Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
1 Mars 2025
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Nicolas Boileau,
L'Art poétique
Archives Denis Langlois
Pour commencer...
Puisqu'il faut cent fois sur le métier remettre son ouvrage...
De même que Pierre Quémeneur n'a pas pu attendre, assis sur sa valise, pendant 3 heures à la gare de Houdan...
Il n'y avait aucun train au départ de Monfort-L'Amaury le vendredi 25 mai au soir après 20 h 46.
Guide Michelin 1922. Archives personnelles.
Le prochain était à 4 h 08 le 26 au matin, et je vois mal Pierre Quémeneur, qui était très très impatient, attendre dans la voiture de Seznec.
D'autant plus qu'il y a eu un témoin nous disant que Seznec était SEUL à 11 heures du soir.
Le témoin, c'était Pierre Dectot.
Alors on reprend avec Dectot...
La lecture des archives n'est pas réservée qu'à la seule noblesse bretonne #nonmais
De même que la lecture de la presse sur Gallica.
On peut se moquer des Registres Matricules, mais ils ont énormément de renseignements.
Pierre Dectot est né le mardi 13 mars 1883 à Dammartin dans l'ancienne Seine-et-Oise, actuelles Yvelines.
Il est le N° 1502 de la Classe 1903.
Il est l'aîné de 9 enfants.
Il est journalier quand il se marie à Garancières le 9 octobre 1909 avec Léa Juliette Pelleray (17 ans).
Il a été condamné à trois ans de prison, le 30 septembre 1914, pour vol d'un cheval et de mobilier alors qu'il était sous les drapeaux.
Il a des problèmes pulmonaires.
Mais n'est absolument pas blessé de guerre.
Au recensement de 1921, il habite bien Les Quatre-Piliers à Gambais, avec son épouse et cinq enfants.
Il est machiniste au moulin de Giboudet.
Il a donc 40 ans quand son chemin croise celui de Seznec.
Il habite depuis environ deux ans aux Quatre-Piliers à Gambais.
Pierre Dectot est mort le 20 août 1924.
Généalogie de Pierre Victor Emmanuel DECTOT
Découvrez gratuitement l'arbre généalogique de Pierre Victor Emmanuel DECTOT pour tout savoir sur ses origines et son histoire familiale.
https://gw.geneanet.org/rockxine?lang=fr&n=dectot&oc=0&p=pierre+victor+emmanuel
Pierre Dectot sur Geneanet.
autres, ces recherches furent couronnées de succès.
Pierre Dectot in Arthur Bernède "Seznec a-t-il assassiné ?" 1931.
Le Petit Parisien du 4 juillet 1923
Ouest-Eclair du 4 juillet 1923
La Dépêche de Brest du 4 juillet 1923
Le Matin du 4 juillet 1923
La Charente 7 juillet 1923
"Les recherches effectuées dans la région de Gambais n'ont donné aucun résultat. Toutefois, M. Vidal a recueilli une déposition qui présente quelque intérêt. Un maçon de Gambais, M. Dectot, a déclaré que le 25 mai, à 11 heures du soir, revenant à bicyclette de Millemont, il avait vu une automobile qui stationnait, ses deux phares allumés, sur la route de Paris à Brest, entre les Quatre-Piliers et La Queue-les-Yvelines, exactement à la borne 52. Le moteur était arrêté et le conducteur, un homme grand, sec, coiffé d'un chapeau mou fendu, paraissait occupé à une réparation. M. Dectot lui offrit ses services. L'autre refusa en lui demandant simplement s'il était bien sur la route conduisant à Versailles. Le témoin a affirmé que le conducteur était seul. La route, à l'endroit indiqué, est bordée à gauche par une chasse clôturée par une grille d'un accès difficile, et à droite par un fossé rempli de vase. Plus loin, un large ruisseau qui débordait fin mai, va se perdre dans la plaine de Morissant. Une confrontation aura lieu entre Sezenec et M. Dectot."
Oui, Pierre Dectot...
A 22 h 30 sur la route de Paris (Denis Seznec en page 103) :
"Peu avant la Queue-lez-Yvelines, à proximité du village de Millemont, nouvelle panne.
C'est à cet endroit que Pierre Dectot, un maçon qui se déplace à bicyclette, remarquera la voiture. Il vient de quitter Millemont, commune où demeurent ses beaux-parents avec qui il a dîné, pour rentrer à Gambais où il habite. Il monte la côte à pied car il n'a pas beaucoup de souffle, ayant perdu un poumon à la guerre. A 22 h 30, sur cette route de Paris, il aperçoit la voiture, immobile, phares allumés, l'avant dirigé vers la capitale. Dans son témoignage (cotes 69 et 112) il précisera qu'il est 23 heures quand il arrive à hauteur de la Cadillac. Il est affirmatif : Cet homme était seul, j'en suis certain. Je n'ai vu personne avec lui."
