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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

Le Figaro du 23 mai 2023. Affaire Seznec : pour en finir avec cent ans de certitude ?

RÉCIT - Le maître de scierie breton a été condamné aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre de Pierre Quémeneur, élu local disparu corps et âme le 25 mai 1923. Quatorze requêtes en révision du procès ont été rejetées. Et si l'ancien bagnard n'était qu'à moitié coupable ?

C'est un mystère qui perdure depuis un siècle. Un crime sans cadavre, sans mobile bien net. Une histoire d'innocent condamné au bagne à perpétuité. Mais tout se complique vite car si Guillaume Seznec n'a pas tué Pierre Quémeneur, ce que soutiennent d'innombrables soutiens à la cause, il est tout de même un peu coupable de peccadilles destinées à envoyer la police sur une fausse piste. La justice déteste ce genre de clairs-obscurs dans lesquels elle ne retient souvent que l'obscurité. Le doute profite à l'accusé, dit-on, mais les ténèbres peuvent tout aussi bien faire le miel du ministère public. Cent ans de tentatives de révision infructueuses – quatorze rejetées à ce jour – car peut-être fondées sur un scénario abracadabrant qui exige un innocent à 100%, victime par-dessus le marché d'une machination de l'appareil d'État, dont on peine à discerner les motivations.

Guillaume Seznec et Pierre Quémeneur, deux Finistériens grand teint, se retrouvent à Rennes le jeudi 24 mai 1923. Ils s'installent à bord d'une de ces Cadillac longues comme des paquebots sur pneumatiques, abandonnées par les Américains après la victoire de 1918. Le premier, marié à une fille de bonne famille de Plomodiern, possède une scierie à Morlaix ; le second, qui a fait fortune dans le commerce du bois, est conseiller général dans le canton de Sizun et vieux garçon – il vit avec sa sœur. Les compères sont bons amis. Ils vont, selon la version officielle, faire des affaires à Paris autour de ces automobiles et de leurs pièces détachées qui pourraient donner lieu à un fructueux commerce. Mais le tacot est fatigué, la route est longue et les pannes s'accumulent. Le 24 mai au soir, on échoue à Houdan (aujourd'hui dans les Yvelines) et on soupe au Plat d'étain, table de bonne renommée. Puis, Pierre Quémeneur se volatilise pour toujours.

L'enquête, très logiquement, s'intéresse à son compagnon de voyage. À noter qu'y participe, certes de manière marginale mais tout de même, l'inspecteur Pierre Bonny, dont le nom apparaît dans tous les scandales retentissants de la IIIe République, affaire Stavisky comprise. Limogé, le ripou réapparaîtra en numéro deux de la « Carlingue », siège parisien des suppôts français de la Gestapo, ce qui lui vaudra d'être fusillé à la Libération. Fourberies de Bonny ou pas, il ressort clairement des investigations que Seznec a imaginé un stratagème pour faire croire que le notable de Sizun avait décidé, après les agapes du Plat d'étain, de gagner le Havre pour, qui sait, embarquer sur un transatlantique et mener la belle vie aux Amériques. Avant quoi il aurait envoyé un étrange télégramme à sa sœur : « Rentrerai dans quelques jours – QUEMENEUR » (et non pas « Pierre »). Un acte de vente d'une de ses propriétés à Seznec, pour la somme de 35 000 francs, sera retrouvé dans un second temps. Problème : le domaine en vaut 320 000 et la machine à écrire utilisée pour taper le document est retrouvée en perquisition dans le grenier du suspect.

Le suspect devient l'inculpé

On l'aura compris, le ciel s'assombrit à la vitesse grand V pour Guillaume Seznec dont le passé de commerçant multicarte, endetté, débrouillard pour ne pas dire plus, est mis au jour. Des témoins assurent l'avoir vu au Havre, un vendeur de machines à écrire de la ville se souvient de lui en avoir vendu une fin mai, une Royal 10, celle-là même qui resurgit dans le grenier de Morlaix. Le 7 juillet 1923, le suspect devient l'inculpé, on l'incarcère. Le 28 juillet, il est renvoyé devant les assises. Le procès s'ouvre le 24 octobre à Quimper.

Avec celui de Landru, en 1921, le procès Seznec sera l'un des événements judiciaro-mondains de ces années d'après-guerre. La preuve : Le Figaro dépêche en pays glazik son chroniqueur Georges Claretie, bel esprit, plume alerte, lui-même avocat et vice-président de l'Association de la Presse judiciaire (à l'époque, les comptes rendus d'audience étaient parfois rédigés par des avocats et personne n'y trouvait à redire). « C'est ici un événement, écrit-il. Les hôtels sont pleins. Le télégraphe est envahi. Dans toutes les boutiques, depuis le pâtissier jusqu'au bureau de tabac, on vous parle de Seznec. En ville, il ne semble avoir guère de sympathie. Pourtant, on le connaît peu car il n'est pas de Quimper, mais de Morlaix ». Il en brosse un portrait saisissant : « C'est un homme maigre au long nez fin, aux joues rouge brique et tannées par le vent de Bretagne, des petits yeux bleuâtres enfoncés dans les orbites, cheveux blonds ondulés, avec une longue mèche frisottant sur un front dur, barré de rides, l'air d'un paysan madré, têtu et avare (…) Chose curieuse, ce Breton, fils de Bretons, a un singulier accent qui a des sonorités germaniques ». Voilà qui commence bien.

