Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
12 Mai 2023
Il y a cent ans, débutait l’affaire Seznec. Un descendant de la famille Quéméner s’exprime, en compagnie de l’historien Michel Pierre. Pour eux, la culpabilité de Guillaume Seznec ne fait aucun doute.
Il y a cent ans éclatait l’affaire Seznec, une des plus retentissantes affaires judiciaires du XXe siècle. Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec, 45 ans, et Pierre Quéméneur, 46 ans, quittent Rennes en Cadillac pour Paris. Objectif : vendre la « belle américaine » à un tiers. Mais en chemin, le véhicule tombe en panne près de Houdan, commune des Yvelines, où les deux hommes ont mangé au restaurant « Le plat d’étain » en soirée. Quelques instants plus tard, Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère, disparaît. Il ne sera jamais retrouvé.
Rapidement soupçonné, son compagnon de route est condamné au bagne à perpétuité l’année suivante à Quimper, malgré ses dénégations. Il y restera vingt ans. Depuis cette date, sa famille n’a cessé de vouloir réhabiliter l’innocence de Guillaume Seznec. De multiples hypothèses ont été émises sur la disparition de l’élu. Mais aucune n’a abouti à un procès en révision.
Cent ans après, l’un des descendants de la famille Quéméner (la graphie du nom de famille a évolué), Olivier Talabardon, magistrat et arrière-petit-neveu de Pierre Quéméneur, s’exprime sur cette affaire hors norme, en compagnie de l’historien Michel Pierre, spécialiste du bagne et auteur du livre « L’impossible innocence, histoire de l’affaire Seznec » (Tallandier).
Cent ans après le début de cette affaire, quelle est votre intime conviction ? Avez-vous des doutes ou pas sur la culpabilité de Guillaume Seznec ?
Olivier Talabardon : La question de sa culpabilité est tranchée depuis 1924 et le procès de Quimper. Depuis, il y a eu quatorze demandes de révision qui ont toutes été rejetées, en l’absence de nouveaux éléments de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité. On est dans un état de droit. On ne peut pas faire comme si, après sa condamnation, Guillaume Seznec continuait de bénéficier de la présomption d’innocence. Par ailleurs, il a été déclaré coupable de meurtre, pas d’assassinat, c’est-à-dire que la préméditation n’a pas été retenue, au bénéfice du doute sur ce point.
Michel Pierre : Il n’y a aucun doute sur les faits que le télégramme envoyé du Havre le 13 juin 1923, soi-disant par Pierre Quéméneur, est un faux. Que les deux promesses de vente de la propriété de Plourivo sont des faux. Guillaume Seznec a été incapable de fournir un alibi pour les journées des 13 et 20 juin alors que plusieurs personnes l’ont vue au Havre où il a acheté une machine à écrire qui a servi à taper les actes de vente, et qui a été retrouvée chez lui à Morlaix.
Quels sont les éléments du dossier qui, selon vous, fondent la culpabilité de Guillaume Seznec ?
Olivier Talabardon : Le 13 juin 1923, Guillaume Seznec s’est rendu à trois reprises chez Chenouard, le marchand de machines à écrire au Havre. Il a ensuite été reconnu par Chenouard, ses deux vendeuses et deux clients. Sur le chemin du retour, à Paris, il attire l’attention d’un père et de son fils qui, voyageant dans la même cabine de train, remarquent qu’il transporte un gros paquet dans un papier d’emballage. Le matin du 14 juin, il se fait encore remarquer à Plouaret, toujours avec un paquet sur l’épaule.
Ses explications sont par ailleurs invraisemblables. Il dit avoir laissé Pierre Quéméneur à la gare de Dreux où ce dernier aurait pris un train pour Paris. Or, il confond Dreux et Houdan où le chef de gare et d’autres témoins l’ont vu repartir en voiture avec Pierre Quéméneur. Et à Houdan, Pierre Quéméneur n’aurait pas pu prendre le train pour Paris, celui-ci étant déjà passé depuis plus d’une heure.
