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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.

Le Télégramme. 100 ans de l’affaire Seznec : pour l’historien Michel Pierre, « c’est bien de revenir aux faits »

Spécialiste de l’histoire coloniale de la France et du bagne de Guyane, Michel Pierre a porté son regard d’historien sur l’affaire Seznec (*). La conclusion de son travail au plus près des faits et des archives ? Guillaume Seznec était coupable.

D’où vient votre connexion avec l’affaire Seznec ? Via votre travail sur le bagne ?

« Je suis né à Pontivy. J’en avais évidemment entendu parler chez moi. Mon père, par exemple, considérait qu’on avait envoyé un innocent au bagne, comme beaucoup de gens en Bretagne. Mais ça n’a jamais fait des soirées entières de débat chez nous. Non, très franchement, j’ai mis très longtemps à m’approcher de cette histoire parce qu’elle me semblait horriblement compliquée. J’y arrive effectivement par le bagne. Me rendant en Guyane de plus en plus, consultant le dossier Seznec aux archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence, j’ai découvert une réalité qui ne correspondait pas tout à fait à la « vulgate » qu’on nous vendait ».

La thèse du bagnard injustement condamné ?

« Je suis historien. Quand j’ai commencé à lire cette histoire extravagante d’affaire d’État avec des achats de Cadillac partant vers l’Union Soviétique, c’était tellement gros que j’ai commencé vraiment à m’intéresser à la question. J’ai découvert que l’instruction du dossier Seznec par le juge Étienne Campion et l’enquête du commissaire Vidal ont été remarquablement menées. Quand on ose dire des choses aussi rationnelles et aussi simples, on se fait huer. Quand on ajoute que l’arrêt de la cour de cassation de 2006 prouve l’indépendance de la justice, qui ne cède ni à l’opinion publique, ni à la volonté du ministère, là encore, ça fait hurler. Mais, bon, c’est pourtant vrai ».

Voyez-vous une affaire équivalente dans les annales judiciaires françaises ?

« En terme médiatique, l’affaire qui s’en rapproche le plus est, bien des années plus tard, l’affaire Dominici. Il y a aussi l’affaire Marie Besnard, « l’empoisonneuse de Loudun ». Juste avant Seznec, il y a eu Landru. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on a une appétence pour les faits divers. On a eu tellement de massacres pendant la Grande Guerre qu’on se passionne pour de « petites » tragédies ».

Justement, la Grande Guerre a fauché environ 130 000 Bretons, ils ont été privés de leur langue maternelle… N’est ce pas ça aussi qui cristallise le ressentiment des Bretons contre la justice, la police, l’État Français en somme ?

« Je pense que c’est sous-jacent, en oubliant au passage que les jurés étaient bretons, que le juge Campion l’était également, comme une grande partie des enquêteurs… Mais il y a ce grand « machin », qui est la justice de Paris, qui va jouer ».

Affaire Dreyfus bretonne… Le terme a été employé. Vous semble-t-il approprié ?

 

« Non. Il faut remonter en 2001. Cette année-là, je réponds à une longue interview dans le magazine L’Histoire. J’y explique que l’enquête et le procès se sont déroulés dans les règles. En 2003, Denis Seznec a pris comme avocat Me Jean-Denis Bredin, le grand avocat français qui avait fait une biographie de Dreyfus. À l’époque, je l’entends à la radio être interrogé sur l’affaire Seznec. Le journaliste lui dit : « Un historien montre que ce n’est peut-être pas aussi simple que vous le dites ». Et là, Me Bredin réagit : « Mais il y en a aussi qui croit que Dreyfus était coupable ! ». D’un effet de manche, il instaure le fait que laisser sous-entendre que Seznec pouvait être coupable, c’est comme penser que Dreyfus pouvait être coupable. C’est inapproprié, mais j’étais très isolé à cette période-là… »

 

N‘avez-vous pas été étonné de voir Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, demander la révision du procès en 2001 ?

« Ça, c’est stupéfiant ! Je l’ai appelée et j’ai tenté de comprendre sa position. Ce que je crois comprendre est que, selon elle, l’abondance des preuves à l’encontre de Seznec prouve la machination policière. Pour elle, c’est trop parfait, et donc ce n’est pas net. Là, elle s’est engagée dans quelque chose qui est étrange. Quand on est ministre de la Justice, on fait attention ».

L’accident de Seznec, en novembre 1953, qui va le laisser très affaibli et entraîné son décès en février 1954, n’est ce pas étrange ?

« En fait, il s’engage sur le passage clouté et il est bousculé par l’arrière d’une camionnette. Il n’était pas visé. C’est un accident  ! D’ailleurs, on a retrouvé le chauffeur. Il a expliqué qu’il n’avait pas vu le piéton. Denis Seznec a dit qu’on avait voulu le faire taire. Si on avait voulu le faire taire, cela aurait été fait en Guyane ».

Parmi d’autres thèses, il y a aussi eu celle de la machination policière ourdie par l’inspecteur Bonny, qui sera ensuite collaborateur sous Vichy et fusillé à la Libération…

« Bonny est, en mai 1923, un jeune policier, adjoint du commissaire Vidal. Il signe quelques éléments de l’enquête. La machination policière, c’est extravagant. J’avais fait le calcul : Entre les corps de la police de Paris, de Rennes, de Morlaix, il aurait fallu plus de 30 policiers soient impliqués dans le complot… C’est vrai qu’ensuite Bonny va mal tourner sous l’occupation, mais ça pose un autre problème : est-on déjà une crapule à 25 ans parce qu’on l’est à 45 ans ? »

 

N’avez-vous pas l’impression que les nouvelles générations pourraient regarder l’affaire de façon dépassionnée, et donc plus rationnelle ?

« Ce serait bien, car c’est un exemple d’incitation à la réflexion et au travail intellectuel. Comme on est saturé aujourd’hui de faits divers, c’est bien de revenir aux faits. Ça montre aussi que la justice ne fonctionne pas si mal que ça ».

Où est le dossier Seznec désormais ?

« Aux archives départementales de Quimper. Il y a tout, comme ce petit mot, écrit d’une écriture très fine, que Guillaume Seznec glissera dans la poignée du panier à linge de son épouse. Il sera découvert. Il avait écrit : « Va voir un tel pour lui demander de dire qu’il m’a vu ». C’est un des éléments qui sera à charge lors du procès. Quand on a le vrai document sous les yeux, c’est émouvant. Quant aux fausses promesses de vente, on voit bien qu’elles sont tapées par quelqu’un qui n’a pas l’habitude de la frappe. Même Traou-Nez, sur l’une, est écrit « Taou Nez ». J’ai rarement vu un document aussi mal dactylographié. Et c’est aussi ça qui a été déterminant ».

 

(*) «L’impossible innocence - Histoire de l’affaire Seznec », par Michel Pierre. Éditions Tallandier, 319 p. 19,90 €

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