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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.

« Guillaume Seznec a eu un procès équitable », estime l’ancienne greffière.... Le Télégramme du 21 août 2024.

Après avoir écumé les annales judiciaires bretonnes du XIXe siècle, l’écrivaine Annick Le Douget s’attaque au XXe siècle. Dans « Tourmente sur la cour d’assises du Finistère », elle radiographie l’affaire Seznec, livrant un travail étayé et passionnant sur les mécanismes qui ont conduit à y voir une erreur judiciaire.

Les dossiers Herriquet, Biollay, Kervarec ? Rares sont ceux qui se souviennent de ces affaires criminelles qui ont suscité d’incroyables controverses dans le Finistère du premier tiers du XXe siècle. Le nom de Guillaume Seznec, lui, a traversé un siècle. Sa condamnation, le 4 novembre 1924, aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre de Pierre Quéméneur est devenue le symbole de l’erreur judiciaire et de l’entêtement d’une justice aux ordres des puissants.

« Observer l’évolution des mentalités »

Annick Le Douget n’avait pas spécialement ce dossier en ligne de mire. Avec « Étonnants imposteurs », paru en 2022, elle avait achevé ses recherches dans les archives judiciaires du XIXe siècle. Mue par une insatiable curiosité, elle a passé le cap du XXe siècle. « C’était la suite logique pour continuer à observer l’évolution des mentalités », dit-elle. Elle choisit un prisme bien particulier : « Je cherchais des affaires dans lesquelles la pression de l’opinion publique sur l’institution judiciaire est notable ».

« Peut-être parce qu’il n’y avait rien à trouver… »

L’ancienne greffière des assises de Quimper finit par circonscrire ses recherches à quatre procédures, dont « le cas d’école » du procès Seznec. « Je le connaissais un peu car le dossier avait été conservé au tribunal de Quimper un long moment. J’avais été déléguée par le procureur, au cas où la chancellerie demande des vérifications », se souvient-elle. Ce fut le cas : 14 demandes de révision ont été déposées depuis le verdict. « Je recherchais, en fonction des demandes de la chancellerie, et je ne trouvais jamais rien, peut-être parce qu’il n’y avait rien à trouver… »

Des coups de feu à Plourivo

Au sein du dossier, deux imposants volumes lui avaient échappé. « C’était une partie rébarbative de documents divers, rapports, correspondances entremêlés… » Elle s’y plonge de mauvais gré et découvre « le fil rouge qui a servi à jeter les fondements de l’affaire Seznec ». En fait de fil rouge, il s’agit d’un procès-verbal, rédigé en octobre 1924, par Victor Hervé, juge de paix de Pontrieux (22). Il y relatait des coups de feu, mais aussi des rires et des chants, entendus par des marins travaillant sur le Trieux, le 24 mai 1923. Ils provenaient de la propriété de Pierre Quéméneur, à Plourivo, où se tenait le mariage d’une des filles du garde du domaine.

Un juge psychologiquement fragile

Or, ce 24 mai 1923 se situe le jour d’avant la disparition de Pierre Quéméneur. Des témoins diront, en effet, avoir aperçu le conseiller général, en compagnie de Guillaume Seznec, le 25 mai, vers 22 h, à Houdan (Yvelines). Le PV sera classé sans suite et le juge de paix Victor Hervé deviendra, par la suite, juge d’instruction à Guingamp. Psychologiquement fragile, il démissionnera de la magistrature en 1930, après « un internement asilaire ». Exalté, convaincu que son PV a été écarté à dessein, il réapparaît en 1931, à la tête d’une campagne pour obtenir la réhabilitation de Guillaume Seznec.

« C’est devenu une campagne infernale »

Dans sa « croisade », Victor Hervé fait alliance avec un journaliste, Eugène Delahaye, qui a fondé un hebdomadaire nationaliste, La Province. En combinant articles de presse (98 entre le 4 mars 1931 et le 26 juillet 1933) et conférences itinérantes en Bretagne, tous deux vont « matraquer » un nouveau scénario, mettant en cause des policiers corrompus et des juges incompétents et accusant Louis Quéméneur, le frère du défunt, de fratricide. Un romancier, Maurice Privat, s’y greffe. « Agressivité, virulence… C’est devenu une campagne infernale. La justice, peu habituée à de telles controverses, ne savait comment y répondre », relate Annick Le Douget.

« Des serviteurs du pouvoir »

Les communiqués de la cour d’appel n’y feront rien. Les contre-enquêtes d’autres journaux ne trouvent aucun écho. Pourtant, l’hebdomadaire Les Nouvelles rennaises étrille « une campagne d’affirmations sans preuves et de diffamation sans risques qui prend sa source à l’asile d’aliénés de Saint-Méen. Tout y est faux, absurde et fol ». Ouest-Éclair, Ouest-Journal, La Dépêche de Brest et Le Progrès du Finistère font aussi part de leurs réserves. « Ce ne sont que des serviteurs du pouvoir », réplique Eugène Delahaye.

« L’idée que l’accusé est un martyr »

La machine infernale s’enraye, fin 1932. Plusieurs condamnations pour diffamation tombent. Eugène Delahaye fait son mea culpa, Victor Hervé quitte le navire. « Mais ce discours, qu’aujourd’hui on qualifierait de conspirationniste, a jeté les fondements d’une affaire Seznec qui n’en finira plus de renaître. Victor Hervé et Eugène Delahaye ont introduit dans l’esprit des gens l’idée que l’accusé est un martyr et que le mal était porté par les policiers, la justice et la famille de la victime », observe Annick Le Douget.

« Guillaume Seznec a eu un procès équitable »

Le livre, qui paraît incidemment au moment du centenaire du procès, prend donc à revers les thèses qui ont encore cours. Annick Le Douget, elle, veut se garder de toute polémique : « J’analyse ce dossier sans parti pris. Je ne suis pas là pour défendre les juges. Ce n’est pas mon truc ». Elle qualifie de « respectable » le combat de Denis Seznec pour obtenir la réhabilitation de son grand-père. « C’était l’honneur de sa famille. On ne peut lui reprocher quoi que ce soit. » Mais en revient au point de départ : « Il n’y a pas d’incohérences dans le dossier d’instruction et pas de manques dans l’enquête. Guillaume Seznec a eu un procès équitable ».

 

Article de Thierry Charpentier dans Le Télégramme du 21 août 2024

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