Le prudentissime Bernez Rouz il en pipe pas mot de Dectot, hein ?
Remarquez, il a été prudent, parce que d'après son R.M. (Registre Matricule),
le Pierre Dectot il était pas blanc blanc, il était même de la braconne et d'autres choses aussi.
Michel Pierre, non plus n'en parle pas.
"Pour ne pas compliquer le récit, sans plus", m'écrit-il à l'instant.
Alors que Denis Langlois lui consacre un long passage (in pages 219 et 220) :
"On relève d'ailleurs dans le dossier un témoignage qui, curieusement, a été en grande partie écarté, à la fois par la police et par Seznec : celui de Pierre Dectot, maçon à Gambais, la petite bourgade où le sinistre Landru a sévi. Voilà un cycliste qui, vers 23 heures, près de Millemont, c'est-à-dire une dizaine de kilomètres au-delà de Houdan en direction de Paris, aperçoit une voiture arrêtée sur le bas-côté, phares allumés. Un homme, apparemment seul, lui demande s'il est bien "sur la route de Versailles", ce qui est le cas, puisque l'avant de la voiture est orienté dans cette direction.
Guide Michelin 1922. Archives personnelles.
"La police ne retient ce témoignage que parce qu'elle y voit la preuve que Seznec vient d'assassiner Quémeneur, puisqu'il est seul dans sa Cadillac. Ses recherches d'un cadavre enterré dans les environs restent vaines. Mais elle ne tire aucune hypothèse du fait que le conducteur, dont rien n'établit avec certitude qu'il était seul, a demandé "la route de Versailles". C'est pourtant une question curieuse de la part d'un conducteur qui est censé se diriger vers Paris et qui un peu plus tôt a demandé : "la route de Paris". Une enquête à la gare Versailles-Chantiers distante de 25 kilomètres de Millemont s'imposait incontestablement.
De son côté, Seznec utilise ce témoignage pour affirmer successivement deux choses. D'abord, contre toute évidence, que Dectot l'a aperçu alors qu'il commençait "tout juste à faire nuit", c'est-à-dire à un moment où Quémeneuravait encore le temps de prendre à Dreux le train pour Paris. Ensuite que, s'il a tué Quémeneur, après être sorti de Houdan, il n'a disposé que de 35 minutes pour faire disparaître son corps, ce qui constitue une sorte d'exploit. Il s'abstient de commenter la demande de la "route de Versailles". Pourquoi ?"
Alors le gars Dectot, ce fameux 25 mai 1923 à 23 heures, venait-t'y de chez son beau-père ou était-t-y allé chercher ses outils #jeposequestion
Il ne figure évidemment pas dans la liste des témoins du procès de Quimper.
Puisqu'il est mort le 20 août 1924.
C'est bizarre, parce que, lui, il a très bien précisé l'endroit où il a vu la voiture de Seznec.
in Le Petit Parisien du 4 juillet 1923 :
"Je revenais à bicyclette de Millemont (...) en face de l'une des barrières de la chasse gardée de M. Béjot..."
"Si l'homme auquel parla M. Dectot était Seznec, il se trouvait donc, le 25, entre onze heures et onze heures et quart, au kilomètre 52, à quelques centaines de mètres des Quatre-Piliers."
Malet en rouge, Dectot en bleu.
On le voit sur cette carte...
Guillaume Seznec est sorti de la Nationale 12.
Le Petit Parisien du 8 juillet 1923
"On sait en effet que l'inculpé, dès son premier interrogatoire, a déclaré être passé à Millemont. Or, ce petit village est situé à quinze cents mètres de la route nationale de Brest à Paris, sur un chemin peu fréquenté."
Philippe Lamour aussi en parle dans sa plaidoirie du 5 octobre 1932 :
"Eh bien, Messieurs, c’est inexact, et voici encore un fait essentiel et trop facilement négligé. Entre le moment où Quémeneur et Seznec ont quitté la gare d’Houdan et le moment où le témoin Schwartz, qui allait porter du lait à la gare, a rencontré Seznec, une autre personne l’a rencontré, et c’est là un témoignage important dont il n’est jamais fait état et qu’il ne suffit pas de paraître ignorer pour le faire disparaître. C’est que j’ai le devoir et le droit de le dire, il détruit entièrement et à lui seul toute l’hypothèse de l’accusation.
