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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

Le Télégramme. L’affaire Seznec, 100 ans de passions et de déraison....

Le 24 octobre 1924 s’ouvrait, à Quimper, le procès de Guillaume Seznec. L’une des plus incroyables affaires judiciaires et médiatiques françaises débutait. Cent années de débats publics passionnés ont mis au second plan le dossier pénal, accablant.

« Je n’ai pas pu dormir la nuit à cause de vous, cela m’a trop travaillé ». C’est par ces mots qu’une dame vient au-devant d’Annick le Douget, le 25 août 2024, à Fouesnant. L’écrivaine dédicace alors son dernier livre, « Tourmente sur la cour d’assises du Finistère » (*). Elle y dépoussière l’hypothèse de la culpabilité de Guillaume Seznec. Une autre femme se plante devant son stand en s’exclamant : « Je sais que Seznec est innocent, je le sais depuis ma naissance ! ». L’ancienne greffière tente, en vain, d’instaurer le dialogue en expliquant qu’elle s’est attachée aux faits. Et bien que centenaires, ils sont têtus.

Ennuis mécaniques ?

Le 25 mai 1923, à bord d’une Cadillac, deux hommes font route pour Paris. Guillaume Seznec, 45 ans, né à Plomodiern, est à la tête d’une scierie à Morlaix. Ça ne va pas fort : Il est sous le coup d’une saisie immobilière. La vente de ses biens est fixée au 16 juillet 1923. Pierre Quéméneur, né à Commana, lui aussi âgé de 45 ans, est négociant en bois, et conseiller général du canton de Sizun. Il habite, avec sa sœur Jeanie, à Landerneau.

Les deux hommes sont « en relation d’affaires ». Ont-ils pour projet de racheter à bon prix des voitures américaines ? Guillaume Seznec regagnera Morlaix dans la nuit du 27 au 28 mai 1923. Quéméneur, lui, s’est volatilisé. Seznec explique que la voiture est tombée plusieurs fois en panne. Las des ennuis mécaniques, il aurait déposé le conseiller général en gare de Dreux, le 25 mai en soirée, afin qu’il gagne Paris.

« Tout va pour le mieux – Quéméneur »

Seznec est rassurant : « Quéméneur fait des affaires à Paris, peut-être même en Amérique ». Pas convaincus, le frère et le beau-frère de Quéméneur débutent leur propre enquête. Entretemps, surprise : Un télégramme a été envoyé du Havre : « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux – Quéméneur ». Ses proches s’étonnent : Pourquoi ne signe-t-il pas Pierre ? Pourquoi Le Havre ?

Une valise appartenant à Quéméneur est peu après découverte en gare du Havre. À l’intérieur, divers documents, dont une promesse de vente : Quéméneur cède à Seznec sa propriété boisée de Traou-Nez, à Plourivo (22), contre une somme très en dessous des prix du marché. Seznec affirme qu’elle a été réalisée le 22 mai, à Brest. Sauf que la machine à écrire ayant servi à taper le texte a été achetée par ses soins, le 13 juin, au Havre. Il y a été reconnu.

« Je me défends comme je peux »

Les enquêteurs de la sûreté générale de Paris auditionnent Seznec. Quatre témoins l’ont vu quitter la gare de Houdan - et non Dreux - en voiture, avec Quéméneur comme passager, en direction de Paris. Seznec est écroué le 30 juin 1923, pour assassinat et faux en écriture. Transféré le 10 juillet à la prison de Morlaix, il va être auditionné 67 fois par le juge d’instruction Étienne Campion. La machine à écrire est découverte cachée chez lui. Il tente de faire sortir de prison un mot à destination de sa femme, lui demandant de soudoyer de faux témoins. Elle est interceptée. « Je me défends comme je peux », argue-t-il.

« Contre la franc-maçonnerie et la juiverie »

Sans cadavre ni aveux, le procès s’ouvre le 24 octobre 1924, devant la cour d’assises du Finistère, à Quimper. La presse nationale accourt ; la foule, hostile à Seznec, aussi. Il crie son innocence. Le 4 novembre, à 1 h 15 du matin, la cour le condamne aux travaux forcés à perpétuité pour meurtre et faux en écriture. Son épouse, Marie-Jeanne défendra l’innocence de son mari jusqu’à sa mort, en 1931.

1931, c’est aussi l’année où un magistrat et un journaliste montent au créneau. Le premier est Victor Hervé. Juge à Guingamp jusqu’en 1930, il souffre de troubles psychologiques. Il assure qu’un procès-verbal relatant des coups de feu entendus à Traou-Nez, le 24 mai, n’a sciemment pas été pris en compte. Il va croiser Eugène Delahaye, un journaliste d’extrême droite en lutte « contre la franc-maçonnerie et la juiverie ». En 1928, il a fondé à Rennes un hebdomadaire nationaliste, « la Province ».

« Une vaste fumisterie »

Dans les colonnes de « La Province », Victor Hervé et Eugène Delahaye partent en croisade. En combinant articles de presse (98 entre le 4 mars 1931 et le 26 juillet 1933) et conférences itinérantes en Bretagne, ils matraquent un nouveau scénario, mettant en cause des policiers corrompus et des juges incompétents et accusant Louis Quéméneur, frère du défunt, de fratricide. Un romancier, Maurice Privat, s’y greffe, puis une institutrice, Françoise Bosser, membre de la ligue des droits de l’homme.

De réunions publiques en articles outranciers, ils gagnent peu à peu l’opinion publique. Les autres journaux appellent à la raison, dénonçant « une vaste fumisterie, tragique, abominable, sans précédent dans l’histoire de la presse », écrit Étienne Nicol, rédacteur en chef des Nouvelles Rennaises. « Spectacle riche en pathétique », renchérit Charles Chassé, journaliste de La Dépêche de Brest. Delahaye les traite de « serviteurs du pouvoir ». La campagne de presse se finira, piteusement, par plusieurs procès en diffamation.

Rapatrié du bagne en 1947

Trop tard : L’opinion est persuadée de la machination judiciaire. Guillaume Seznec est rapatrié du bagne le 1er juillet 1947. Il mourra accidentellement, renversé par une camionnette, le 13 février 1954, à Paris. Denis Seznec, son petit-fils, reprendra le combat pour réhabiliter son aïeul. Quatorze demandes de révision de son procès ont été rejetées, en l’absence d’éléments nouveaux. Annick le Douget, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier, estime « qu’il faudra encore une génération pour parvenir à un débat dépassionné, car j’ai remarqué que les jeunes, ne connaissant pas l’affaire, n’ont pas les préjugés de leurs parents ».

 

France 3 Bretagne diffuse le documentaire « Seznec, la fabrique de l’affaire », réalisé par Pierre-François Lebrun, jeudi 24 octobre à 22 h 50. Il sera projeté en avant-première, ce même jeudi, à Quimper, au sein de la maison du Département, à 18 h 30, et suivi d’un débat. Il est disponible sur la plateforme france.tv depuis le dimanche 20 octobre.

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