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Affaire Seznec Investigation

Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.

Mme Seznec. L'étonnant article de Georges Claretie dans L'Ami du Peuple du 17 mai 1931...

Jusqu'à sa mort, elle a cru à son innocence. Tant mieux pour elle, et c'est ce qui la rend sympathique et douloureuse, comme toutes celles qui pleurent un être cher.
Georges Claretie.

Marie-Jeanne Seznec décède à l'hôpital Beaujon (Paris 8e, à l'époque) le jeudi de l'Ascension 14 mai 1931. 

Cette disparition n'échappe pas au journaliste judiciaire Georges Claretie.

Georges Adelson Henri Armand Claretie est né le 5 juillet 1876 à Paris. Mort à Paris le 9 octobre 1936.

Il est docteur en droit. Avocat. Journaliste.

Et publie de nombreuses chroniques judiciaires.

Il publie dans L'Ami du Peuple du dimanche 17 mai 1931 la chronique qui suit....

"On annonce la mort à l'hôpital Beaujon de Mme Seznec, la femme de l'assassin de Quémeneur, condamné aux travaux forcés à perpétuité. De l'assassin, oui, car malgré une campagne faite pour obtenir la révision de ce procès, on ne peut mettre en doute la culpabilité du condamné. Jamais accusé n'a eu contre lui autant de charges : ses mensonges, les faux qu'il a commis, sa présence en des endroits où il ne devait pas être, les moyens qu'il a employés pour faire croire à l'existence de Quémeneur alors qu'il était disparu, la valise de Quémeneur tâchée de sang, le sang découvert sur le collet de Seznec, et bien d'autres charges encore.

Quelqu'un pourtant ne mettait point son innocence en doute, et ceci est bien touchant, c'était sa femme, Mme Seznec. Et depuis la condamnation de son mari elle a consacré sa vie et ses pauvres économies à essayer d'obtenir la révision de ce procès. Peut-être même l'exploitait-on et était-elle dupe ? Tout est possible.

Je la vois encore, à près de sept ans de distance, lorsqu'elle vint déposer à la Cour d'assises de Quimper tendue de rouge.  Une petite femme au profil dur, aux yeux secs, au teint bistré. Jupe de soie noire plissée et corsage de velours des Bretonnes. Sur des cheveux noirs tirés en arrière un petit bandeau de dentelle - la coiffe de Morlaix. Elle s'avança d'un pas décidé. Geste bref, tranchant, autoritaire. Une violente, disais-je jadis.

Pour sauver son mari, elle avait même commis des imprudences. Du fond de sa prison, Seznec, en effet, lui écrivait. La lettre partait avec le linge sale et la réponse de Mme Seznec revenait avec le linge lavé. Terriblement accusatrices pour Seznec, ces lettres. Voici l'une d'elles adressée à sa femme et qui fut saisie :

"Va à Landivisiau voir le père Maringour, dis-lui qu'il a vu la promesse de vente le 23 mai. S'il ne veut pas, sa belle fille le ferait peut-être. Va trouver Mettais à Rennes, fais-le appeler dans un café, dis-lui qu'il aurait vu Quémeneur le 24 mai (il était alors disparu). J'espère que tu as trouvé quelqu'un pour dire qu'on m'a vu à Brest le 12. (Or ce jour-là Seznec était au Havre où il déposait la machine de Quémeneur et achetait une machine à écrire qui lui servit à faire de faux actes.) Bien plus, continuait la lettre, il faut avoir vu Quémeneur à Paris après le 25 mai. Alors, du coup, notre fortune serait faite par le journaliste. On partagerait avec lui."

Quel journaliste ? demandait à Seznec l'excellent président M. Dollin des Fresnel.

Et, l'accusé rageur, répliquait : 

- Je n'ai pas de réponse à vous donner. D'ailleurs la lettre n'est pas parvenue à ma femme. Donc elle n'a fait de tort à personne.

Oui, pauvre femme sur laquelle comptait son mari pour recruter de faux témoins. 

Sa déposition fut particulièrement violente. Elle s'avança, vit une chaise devant elle et délibérément y posa un genoux, s'accouda du bras gauche, tendit l'index vers la Cour et s'écria : 

- C'est du vandalisme qu'on a fait chez moi, du vandalisme pendant les perquisitions. Un pillage. On a osé perquisitionner partout, jusque dans les cabinets. On n'avait pas le droit.

Et, à chaque question que lui posait le président, elle se fâchait, devenait rageuse.

- On a trouvé chez Seznec une machine à écrire ?

- Ce sont les policiers qui ont dit ça. 

- Votre mari est-il allé au Havre ?

- Il me l'aurait dit.

- Mais des témoins l'y ont vu, continuait le président.

- Oh ! des témoins m'ont bien insultée hier au Palais.

Toutes les démarches qu'elle aurait faites à l'instigation de son mari pour trouver de faux témoins, elle les niait farouchement, et lorsqu'on lui parla de la lettre saisie, elle répliqua :

- Il est bien dommage que je ne l'ai pas reçue, car je l'aurais brûlée.

Hargneuse, essayant de noyer les questions sous un flot de paroles, elle continuait son réquisitoire contre la police, les juges, les témoins, la famille Quémeneur, contre tout le monde.

Et malgré tout, on éprouvait une grande pitié pour cette femme ardente, aux traits durs, à la voix sèche et colère, qui voulait à tout prix sauver son mari de l'échafaud ou du bagne.

Jusqu'à sa mort, elle a cru à son innocence. Tant mieux pour elle, et c'est ce qui la rend sympathique et douloureuse, comme toutes celles qui pleurent un être cher.

Hélas ! sa conviction était une erreur. L'affaire Seznec n'est pas une erreur judiciaire. Certes, on n'a pas retrouvé le cadavre, mais dans l'affaire Landru, il en manquait onze. Il y a bien des erreurs judiciaires, mais moins qu'on le croit, et qu'on le dit.

- Tu es assis au banc où s'est assis Lesurques ! s'écriait Victor Hugo s'adressant à son fils Charles, poursuivit en Cour d'assises.

Or, les plus récents travaux prouvent que Lesurques, qui est resté comme le type légendaire de l'erreur judiciaire, était bel et bien coupable.

Mais il a encore des fidèles ou des croyants. Pauvre Mme Seznec, qui avait cette foi ! Elle a bien souffert.

Georges Claretie.

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Quel beau style !

Quel bon usage du Français !

Quelle clairvoyance dans cette affaire si compliquée.

Hélas allaient suivre la folies des hommes : Hervé et Privat.

L'affaire Seznec n'avait pas mérité ça !

 

Liliane Langellier

 

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