Messieurs, un nommé Dectot, blessé de guerre, qui n’a qu’un poumon, quittait ce soir du 25 mai ses beaux-parents avec lesquels il avait dîné. Il était parti de Millemont, commune où demeurent ses beaux-parents. A cause de son poumon unique, il avait remonté à pied, en poussant sa bicyclette à la main, le chemin en pente qui monte de Millemont à la route de Brest. Au haut de la côte, il avait renfourché sa bicyclette mais avait été obligé de descendre aussitôt, aveuglé qu’il était par les phares d’une auto arrêtée et qui l’empêchaient d’apprécier prudemment le gabarit de la route.
Il peut donc préciser avec exactitude que c’est à 23 heures qu’il arriva à la hauteur de cette automobile, mais qu’à partir de 22 heures 30 il en apercevait les lumières sur la route de Millemont, ce qui l’empêchait de rouler sur sa bicyclette. (Cotes 69 et 112)
Cet homme a donné toutes les précisions. Il est arrivé près d’un automobiliste qui était Seznec et qu’il a reconnu comme tel. Et il déclare : « Cet homme était seul. Cet homme était seul, j’en suis certain, car il y avait ce soir-là clair de lune et je n’ai vu personne avec lui. »"
Lire chez Marc du Ryez :
"Vers 21 heures, ils s'arrêtent à Houdan et dînent à l'hôtel-restaurant Le Plat d'Etain.
En repartant vers 22 heures, ils se trompent de route et arrivent à la gare de marchandises. En faisant demi-tour, la Cadillac heurte le montant d'une barrière, puis elle repart en direction de Paris.
Vers 23 heures, Thérèse Malet voit une voiture stationnée à 6 kilomètres de Houdan dans la direction de Paris, avec un seul homme à bord. Vers la même heure, un cycliste, Pierre Dectot, croise une voiture arrêtée environ 4 kilomètres plus loin dans la même direction, les phares allumés ; le conducteur fait les cent pas.
Vers 5 heures 30, Henri Schwartz trouve la Cadillac de Seznec arrêtée près du croisement des routes de Paris et de Montfort, tournée en direction de Houdan. Schwartz fournit à Seznec un bidon d'essence de 5 litres."
L'Est Républicain du 5 juillet 1923
"Il était alors 11 h 15"
Il reste entre trois quarts d'heure et une heure à Guillaume Seznec pour assassiner Pierre Quémeneur.
in Arrêt N° 5813 du 14 décembre 2006. Cour de Cassation Chambre criminelle.
A 23 heures, la voiture est tournée dans la direction de Paris.
A 5 h 30, elle est tournée en direction de Houdan.
J'ai toujours pensé que Guillaume Seznec avait eu le temps d'aller jusqu'au Pont de Saint-Cloud, déposer Pierre Quémeneur à une station de taxis.
Ou a-t-il simplement caché le cadavre quelque part en attendant de l'enterrer.
Il aura le temps entre 23 heures et 5 h 30 du matin.
Pierre Quémeneur a-t-il été insupportable car il se sentait en retard pour son rendez-vous parisien du lendemain ????
Guillaume Seznec, épuisé par les pannes successives de la Cadillac a-t-il perdu patience ?
Se sont-ils disputés ?
Et cela s'est-il terminé par un geste violent de Seznec ?
Pourquoi pas ?
Le père Pierre Maghin, ancien prêtre ouvrier, avait pour coutume de dire que toute relation entre les êtres est une relation de séduction.
Qui Pierre Dectot a-t-il donc voulu séduire ?
Était-ce, dans ce témoignage, un moyen de prendre sa revanche sur une société de nantis ?
Lui, le paria, père d'une famille trop nombreuse, qui vivait, entre autres, de braconnage, aux limites de cette société...
Était-ce le moyen d'exister enfin face à la police et à la presse ?
Et de prendre sa revanche face aux villageois ?
Était-ce le moyen de se venger de la gendarmerie locale, qui le poursuivait pour braconnage, en allant parler à la police nationale ?
Il est mort trop vite pour que nous en sachions plus.
Liliane Langellier
P.S. SaintOp/Seznek sur Dectot dans L'affaire Seznec revisitée :
P.S. 2 Dectot in Radar du 27 décembre 1953 :
Seznec lui-même parle de Dectot !!!
Pierre Dectot. Année 1903. Registre matricule 1502.