Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
23 Octobre 2024
Cette femme de conviction doit cette distinction à la qualité de ses recherches historiques.
— Patrick Le Quinquis.
Annick Le Douget a passé sa vie professionnelle à la cour d’assises du Finistère, à Quimper, où Guillaume Seznec a été condamné le 4 novembre 1924. C’était il y a cent ans. Elle sort un nouveau livre dans lequel elle raconte comment un « simple » faits divers est devenu une affaire judiciaire hors-norme.
Face à sa cheminée, Annick Le Douget, 70 printemps, couche sur le papier le résultat de ses recherches historiques. À deux pas de l’atelier de céramiste de son époux, Yvon, dans leur longère de Fouesnant (Finistère). L’ancienne greffière à la cour d’assises du Finistère et au palais de justice de Quimper est éprise d’histoire judiciaire. Cette maman de deux grands garçons, Morgan, 45 ans et Ewen, 43 ans, a écrit une quinzaine de livres en vingt-six ans. Ils sont aussi exigeants qu’intéressants.
Le dernier, Tourmente sur la cour d’assises du Finistère, s’appuie sur quatre affaires qui ont bouleversé la juridiction finistérienne. Parmi elles, sans surprise, l’affaire Seznec. Difficile de résister à l’Affaire des affaires. Qui plus est à l’aube du centenaire du procès de ce Morlaisien, envoyé au bagne de Cayenne après avoir été reconnu coupable, le 4 novembre 1924, du meurtre de Pierre Quéméneur, négociant en bois et conseiller général du canton de Sizun. Mais aussi d’avoir écrit une fausse promesse de vente, pour son bénéfice, du Manoir de Traou-Nez en Plourivo (Côtes-d’Armor), propriété de la victime.
L’historienne, comme son confrère Michel Pierre dans L’impossible innocence, Histoire de l’affaire Seznec, démontre comment « un fait divers banal est devenu une affaire emblématique de la justice française et un symbole de l’erreur judiciaire. Une thèse martelée au début des années 30 sur fond d’opposition entre régionalisme breton et jacobinisme français ».
Ce « retournement de l’opinion » s’est appuyé sur « une énorme campagne de pression médiatique et de vindicte populaire, orchestrée par l’ancien juge Charles-Victor Hervé, souffrant de maladie mentale et le journaliste Eugène Delahaye, directeur de l’hebdomadaire fasciste La Province ». Ils auront le soutien de l’écrivain-astrologue Maurice Privat et de l’institutrice militante de Riec-sur-Belon, Françoise Bosser, fondatrice de la Ligue des Droits de l’Homme à Pont-Aven.
Annick Le Douget a dépouillé les 98 articles consacrés à l’Affaire en moins de deux ans dans La Province. Puis elle a mis ce fastidieux travail en parallèle avec le dossier des faits : « La vérité judiciaire », des mots lourds de sens pour l’ancienne greffière. « En suivant l’évolution des déclarations des auteurs de cette campagne, on nage en pleine fumisterie. » Elle a aussi transpiré sur des correspondances entre les magistrats, les procureurs de Quimper et Guingamp, le procureur général, la Chancellerie, la presse et la kyrielle de livres écrits sur le sujet depuis cent ans. L’innocence de Guillaume Seznec, Annick Le Douget n’en croit pas un mot : « Il a eu un procès juste et équitable. »
L’historienne reste éprise de ce travail « sur les marges, encore plus passionnant que d’aller là où tout le monde passe ». Sa passion pour la chose judiciaire commence quand elle est greffière. « Aux assises, j’ai exploré un milieu. En plongeant dans les affaires criminelles du passé, j’ai réalisé que je pouvais découvrir la vraie vie des gens. »
Après son droit à l’Université de Bretagne occidentale, l’UBO de Brest, elle commence son parcours en 1976 au tribunal de Saint-Brieuc. Elle rejoint celui de Quimper en 1983 et s’immerge dans les greffes jusqu’à ce qu’elle raccroche la robe noire, en 2015 : tribunal pour enfants, assises, cabinet de l’instruction, exécution des peines, conseil de prud’hommes…
Son premier ouvrage paraît en 1998 : Langolen, chronique d’un village de Basse-Bretagne, histoire, mentalités, traditions. C’est sa commune d’origine, un bourg de 800 âmes dans le Pays Glazick, la campagne de Quimper. Après un autre livre sur la conscience abolitionniste, Prix du Salon de Bretagne du livre d’histoire, en 2001 à Pontivy (Morbihan), suivent une immersion dans La justice de sang et la peine de mort aux XIXe et XXe siècles, une histoire du crime en Bretagne, dans le Finistère, puis un travail sur les femmes criminelles.
En 2008, elle reprend ses études. « Passionnée par la vie des communautés villageoises et les raisons pour lesquelles la justice officielle a eu du mal à s’y imposer », elle mène tambour battant une thèse de doctorat en sciences humaines et sociales : Famille, communauté villageoise et violence. La société rurale finistérienne face à la justice (1815-1914).
Elle est alors faite chevalier de l’ordre des Palmes académiques par Michel Couaillier, premier président de la cour d’appel de Rennes. Pour Patrick Le Quinquis, ancien juge d’instruction, président de tribunaux et des cours d’assises de Bretagne, cette « femme de conviction doit cette distinction à la qualité de ses recherches historiques ».
Ses quatre ans de travail, deux épais volumes et 566 pages, sont condensés dans son livre Violence au village . Depuis 2013, cette femme guillerette et attachante capable de vous raconter sans fard les pires horreurs d’un fait divers, est aussi devenue chercheuse associée au CRBC, le Centre de recherche bretonne et celtique. Rien n’assouvit sa soif d’apprendre, d’une enquête sur la poudre Baumol à un livre, plus léger, sur l’un de ses peintres favoris : le magistrat artiste originaire de Carantec, Pierre Cavellat , qui croquait les audiences comme Annick croque les archives en bon rat de bibliothèque.
Chez les Le Douget, on aime l’art. En particulier la BD, des Passagers du vent de François Bourgeon au Corto Maltese d’Hugo Pratt. Annick s’intéresse aussi à la photo, la céramique contemporaine et la peinture. Mais avant tout, à la justice. L’âtre de sa cheminée a encore des histoires sordides à entendre.