Michel Pierre : De nombreuses expertises ont eu lieu sur la machine à écrire et les actes de vente. Encore en 1993, à l’occasion de l’avant-dernière demande de révision. Et ces dernières expertises, réalisées par un collège de cinq experts dont deux étrangers, ont abouti aux mêmes conclusions que celles de 1924. Ils certifient à l’unanimité que la signature de Quéméneur sur les actes de vente est un faux par imitation. J’ai par ailleurs retrouvé une lettre du beau-père de Guillaume Seznec, qui écrivait en 1912 à propos de son gendre : « Je l’ai vu passer des demi-journées entières à imiter des signatures. »
Il n’y a donc pas eu d’acharnement contre Guillaume Seznec durant l’enquête ou le procès ?
Michel Pierre : Dès qu’il a eu un doute, le juge d’instruction, Emile Campion, a ordonné des investigations. Toutes les déclarations de Seznec ont été vérifiées. Le dossier était constitué de 507 pièces, 148 témoins ont été entendus. Quant au président de la cour d’assises, Tom Ernest Dollin du Fresnel, il est inscrit dans son dossier de carrière qu’il « a fait preuve dans les graves affaires criminelles qu’il a présidées, d’un tact parfait ». Et qu’il « avait le souci de ne laisser dans l’ombre aucun détail ».
Olivier Talabardon : L’enquête n’a pas été menée qu’à charge. A chaque fois que Guillaume Seznec avançait un alibi, celui-ci était vérifié, mais en vain. Ainsi, le 13 juin, il a prétendu ne pas être au Havre, mais à Saint-Brieuc où il aurait dormi dans un hôtel. Aucun hôtelier ne l’a vu. Finalement, ce n’est pas l’enquête qui a été à charge, ce sont les faits recueillis et les mensonges accumulés par l’intéressé.
Selon vous, il n’y a pas davantage eu de machination policière, orchestrée notamment par l’inspecteur Pierre Bonny qui sera fusillé à la Libération, pour faire condamner Guillaume Seznec ?
Michel Pierre : Si on admet cette machination et que Guillaume Seznec ne soit jamais allé au Havre, il faut alors imaginer un complot avec plus d’une dizaine de faux témoins au Havre, à Paris, à Plouaret. Avec des policiers, appartenant à des services différents, impliqués dans cette affaire. Et ce, alors que Pierre Bonny n’est qu’un inspecteur stagiaire en 1923 et qu’il n’a eu qu’un rôle très limité dans cette affaire. Faisons plutôt preuve de bon sens…
Puisque les preuves contre Guillaume Seznec sont si abondantes, comment expliquer que l’affaire ait perduré durant toutes ces années ? Est-ce le fait qu’il n’y a ni cadavre ni aveux ?
Olivier Talabardon : en droit pénal, c’est pauvre comme argument. Il n’a jamais été nécessaire de retrouver le cadavre d’une victime pour condamner son meurtrier. Ainsi Maurice Agnelet a été condamné pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux dont le corps n’a pourtant jamais été retrouvé. Et ni la Cour de cassation, ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont trouvé à y redire. Quant à l’aveu, c’est la plus fragile des preuves. Combien d’accusés ont avoué avant de se rétracter ?
Michel Pierre : Cette affaire contient un certain nombre d’éléments plus ou moins magiques. On y évoque des dollars or qu’aurait donnés Guillaume Seznec à Pierre Quéméneur pour acheter son domaine à Plourivo, alors que personne ne sait vraiment si ces dollars or ont existé. Il est aussi question d’un trafic de Cadillac vendues aux Bolcheviques. D’une prétendue affaire d’État. Et enfin, cette histoire se passe dans une Bretagne croyante qui apparaît alors pittoresque, voire exotique, à nombre de journaux parisiens. Au fil des ans, certains ont voulu en faire une affaire Dreyfus à la bretonne et vont s’indigner de ce que la Bretagne aurait été maltraitée dans cette affaire…
De multiples campagnes d’opinion se sont succédé durant près d’un siècle en faveur de l’innocence de Guillaume Seznec. Sur quoi reposaient-elles ?
