Les partisans de Guillaume Seznec et son clan familial ne se sont jamais relevés de la douche froide de 2006. Ce jeudi de décembre, ils espéraient que la Cour de cassation leur donnerait raison. Mais les hauts magistrats, appelés à statuer sur une énième demande en révision du procès d’assises de Quimper, ne reconnurent aucun élément nouveau dans l’affaire. Logiquement, ils refusèrent de disculper le maître de scierie de Morlaix, condamné au bagne, en 1924, pour avoir tué son ami et conseiller général du Finistère, Pierre Quémeneur, lors d'un voyage en voiture à Paris pour y négocier une Cadillac d'occasion issue des stocks laissés en Bretagne par l'armée américaine en 1917.
Depuis, le cadavre de "l'erreur judiciaire" bouge encore. Malgré l'implacable analyse des juges écartant un à un les arguments (souvent recyclés) qui auraient pu conduire à réviser le cas Seznec, l'inoxydable roman-feuilleton, nourri par l'activisme de Denis Le Her, petit-fils du condamné, est toujours prêt à rebondir. Or ce n'est pas le livre de la journaliste judiciaire Anne-Sophie Martin ("Le Grand Secret"), une impasse de plus dans la veine sensationnaliste, qu'il faut lire. Mais celui dans lequel Michel Pierre démonte les ressorts de l'interminable "affaire Seznec".
Factuel et dépassionné
Le cas a suscité la passion, c'est peu de le dire. D'où l'urgence d'y ramener un peu de raison. Spécialiste d'histoire pénale, Michel Pierre a décortiqué le dossier, épluché les archives, la presse, revu les émissions télévisées, les téléfilms, interrogé les témoins. Son récit factuel, dépassionné, n'en souligne que mieux le mélange d'illusions, de démagogie et souvent de mensonges, qui permit d'installer dans l'opinion et de l'y entretenir, le spectre de la condamnation d'un innocent.
Certes, on ne retrouva pas le corps. Lors du fatal voyage dans la Cadillac prête à rendre l'âme, Guillaume Seznec affirmait avoir déposé Quéméneur en gare de Dreux et ne rien savoir de sa disparition. Mais la vacuité de ses alibis ne plaisait pas en faveur du suspect numéro un. Et les faux en écriture avérés de Seznec pour s'emparer de la propriété de son ami, révélés par l'enquête minutieuse du commissaire Vidal, emportèrent l'intime conviction du jury populaire. Au terme d'un procès cité à l'époque pour sa rigueur, il accabla Seznec mais lui épargna la guillotine. Le condamné purgea sa peine sous les tropiques jusqu'à l'extinction des bagnes après 1945.
Fiction et complotisme
Il en fallait plus pour que le clan Seznec, incarné par Denis Le Her, renonce à bâtir la fiction d'un héros breton objet d'un "complot d'Etat" ourdi sur fond de trafic de Cadillac avec la jeune URSS puis broyé par la machine judiciaire. De façon obsessionnelle, le petit-fils a prêté les pires desseins à Pierre Bonny, inspecteur stagiaire lors de l'instruction de l'affaire. Que ce policier soit devenu, vingt ans plus tard, sous l'Occupation, un collaborateur de la Gestapo a fait beaucoup fantasmer alors que le jeune Bonny fut au temps de l'instruction, le dossier en atteste, un acteur tout à fait subalterne.
De la part de la famille, on peut bien sûr comprendre l'acharnement à vouloir prouver l'improuvable. Le plus ennuyeux est la préférence accordée par une partie des médias et de la classe politique, aux hypothèses les plus farfelues et complotistes au détriment de faits dûment établis. Et surtout le refus de se rendre à l'évidence, entretenant la croyance dans une société objectivement manipulée. On aura même vu une Garde des sceaux bretonne pousser les feux d'une demande de révision en critiquant la magistrature dont elle avait la charge et jeter en pâture à l'opinion l'idée selon laquelle "la surabondance de preuves" rassemblée contre Seznec était "suspecte".
On peut aujourd'hui espérer que l'affaire soit close. Mais en ces temps de "post-vérité" et de "fake-news, le mode de fonctionnement de cette affaire hors-norme, radiographiée par l'historien, est plus actuel que jamais.
Christophe Lucet
"L'impossible innocence - Histoire de l'affaire Seznec" de Michel Pierre.
éd. Tallandier, 320 p. 19,90 €.