Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
18 Juillet 2024
« C’est bien ici la maison Seznec ? » C’est ici, mais c’était plutôt la maison de Pierre Quéméneur. Combien de fois des visiteurs se sont pointés au manoir de Traou-Nez, à Plourivo (Côtes-d’Armor), en posant cette question… Dominique Beauvais, garde du littoral, en sourit toujours.
Ce haut lieu de l’affaire Seznec se mérite. Niché en bordure de la forêt de Penhoat-Lancerf (plus grande forêt littorale de la Bretagne Nord), le manoir de Traou-Nez a un parfum de Finistère, là où se finit la terre. Après avoir emprunté une petite route sinueuse, protégée des regards indiscrets par de nombreux pins et feuillus, la descente s’achève le long des rives du Trieux, ce petit fleuve côtier qui se jette dans la Manche. C’est là que se cache le manoir de Traou-Nez dont la signification possède la clarté d’un jour de bruine. « Le bas de la montagne », selon les uns. « Le nid dans la vallée », selon une version plus poétique…
Le lieu en est d’autant plus mystérieux, majestueux. Taiseux aussi. « Écoutez, on peut entendre le silence », apprécie Dominique Beauvais. Avec un peu de patience, on y peut même y apercevoir, à marée haute, des dauphins communs et des phoques.
Le manoir, mobile du crime ?
Quel contraste ! Car ce site dont on dit qu’il aurait été construit par un riche industriel pour y héberger un enfant handicapé, a agité tout le Landerneau judiciaire durant des dizaines d’années. Cette bâtisse de grès rose explique en partie pourquoi Pierre Quéméneur a disparu le 25 mai 1923, alors qu’il se rendait à Paris avec Guillaume Seznec pour vendre une Cadillac. « C’est le mobile du crime », rappelle l’historien Michel Pierre qui a consacré un livre à cette affaire aux multiples rebondissements : L’impossible innocence, histoire de l’affaire Seznec (éditions Tallandier).
Pierre Quéméneur, conseiller général du canton de Sizun, dans le Finistère, et négociant en bois, achète ce manoir en 1920. Ce sont surtout les 90 hectares de pins de la propriété qui l’intéressent alors. Mais dès 1922, l’homme d’affaires souhaite revendre le domaine et plusieurs contacts sont établis, dont avec l’une de ses connaissances, le maître de scierie, Guillaume Seznec.
Or, le 20 juin 1923, soit trois semaines après la disparition du conseiller général, la valise de l’élu est retrouvée à la gare du Havre (Seine-Maritime), avec à l’intérieur une promesse de vente du manoir de Plourivo en faveur de Guillaume Seznec. Le double de cette promesse sera retrouvé chez ce dernier. Des faux – sans aucun doute, établit l’enquête – qui ont été réalisés avec une machine à écrire Royal 10 d’occasion. Cinq témoins ont reconnu Guillaume Seznec, le 13 juin 1923, achetant cette machine dans la boutique de Joseph Chenouard, au Havre. C’en est fait du maître de scierie qui sera condamné, en novembre 1924, aux travaux forcés à perpétuité. L’affaire Seznec, elle, ne fait que débuter…
« Vous n’avez rien trouvé ? »
Lors d’un des plus fameux épisodes, fin 1953, Guillaume Seznec, revenu du bagne et qui vient de se faire heurter par une camionnette à Paris, a des visions. Pierre Quéméneur aurait été tué et enterré à Traou-Nez, « sous une énorme dalle d’ardoise, à dix mètres d’une fontaine derrière la maison », rapporte sa fille Jeanne. Cette hypothèse est également défendue, depuis les années 1930, par l’ancien juge Hervé, qui s’appuie sur les témoignages de marins d’une gabare, naviguant sur le Trieux : ils avaient entendu deux coups de feu en provenance du manoir, dans la nuit du 25 mai 1923… « Ces coups de feu ont bien été tirés lors d’une noce à la propriété. Mais à un moment où il ne fait aucun doute que Quéméneur était en route vers Paris avec Guillaume Seznec », rappelle Michel Pierre.
Des fouilles sont néanmoins entreprises fin novembre 1953. En vain. Le 5 décembre 1953, deux journalistes du magazine Radar vont même jusqu’à emmener Guillaume Seznec à Traou-Nez où de nouvelles fouilles ont lieu. Ce jour-là, tout au long de la descente menant au manoir, il y a foule. « Nous voulons être ici incognito… » se désespère Jeanne Seznec auprès du journaliste d’Ouest-France. Mais là, encore les enquêteurs font chou blanc. Pas la moindre trace du corps de Pierre Quéméneur à Plourivo. « L’ex-juge Hervé, associé à l’hebdomadaire La Province, avait réussi à faire croire à une erreur judiciaire et a excité l’opinion », déplore Annick Le Douget qui consacre un long chapitre à l’affaire dans son dernier livre Tourmente sur la cour d’assises du Finistère.
Et pourtant, cette hypothèse qui ne repose sur aucun élément tangible, a la peau dure. Dans les années qui suivirent, régulièrement, des habitants des environs auraient continué à chercher le moindre indice menant à Pierre Quéméneur. Ces dernières semaines encore, alors que le manoir vient d’être entièrement rénové (c’est désormais une maison de l’Estuaire), « des gens m’ont demandé si, durant les travaux, on n’avait rien trouvé… » confie, sans être plus étonnée que ça, Laurence, agente d’accueil.
Les principales dates de l’affaire
Le 25 mai 1923, Pierre Quéméneur est vu pour la dernière fois, en soirée à Houdan (Yvelines), en compagnie de Guillaume Seznec.
Le 4 novembre 1924, à Quimper (Finistère), Guillaume Seznec est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il passera vingt ans dans plusieurs bagnes en Guyane.
Le 13 février 1954, Guillaume Seznec meurt.
Décembre 2006, la quatorzième demande de révision du procès est rejetée.
Une photo trompeuse
L’affaire Seznec a donné lieu à une vive concurrence entre les différents titres de presse de l’époque. Début décembre 1953, deux journalistes du magazine Radar conduisent ainsi Guillaume Seznec, encore convalescent, de Paris à Plourivo où l’ex-bagnard ne sort finalement pas du véhicule. Quelque temps plus tard, Radar publie les mémoires de Guillaume Seznec en les illustrant d’une photo où on le voit étonnamment marcher devant le manoir de Traou-Nez. Il s’agit en fait d’un montage. Ce qui n’empêche pas ce magazine de commencer son article par « Radar, avec l’esprit d’objectivité qui le caractérise… »
Une maison pour découvrir la biodiversité
Depuis 1982, le manoir de Traou-Nez est propriété du Conservatoire du littoral (ainsi que de 450 hectares de forêt environnante) et est géré par Guingamp-Paimpol agglomération. Il s’agit désormais d’une maison de l’Estuaire qui a récemment été rénovée pour un peu plus d’un million d’euros de travaux. Ce lieu d’éducation à l’environnement accueille des scolaires, des visiteurs et propose diverses animations sur la biodiversité. Elle participe également à des projets scientifiques avec l’Inrae et le Museum d’histoire naturelle.
Pierrick BAUDAIS.
Publié le à 05h45