«Je vous demande sans hésitation la tête de Seznec »

Et cela continue aussi mal que possible pour l'accusé nonchalant aux réponses filandreuses, aux amnésies opportunes. Au président qui lui demande s'il se rendait à Paris avec la victime « pour une affaire d'autos », il répond : « Oui, je crois… Probablement oui, c'est ça. C'est Quémeneur qui le disait ». Georges Claretie, fasciné par l'accusé, en qui il voit un faux benêt extraordinairement ingénieux, et par le dossier, prophétise : « Ce sera une cause célèbre ». Bien vu. Il énumère les lettres anonymes adressées à la cour d'assises, décrit avec faconde la troménie des experts et témoins (148 en tout) généralement à charge qui, en attendant leur heure de gloire, jouent à la manille dans une salle réservée. Il apprécie beaucoup la prestation de la bonne, Angèle Lebigou, « énorme paysanne, massive, aux hanches larges » qui défend son patron et qu'on revoit vers la fin des débats en « maritorne dont la déposition, l'autre jour, a mis en joie l'auditoire ». Surtout, Claretie s'attarde sur Mme Seznec, Marie-Jeanne de son prénom, « petite femme au profil dur, aux yeux secs, au teint bistré », qui a « le geste bref, tranchant ». L'habitué des prétoires sent que, derrière cette figurante du dossier, se cache un authentique personnage, nous allons y venir. « C'est une violente (…) il y a dans sa déposition de la colère et de la haine contre tous ceux qui accusent son mari », dit-il de cette épouse qui ne pleure pas alors que son mari risque sa tête.

C'est d'ailleurs la peine capitale que va requérir l'avocat général. Aux jurés : « Selon la formule du grave serment que vous avez prononcé, je dois d'abord vous dire, sans autre développement oratoire, qu'en mon âme et conscience, devant Dieu et devant les hommes, je vous demande sans hésitation la tête de Seznec ». Puis, en défense, Me Marcel Kahn plaide le doute du mieux qu'il peut. Le 4 novembre 1924, Guillaume Seznec, reconnu coupable de meurtre et de faux, est condamné au bagne. Il part le 7 avril 1927 pour Cayenne où il sera détenu vingt ans.

Dès 1926, Marie-Jeanne Seznec, bloc de volonté, dévouée à son bagnard de mari, dépose une requête en révision : magouilles en haut lieu, complot policier (l'inspecteur Bonny, souvenez-vous), bouc émissaire, etc. Plusieurs des jurés de Quimper, saisis par le doute – il était temps – demandent que le condamné soit rejugé. Les requêtes s'enchaîneront jusqu'en 2006, toutes rejetées malgré le soutien de nombreuses personnalités, et l'engagement infatigable d'un des petits-fils du condamné, Denis Le Her-Seznec : rien n'établit cette version. Puis, plus rien.

Jusqu'en 2015. Cette année-là, l'avocat « historique » de la révision, Me Denis Langlois, abandonne la thèse qu'il a soutenue jusqu'alors et publie dans une quasi-indifférence une petite bombe : « Pour en finir avec l'affaire Seznec » (éditions de La Différence). Dans cet ouvrage, Me Langlois affirme que Gabriel et Jean-Yves, deux autres petits-enfants du bagnard décédé en 1954, ont reçu des confidences de leur père, Guillaume Seznec fils, alias « Petit Guillaume ».

Jamais brisé l'omerta

Que leur a-t-il murmuré ? Nous sommes fin mai 1923. Âgé de 11 ans, tandis qu'il joue dans le jardin, il entend crier sa mère, Marie-Jeanne. Celle-ci, seule à la maison, reçoit Pierre Quémeneur. Le gamin se hisse, regarde par la fenêtre et voit le notable étendu, mort. Mme Seznec aura voulu défendre son honneur, comme on disait à l'époque. La bonne est là. Guillaume père arrive plus tard, mesure le malheur qui vient de s'abattre sur son foyer, et décide non seulement de faire disparaître le cadavre mais aussi d'envoyer les enquêteurs fureter loin de Morlaix, d'où les faux. Puis, les quatre se rendent au pied d'un calvaire pour jurer de garder éternellement le silence. Ce qui fut fait, ou presque. Brisée par la possibilité d'une erreur judiciaire, marquée par une série de drames et un meurtre – celui de François Le Heur, père de Denis, par son épouse, fille du condamné qui sera, elle, acquittée à Quimper –, la famille Seznec serait également, depuis 1923, rongée par un secret indicible. Les fils de Petit Guillaume n'ont jamais brisé l'omerta, même quand les requêtes pour la réhabilitation de leur grand-père, qu'ils pensaient innocent, se faisaient retoquer l'une après l'autre. Ils attendront 2018 pour raconter dans le détail le crime de Marie-Jeanne (Affaire Seznec, le Grand secret, Anne-Sophie Martin, Seuil).

Dans l'ordonnance de mise en accusation de Guillaume Seznec, les magistrats assénaient : « Les dénégations, qui ont été à la base de tout le système de défense de Seznec, n'ont pas prévalu contre cette certitude acquise dès la première heure, et quoique le cadavre de Quémeneur n'ait jamais été retrouvé, et que l'on ne puisse dire ni comment il a donné la mort à sa victime, ni comment il a fait disparaître son corps, l'information n'en a pas moins apporté avec éclat la preuve de sa culpabilité ». Au bout de cent ans de certitude, la justice peut-elle accepter de changer de vérité ?

Par Stéphane Durand-Souffland

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