Michel Pierre : Au lendemain du procès en 1924, hormis la femme de Guillaume Seznec et quelques proches, personne ne conteste sa condamnation. Tout reprend au début des années 1930 avec un trio improbable. Le juge Charles-Victor Hervé, persuadé que Pierre Quéméneur a été tué à Plourivo à partir du témoignage de marins ayant entendu des coups de feu le long du Trieux. Or, ce juge qui avait été interné, a réussi à attirer Eugène Delahaye qui dirigeait La Province, un hebdomadaire d’extrême-droite, et une institutrice, Françoise Bosser, représentante de la Ligue des droits de l’Homme dans le Finistère. Ensemble, ils vont mener une importante campagne d’opinion.
En 1947, le retour de Guillaume Seznec du bagne va aussi relancer l’affaire.
Guillaume Seznec n’a-t-il pas justement bénéficié d’un mouvement d’opinion en faveur des bagnards et des conditions auxquelles ils étaient soumis ?
Michel Pierre : C’est vrai qu’il appartient à la mythologie du bagne. Dans les années 1930, dès qu’il y avait un reportage sur les bagnes, on citait Seznec. Fin 1928, l’hebdomadaire Détective organise ainsi un concours dans lequel il demande aux lectrices et lecteurs de classer, parmi dix cas, les bagnards qui méritent une grâce. Guillaume Seznec arrive en troisième position.
Après son retour, il y eut des conférences qui font salle comble. Le célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher lui consacre une émission à la télévision en 1967. Dans cette campagne, la femme et la fille de Guillaume Seznec, Jeanne, ont joué un rôle prépondérant et l’opinion est alors tout acquise à l’innocence de Guillaume Seznec. Ensuite ce fut l’un de ses petits-fils, Denis Le Her-Seznec, qui a repris le flambeau.
Pendant ces années-là, la famille Quéméner, elle, se fait peu entendre. Pour quelles raisons ?
Olivier Talabardon : Ils se sont défendus au début, notamment lorsque le journaliste Maurice Privat, dans les années 1930, a accusé Louis Quéméner d’avoir tué son frère Pierre, et a mis en cause leur beau-frère, Me Pouliquen. Ils ont porté plainte pour diffamation et ont obtenu gain de cause. Mais c’est vrai que, depuis lors, ma famille n’a pas souhaité s’exprimer publiquement, laissant le soin à la justice de faire son œuvre. Mon grand-père maternel était un neveu de Pierre Quéméneur (N.D.L.R. : ce dernier n’avait pas de compagne ni d’enfant). Or, il y a deux choses dont il lui était difficile de parler, tant elles restaient douloureuses : la Première guerre mondiale à laquelle il avait participé, et l’affaire Seznec.
Mais ce silence n’a-t-il pas contribué à ce que l’affaire perdure ?
Olivier Talabardon : C’est vrai que le fait que la famille ne s’exprime pas publiquement n’a sans doute pas contribué à mettre un terme au décalage existant entre la médiatisation de l’affaire, d’un côté, et sa réalité judiciaire, de l’autre côté.
Ce silence a permis à des thèses fantaisistes de se développer en toute impunité. Les juges, qui ont eu à connaître des dernières demandes de révision, étant eux-mêmes soumis à un devoir de réserve et au secret du délibéré, il n’y a guère eu de parole publique contraire aux thèses révisionnistes
Michel Pierre : il faut bien comprendre que tout l’emballement autour de cette affaire a agi comme un étouffoir pour tous ceux qui voulaient porter un regard distancié sur ce qui s’était réellement passé. Il y a eu une sorte de confiscation de la parole. Dans cette affaire, on a eu tous les scénarios possibles et imaginables : le trafic de voitures avec l’Union soviétique, le crime par des truands à Lormaye (Eure-et-Loir), un corps sans tête à Sion-les-Mines (Loire-Atlantique), le chroniqueur Frédérique Pottecher qui pensait que Pierre Quéméneur était parti en Amérique et qu’il aurait disparu dans les réseaux de la prohibition… Il ne manque plus que les extraterrestres !
Qu’avez-vous pensé lorsque Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, lança une nouvelle procédure de révision, en 2001, entre autres raisons, parce qu’elle trouvait « suspecte la surabondance même des preuves contre Seznec » ?
