour le faux et six sur douze pour la préméditation : le condamné échappe à une voix près à la peine de mort.

Du fait divers à l’affaire

Michel Pierre* est le premier à avoir expliqué le processus de transformation d’un fait divers presque banal en affaire du siècle. Il a démontré que l’affaire Seznec est « une succession de moments de compassion populaire alimentés par une presse incapable d’étudier ou de rapporter les faits, par cynisme, naïveté ou paresse intellectuelle. Ainsi s’est façonnée l’idée d’une prétendue erreur judiciaire à laquelle l’opinion publique a adhéré avec la même ferveur que celle qu’elle avait mise à envoyer Guillaume Seznec à la guillotine ».

Retournement de l’opinion

Au moment du procès, « la plupart des journalistes traitent l’affaire avec intérêt, mais sans parti pris », assure Annick Le Douget. Ce banal fait divers n’est devenu une affaire qu’au début des années 1930 : « Des faits simples ont pris une tournure tentaculaire à l’aide d’une campagne de manipulation et de retournement de l’opinion publique. Elle a été menée par le journaliste Eugène Delahaye, directeur du journal d’extrême droite La Province, et l’ancien juge Charles-Victor Hervé, souffrant de maladie psychiatrique, souligne Annick Le Douget. Au fil du temps, on en a fait une affaire bretonne emblématique face à une justice française arrogante et jacobine. Pourtant, Seznec a été déclaré coupable, le dossier établit les faits et il a eu un procès équitable. »

Le symbole d’une erreur judiciaire

Pour la majorité de la population, l’affaire Seznec reste synonyme, cent ans plus tard, d’erreur judiciaire.

 

*Annick Le Douget, Tourmente sur la cour d’assises du Finistère, 2024. Michel Pierre, L’impossible innocence, histoire de l’affaire Seznec, Tallandier, 2019.

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