Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
9 Juin 2021
C'est beau un beau crime, disait jadis J.J. Weiss.
Je vous ai dit que j'étais séduite par son verbe...
Mais pas que.
Par son raisonnement aussi.
Je viens, de plus, de découvrir qu'il s'est battu en duel contre Léon Daudet de L'Action Française le 4 mars 1911.
Pour défendre une pièce de Bernstein.
Que des Camelots du Roi avaient chahuté.
Un duel à l'épée et au pistolet.
Une raison de plus pour l'aimer, cet homme...
Georges Claretie a suivi le procès Seznec à Quimper pour Le Figaro.
Le Figaro, très lu, qui influence l'opinion des classes dirigeantes.
De la bien pensante bourgeoisie parisienne.
Je vous donne ci-dessous les meilleurs extraits de ses articles.
Quand il écrit...
On devine l'envol de ses mains sortant des manches de sa robe noire d'avocat.
Le Figaro du 28 octobre 1924.
"L'affaire Seznec passionne non seulement la ville de Quimper mais toute la province bretonne.
C'est que, en effet, l'affaire est passionnante. "C'est beau un beau crime", disait jadis J.J. Weiss. Or, si Seznec est coupable, c'est un superbe crime qu'il a commis, une sorte d'affaire Landru en raccourci, et qui montrerait chez le criminel une admirable ingéniosité, un roman très bien fait. La victime disparaît, on ne voit pas où exactement, sur la route, la nuit, jamais on ne retrouve son corps, mais l'accusé essaie de faire croire à la survie du disparu, et, alors, l'accusation fait ce raisonnement : Quemeneur ne peut être que mort depuis plus d'un an. Il aurait donné des nouvelles à sa famille, et son assassin ne peut être que Seznec, puisque celui-ci a voulu faire croire qu'il était vivant.
[...] Et il continue.
Crime bien fait, dit l'accusation. Oui et non, car la disparition de Quemeneur ne semble s'expliquer que par la mort, et c'est à quoi le criminel aurait dû songer. La fugue amoureuse est impossible, dit sa famille. Si Quemeneur - comme un instant on fit cette hypothèse - avait été rencontré, dément, sur les grandes routes, et enfermé dans un asile, on le saurait. Seznec ne peut expliquer sa disparition. Landru, lui, avait une réponse : "Oh ! une femme, messieurs les jurés, c'est bien volage." Ce qui frappe, c'est la malechance qui, dès le début, a poursuivi Seznec, et cette malechance est contre lui la plus formidable des charges. Partout où passe la voiture américaine, on la voit. On a les heures, les minutes mêmes, où, la nuit, sur les grandes routes, Seznec est vu."
"Oui, ce crime serait très bien conçu, mais Landru, auquel il faut toujours penser en cette affaire, Landru, chose curieuse, n'était jamais vu nulle part. C'est par ses notes personnelles qu'on a reconstitué ses journées, et Seznec, lui, est vu partout où il ne devrait pas être, et il n'est vu nulle part où il dit être allé. Vraiment, c'est bien fâcheux pour lui. Il n'ose plus dire aujourd'hui ce qu'il disait à l'instruction : "Tout ça a été manigancé contre moi, c'est de la même boîte."
"Pas un mouvement ne secoue le grand corps maigre de Seznec. Pas un tressaillement des lèvres, mais le petit oeil bleuâtre se fixe intensément sur le président, et cet homme, qui semble être d'une intelligence moyenne, mais d'un entêtement, d'une opiniâtreté terribles, aurait étudié, combiné, machiné, le crime le plus compliqué qui soit, un crime de roman-feuilleton, accompli par une sorte de paysan madré, le crime de quelqu'un qui a lu les causes célèbres ; et c'est bien pour cela, en effet, que la foule se passionne et assiège le palais de justice. Ce sera une cause célèbre."
Deux allusions au procès Landru qu'il a aussi couvert pour Le Figaro.
Puis, le 29 octobre 1924 :
Une superbe description de l'accusé Seznec, très bête ou très malin, selon.
"Et quelle pittoresque affaire, quel curieux accusé que ce Seznec, cet homme, immobile à son banc comme un mannequin de cire, répondant par des phrases vagues et évasives ! Ce paysan rougeaud, au front têtu, ce semi-illettré, qui fait de terribles fautes d'orthographe, est en réalité un des cerveaux les plus fertiles, les plus ingénieux qu'on ait vus en Cour d'assises. L'accusation lui reproche un crime admirablement combiné. Et bien, depuis son arrestation, alors qu'il est au cachot, au secret, Seznec correspond avec le dehors, cherche à susciter de faux témoins, et à se créer des alibis. Son cerveau travaille, car ce paysan semble aussi un romanesque. Aurait-il, par hasard, lu Balzac et sait-il comment Vautrin, ne prison, pouvait faire parvenir des lettres au-dehors ? Tromper la justice, tel est son but puis qu'il est arrêté, et l'interrogatoire d'aujourd'hui nous révèle des moeurs curieuses de la vie des prisons, et apprend comment, malgré les murailles du cachot, les barreaux, les gardiens, les rondes de nuit, on peut machiner, truquer sa défense.
