Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
28 Octobre 2024
Yves Frédéric Jaffre
Pages 214/215
« J'avoue que si j'étais avocat général et s'il me fallait aujourd'hui requérir contre Seznec, sachant tout ce que l'on sait maintenant sur cette affaire, je serais passablement troublé. Toutefois, les charges redoutables relevées contre cet homme me feraient un devoir de l'accuser de meurtre. Mais je ne retiendrais pas la préméditation, car, en conscience, il n'y a pas suffisamment de preuves pour la retenir.
« Pour vous dire toute ma pensée, j'en suis venu, dans cette affaire, à former l'hypothèse suivante. Quand les deux Bretons ont quitté Rennes ensemble, un matin de mai, Seznec n'avait probablement pas l'intention de tuer son compagnon de route. On peut même penser, bien qu'on ne puisse le prouver, ni prouver le contraire, qu'il n'avait pas d'arme sur lui. Il faut se rappeler qu'ils firent un voyage terriblement long, jalonné par des pannes irritantes. Ils devaient être passablement énervés tous les deux quand, à la tombée de la nuit, ils arrivèrent à Houdan, sans bien savoir s'ils pourraient mener leur voyage jusqu'à son terme dans la "Cadillac". Si la voiture avait mieux marché- et ceci plaide encore contre la préméditation - ils seraient arrivés à Paris avant la nuit.
« Que s'est-il passé entre les deux hommes lorsqu'ils eurent quitté Houdan ? Nul ne le saura jamais d'une façon certaine. Mais on peut supposer - si l'on admet qu'il n'y a pas eu préméditation- qu'irrités l'un et l'autre, ils aient eu une discussion, peut-être à l'occasion d'une nouvelle panne en pleine nuit, et loin de toute agglomération. Quémeneur a pu reprocher à Seznec de n'avoir pas mieux remis en état la "Cadillac", et sans doute aussi y avait-il entre eux quelque autre sujet de discorde qui s'est brutalement aigri. On ignore et on ignorera toujours quels étaient exactement les rapports d'homme à homme entre Quémeneur et Seznec. On les disait "amis", et ils étaient en tout cas en relations d'affaires. Mais sous certaines amitiés se dissimulent parfois des haines féroces.
Quémeneur était riche. Les affaires de Seznec marchaient mal. Ce dernier pouvait éprouver de la jalousie envers son compagnon. On ignore si Quémeneur ne le traitait pas un peu comme un inférieur, si, au cours de ce voyage, Seznec n'avait pas l'impression d'être le chauffeur le domestique, plus encore que l'associé. Il ne me paraît même pas absolument exclu qu'il y ait eu dans ce drame des côtés passionnels au sens que le public prête à ce mot. On n'a peut-être pas suffisamment tenu compte de ces considérations toutes simples, basées sur des faits très humains. Mon hypothèse est donc qu'une discussion a pu éclater entre les deux hommes, puis dégénérer en querelle exaspérée, et enfin en pugilat sanglant.
« Seznec n'avait sans doute pas d'arme sur lui. Mais n'oublions pas que l'on n'a jamais retrouvé le cric dont il s'était servi pour faire des réparations en cours de route.
« Cette version expliquerait que Seznec ne soit allé acheter la machine à écrire que le 13 juin. Il n'aurait songé qu'après coup à exploiter la mort de Quémeneur à son profit, et d'une façon d'ailleurs très maladroite et très imprudente, car l'acte de Plourivo ne pouvait qu'éveiller des soupçons, même si on n'avait pas découvert la machine à écrire.
Mais tout ceci, bien entendu, n'est qu'une hypothèse, et l'on ne saura jamais le fin mot de cette curieuse histoire. »
Ce n'est qu'une hypothèse, en effet. Et, fidèle à notre volonté de ne pas prendre parti, nous nous garderons de la faire nôtre. Nous dirons simplement qu'elle ne nous paraît pas plus invraisemblable que d'autres hypothèses qui ont été émises.
Au lecteur maintenant de juger, s'il se sent assez audacieux, après tout ce qu'il vient de lire, pour porter un jugement dans un sens ou dans un autre sur cette affaire dont le mystère ne sera probablement jamais éclairci. »
No comment.
Liliane Langellier