Olivier Talabardon : Si tous les gardes des Sceaux demandaient une révision à chaque fois que de lourdes preuves ont été réunies contre les condamnés, où irions-nous ! En outre, un tel motif de révision relevait d’un raisonnement complotiste, surprenant de la part d’un ministre de la Justice.
Ces dernières années, il a été évoqué l’hypothèse que Pierre Quéméneur serait rentré de Paris à Morlaix où Marie-Jeanne Seznec l’aurait tué plus ou moins accidentellement. Vous n’y croyez donc pas non plus ?
Olivier Talabardon : Cette hypothèse ne correspond pas aux éléments du dossier. Dans la valise de Pierre Quéméneur, retrouvée au Havre, il y avait un carnet sur lequel il notait ses dépenses. Or, celles-ci, avant les mentions ultérieures qui sont des faux, s’arrêtent à Dreux. Et comment imaginer que Guillaume Seznec se soit laissé accuser à la place de sa femme et ait gardé le silence après le décès de celle-ci et vingt années de bagne ?
Michel Pierre : Si Pierre Quéméneur, bien connu dans le Nord-Finistère, était arrivé le dimanche matin par le train pour se rendre à la scierie des Seznec à Morlaix, quelqu’un l’aurait forcément vu. Par ailleurs, selon cette hypothèse, il aurait fait des avances à Mme Seznec qui les aurait repoussées plus ou moins violemment. Le problème, c’est qu’on ne connaît aucune relation féminine à Pierre Quéméneur. A tel point que ses copains lui avaient fait une blague en essayant de le pousser dans les bras d’une femme. Or, quand Pierre Quéméneur s’est retrouvé en tête-à-tête avec cette personne, il a préféré partir…
Selon vous, dans cette affaire, il n’y a donc aucune zone d’ombre ?
Olivier Talabardon :La seule inconnue, c’est la façon dont Pierre Quéméneur a été tué et l’endroit où Guillaume Seznec a fait disparaître le corps, même si le dossier permet à chacun de s’en faire une idée.
Michel Pierre : L’autre interrogation tient au stratagème mis sur pied au Havre par Guillaume Seznec. À quel moment l’a-t-il imaginé ?
Article de Pierrick Baudais...
Mon avis sur cette interview de Pierrick Baudais
Remarquable.
Tout d'abord par les niveaux des intervenants : un magistrat et un historien.
Et bonheur de lire les lignes d'un descendant de Pierre Quémeneur.
Fut-il son arrière-petit-neveu, il reste un descendant.
Et je lis que ça en chagrine certains, of course. Qui profitent de l'article pour nous survendre (une fois de plus = une fois de trop) leur mauvais bouquin.
A les écouter : dans la course à la recherche de la vérité, un petit-fils, de par sa naissance, aurait plus de chance de trouver qu'un arrière-petit-neveu...
Le degré de parenté n'a strictement rien à voir avec la résolution de l'affaire.
Quant à un Pierre Quémeneur qui revient subrepticement à Morlaix le dimanche 27 mai 1923 au matin, quelle foutaise, mais quelle foutaise !
En ce qui concerne l'assaut sexuel du conseiller général sur Marie-Jeanne Seznec..........
La bêtise humaine est sans fond.
Je pense comme Michel Pierre - et nous avions bien rigolé à ce propos - tant que le cadavre de Quémeneur ne sera pas retrouvé.....
Et Michel d'ajouter "Et s'il était à Lormaye ?"
Humour toujours.
C'est quand même mieux que des fouilles du pauvre à Morlaix pour déterrer un os de veau, isn't it ?
Cette affaire Seznec a attiré un grand nombre de barges avec des théories toutes plus débiles les unes que les autres (Quémeneur bootlegger au Canada avec pour gendre Charles Pasqua... Un espion américain, voyageur fantôme d'un bateau traversant l'Atlantique, pour emmener nos deux Bretons dans une fripouillerie commanditée par les Russes... Quemeneur attrapant au vol et de nuit un train de marchandises à Houdan, etc...)
Quant à l'intervention de Pierre Bonny dans l'affaire Seznec...
Arrêtez de ramer, on attaque la falaise !!!
Liliane Langellier