Oh ! il est remarquablement intelligent, Seznec, et, pendant l'instruction, il a compris que le voyage au Havre, l'achat de la machine à écrire sont des charges bien graves. Il va essayer de prouver qu'au lieu d'être au Havre, il était à Saint-Brieuc, et, si on pouvait prouver aussi que Quémeneur n'est point mort, qu'il est vivant, qu'on l'a vu, il serait sauvé. Eh bien ! Seznec va l'essayer. Cela va être l'objet unique de ses pensées alors qu'il est au cachot."
"On assiste au même procédé de défense que dans l'affaire Landru. Voici le commissaire de police qui a, lors d'une seconde perquisition, trouvé chez Seznec la machine à écrire achetée au Havre.
C'est la police qui l'y a mise, disait Mme Seznec autrefois. Complot contre moi, dit aujourd'hui Seznec. Je n'ai jamais eu cette machine.
- Mais, s'écrie Me Marcel Kahn, comme les scellés n'ont pas été mis chez Seznec on pouvait y entrer.
Landru disait la même chose pour les ossements trouvés dans son poêle. Et si Seznec est coupable, on se demande si, précisément, ce n'est pas l'affaire Landru qui lui aurait donné l'idée de son crime. C'est près de la maison de l'homme de Gambais que Quemeneur a disparu, dans cette région de forêts, de fondrières, de carrières et d'étangs, qui est devenue légendaire dans l'histoire des crimes.
Au fur et à mesure que le dénouement approche, la foule est plus dense qui assiège le palais de Justice. Tout Quimper est là. Foule pittoresque où les vieux costumes bretons côtoient les toilettes à la mode de Paris. Et, dans une salle du tribunal transformée en salle d'attente, installés aux bureaux des juges, du substitut et du greffier, les témoins qui attendent leur tour jouent paisiblement à la manille."
Le Figaro du 30 octobre 1924
Une jolie description de Jenny Quémeneur, bon chic, bon genre :
"A la barre, une petite femme en velours noir orné de jais avec un petit col de fourrure blanc et un collier d'ivoire autour du cou : c'est Mlle Jeannie Quemeneur, et le crêpe qui orne son chapeau montre qu'elle n'a aucun doute sur la mort de son frère. Ils s'aimaient tendrement, et Quemeneur ne serait pas resté sans lui donner de ses nouvelles. Un soir, il lui a dit : "Je pars pour Paris avec Seznec, voilà deux cents francs car je reviens bientôt."
Et il n'a pas reparu. Quand on a retrouvé sa valise, il manquait le complet tout neuf que sa soeur avait elle-même emballé.
Cette petite Bretonne, élégante et énergique, a terminé. Pas un mot contre celui qu'elle croit évidemment l'assassin de son frère. Elle le regarde, et l'on voit dans ses yeux ni haine ni colère."
D'un côte on a la jeune fille catholique distinguée et éplorée...
Qui va plaire aux lecteurs...
De l'autre, trois mégères plutôt vulgaires :
Avec Angèle Labigou, la bonne et Marie-Jeanne Seznec qui se tiennent mal et se disputent avec une certaine Mme Ploïc.
Qui accuse Marie-Jeanne Seznec de boire :
"- Ce que je dis est si vrai que je puis donner une précision : vous m'avez dit que Mme Seznec était couchée depuis deux heures parce qu'elle était saoûle ! [...]
Après quoi, les trois femmes satisfaites de s'être injuriées mutuellement, regagnent leurs places, le sourire aux lèvres."
Le Figaro du 2 novembre 1924
De Jaegher, lui, il a enfoncé son pote...
Ce pitre... Pour le plaisir de faire un bon mot de plus :
Le Figaro du 2 novembre 1924
"Voici que précisément M. Dejaeor, de Morlaix, raconte : "Chaque fois que je me suis rendu chez Seznec, j'y ai toujours trouvé des huissiers."
Le témoignage de Le Her est loin d'avoir séduit Claretie :
Le Figaro du 3 novembre 1924
"L'ancien employé d'autobus qui a, d'après la police et d'après ses camarades, la réputation d'un hâbleur, ne fait pas mauvaise impression à l'audience, mais il doit reconnaître qu'il a, en parlant, par exemple, de ses états de service, souvent altéré la vérité."
Trois lignes.
Un mort.
Le Figaro du 4 novembre 1924
"Le silence de Quemeneur, n'est-ce pas la preuve de son silence éternel ? Le silence de Seznec, n'est-ce pas la démonstration absolue de sa culpabilité ? Un innocent a une autre attitude. Un innocent vous aurait fait entendre d'autres accents."
......................................
Pour Georges Claretie...
Il n'y a aucun doute...
Seznec est coupable.
Point.
Barre.
Et, du coup...
Pour les lecteurs du Figaro aussi.
Juste quelques lignes, en page 3, et dernière heure :
Rien à ajouter.
Ah ! si !
La version d'un Pierre Quémeneur terminant sa route dans un étang entre Gambais et Houdan...
Est toujours plus sensée que les délires de Petit Guillaume.
Liliane Langellier
Figaro : journal non politique
Figaro : journal non politique -- 1924-11-04 -- periodiques
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k294152f/f3.texteImage
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