Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
24 Octobre 2024
L’affaire Seznec, c’est l’histoire d’un meurtre et d’une condamnation au bagne qui, durant près d’un siècle, n’a cessé d’être remise en cause. Et ce, alors qu’aucune autre explication à la disparition de Pierre Quéméneur, le 25 mai 1923, n’a jamais pu être démontrée.
Etonnante affaire Seznec. Non pas seulement parce que le corps de la victime, Pierre Quéméneur n’a jamais été retrouvé. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’après la condamnation de Guillaume Seznec, en novembre 1924, elle va perdurer durant des décennies, rebondir à plusieurs reprises. Et finalement installer l’idée dans l’opinion qu’il y aurait peut-être eu - certains en sont d’ailleurs convaincus - une erreur judiciaire : ce qui n’a pourtant jamais été démontré.
C’est ce à quoi s’attache le réalisateur Pierre-François Lebrun, dans son documentaire Seznec, la fabrique de l’affaire qui sera diffusé ce jeudi soir 24 octobre 2024 sur France 3 Bretagne (à 22 h 50) et déjà disponible sur la plateforme de France télévisions.
L’affaire Seznec débute véritablement au début des années 1930 avec un improbable trio : Charles-Victor Hervé, un ancien juge, Eugène Delahaye, directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite, La Province, et Françoise Bosser, institutrice et représente locale de la Ligue des droits de l’homme.
Le juge qui a recueilli les témoignages de marins ayant entendu des coups de feu, le 25 mai 1923, en direction de la propriété de Pierre Quéméneur à Plourivo (Côtes-d’Armor), est convaincu que le conseiller général a été tué par un membre de la famille Quéméneur. Peu importe que ce jour-là, Pierre Quéméneur soit en compagnie de Guillaume Seznec, en direction de Paris. Et peu importe que la santé mentale de l’ex-juge soit vacillante (il a été interné à Rennes).
Le trio multiplie les publications et conférences. « Je n’ai malheureusement pas retrouvé de photos de l’époque. Mais à Lorient, il y avait eu plus de 2000 personnes », rappelle Pierre-François Lebrun qui a consulté quantité de documents et interrogé de nombreux protagonistes de l’affaire.
« Un tel désaccord interroge »
Lorsque Guillaume Seznec revient du bagne, à l’été 1947, « il n’est plus question d’interroger sa culpabilité. Ce que l’on voit, c’est un bagnard qui a souffert et qui a 69 ans », poursuit le documentariste. Le regard sur cet homme, hué lors de son procès en 1924, change alors radicalement. « Dans ces années-là, c’est aussi l’apparition des magazines Paris-Match, Radar, France soir un peu avant. C’est le début de la société médiatique. »
Parallèlement, les hypothèses expliquant la disparition de Pierre Quéméneur vont se multiplier : un trafic de Cadillac avec l’URSS, un corps sans tête retrouvé à Sion-les-Mines (Loire-Atlantique), un complot de l’inspecteur Bonny… Rien n’a jamais été démontré.
A partir des années 1970, l’un de ses petits-fils, Denis Le Her Seznec, reprend pourtant le combat familial, engagé par sa grand-mère et sa mère, et entraîne derrière lui nombre de personnalités du monde culturel, médiatique et juridique. Pétition, livres, spectacle de Robert Hossein, concert de Tri Yann…
La cause de l’innocence semble entendue. Y compris en avançant des arguments inexacts. Guillaume Seznec serait ainsi revenu du bagne car il aurait été gracié par le général de Gaulle. « À partir de 1946, les autorités décident de rapatrier ceux subissant une peine de travaux forcés à temps, ce qui était le cas de Guillaume Seznec dont la peine avait été réduite de perpétuité à vingt ans. Il a bénéficié de cette mesure au même titre que d’autres » , rappelle pourtant l’historien Michel Pierre.
D’autres, au travers de cette affaire à rebondissements, vont encore tenter d’insuffler l’idée qu’au travers du rugueux Guillaume Seznec, c’est la Bretagne que les élites parisiennes auraient maltraitée. « Mais ce dernier a été condamné par des jurés finistériens », rappelle l’ancienne greffière Annick Le Douget, dans son récent livre Tourmente sur la cour d’assises du Finistère.
En 2006, devant la cour de cassation, Denis Le Her Seznec semble convaincu d’obtenir, cette fois, la réhabilitation de son grand-père. Des membres de la famille Quéméneur sont également présents dans la salle d’audience. Ils ne sont pas représentés par un avocat mais ont diffusé un communiqué. « Aucun journaliste n’est venu nous voir pour nous demander ce que l’on faisait là. On était invisible », raconte l’un d’eux. Tous les regards sont portés vers le petit-fils Seznec. Les trente-trois hauts magistrats, au terme d’un arrêt très argumenté, vont pourtant rejeter la demande de révision. C’est à ce jour la dernière.
Malgré les lourdes charges qui ont conduit à la condamnation de Guillaume Seznec, c’est donc une autre vérité qui a fini par s’imposer dans les médias et l’opinion. « Un tel désaccord entre la vérité judiciaire et la mémoire populaire interroge. C’est aussi cela que questionne le documentaire », soulève Pierre-François Lebrun.