Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
14 Octobre 2024
Les deux Sammies qui nous intéressent...
Ernest C. Ackermann et Pierre Tallerie...
Ont transité par le camp de Pontanezen à Brest.
Lire sur le blog de En Envor : Les archives de la présence américaine en Bretagne 1917/1919
1/ Le camp de Pontanezen
"Il y eut aussi la Côte bretonne. Pontanezen, près de Brest : un vaste terrain nu, des blocs de ciment jonchant des champs encastrés dans les talus, un bâtiment perdu dans une caserne rénovée qui date de Napoléon. C’est tout ce qui reste du plus vaste camp militaire du monde qui abrita également en 1918 près de cent mille soldats américains. Après la guerre, nombre de soldats américains se souvenaient d’avoir couché au moins une semaine dans les Napoleon’s barraks. Pontanezen était le village de France le plus connu aux Etats-Unis. Plus d’un million d’hommes y avaient fait ne fusse qu’un court séjour, et deux mille d’entre eux sont enterrés dans un cimetière proche, victimes de l’épidémie de la grippe espagnole de 1918. La vieille caserne est la base d’installation des premiers soldats débarqués. Aux murs, à l’extérieur, des anneaux de fer : on y attachait jadis les chaînes des forçats avant leur départ pour le bagne.
Le bâtiment fut prison puis hôpital, avant de redevenir peu avant 1914, caserne. Au début de 1917, le port de Brest est insuffisant pour débarquer les soldats en grand nombre, le camp n’est encore que peu développé. Les soldats y vivent sous les tentes. Débarqués au port de commerce, ils remontent à pied les rampes et prennent la route du camp avec tout leur barda. Les premiers sont des Marines au teint hâlé, qui partent très vite pour le front, viennent ensuite les détachements d’Engineers, vivant eux aussi sous la tente et qui ont débarqué à Cherbourg ou Saint-Nazaire et qui vont être chargés d’agrandir le port de Brest.
15.000 hommes sont débarqués chaque mois mais le rythme n’est pas suffisant. Les soldats du Génie partent tous les matins en camion pour Brest, travaillent à la gare, posent des rails, étendent les voies destinées aux wagons de marchandises, montent des grues, d’autres sont employés au port et, équipés de lourdes machines, ils lancent de nouvelles jetées, élèvent des magasins, des ateliers de manutention, raccordent au port la ligne Paris-Brest. Leur activité se poursuit jour et nuit.
Pour les enfants du village, c’est un rêve. Ils récupèrent les hautes bottes lacées des officiers que ceux-ci estiment trop lourdes pour le front. Ils s’affublent de culottes de cheval, portent des chemises en laine avec de vastes poches et des gilets du Génie en cuir marron foncé, sans manche ni boutons. Ils glissent dans leurs des miroirs incassables en métal poli, des dès à jouer, du chewing-gum, des sacs de tabac Buill-Durham avec des feuilles de papier et une pochette d’allumettes. Ils peuvent ainsi se rouler des cigarettes et certains vont même jusqu’à s’entraîner au pistolet. Qui les empêcherait de se procurer des Brownings de 9 mm ? Les soldats sont généreux. Ils font cadeau aux gamins de leurs armes inutilisables sur le front. Avant de partir, ils plient leur tente, allument un grand feu de bois et chantent toute la nuit en attendant l’ordre de route. Les hommes de la police montée, d’anciens cow-boys pour la plupart, font du rodéo dans les champs. Un jour c’est la fête au camp. On aperçoit le général qui sort d’une incroyable voiture noire, immensément longue… Une Cadillac dernier modèle. Décidément, ces Américains ne cessent pas de surprendre. Il faut à nouveau agrandir le camp pour qu’il puisse accueillir cent mille hommes d’un coup au printemps de 1918. La construction d’une véritable ville de bois est nécessaire et dix mille soldats du Génie s’y emploient. Ils commencent par aménager de vraies routes empierrées, macadamisées, des dizaines de rouleaux compresseurs y travaillent sans relâche. Des larges avenues sont ainsi dégagées. Des trottoirs en caillebotis permettent aux hommes de marcher au sec. On construit dix kilomètres de chemin de fer à voie étroite pour approvisionner les magasins et les cuisines. Douzes cuisines équipées du matériel le plus moderne serviront chacune dix mille repas à l’heure. Le gros matériel arrive par voie ferrée. On a raccordé le camp à la gare de Brest. Les locomotives ont déjà débarqué au port. D’où vient l’eau ? Il en faut 45.000 hectolitres par jour. On la puise à Penfeld.
Des stations de pompage sont installées partout, des kilomètres de tuyaux alimentent les cuisines, les lavabos, les douches, les postes d’incendie. Les Brestois ouvrent de grands yeux. Ils n’ont jamais assisté à d’aussi rapides réalisations. Le port se transforme à vue d’oeil afin de recevoir les navires les plus lourds. Le camp est aménagé en un temps record. On divise chaque kilomètre carré du camp en parcelles numérotées. Certaines zones sont réservées aux troupes noires, d’autres aux blancs.
On a ensuite installé des scieries pour fabriquer des baraquements tous identiques. Chacun hébergera quatre vingt soldats. Magasins, infirmeries, bibliothèques, salles de spectacle, lieux de culte, tout est prévu. Les organisations philanthropiques débarquent. Le camp s’anime, s’humanise. Les femmes, elles aussi, arrivent à leur tour en grand nombre.
Les bootlaks noirs s’affairent à cirer les chaussures comme à Brooklyn. Les salons de coiffure attendent leur clientèle. Le cirque Barnum a envoyé sa cavalerie pour distraire les troupes. Les plus grands chanteurs, danseurs et danseuses, comédiens de France, des Etats-Unis se donnent rendez-vous au camp. 3.000 hommes assistent un soir à la représentation cinématographique de « Charlot soldat ». Il y a toutes les semaines un concert de Jazz ou de musique classique. Un journal, le « Pontanezen Duckboard » (le Caillebotis) rédigé au camp, est imprimé à la Dépêche de Brest. Une véritable ville est née.
Règne soudain une incroyable prospérité. Les femmes lavent le linge des officiers qui paient bien. Elles livrent les chemises dans de grandes feuilles de papier blanc fournies par l’administration du camp. On vend de la bière au café du village, mais pas d’alcool. La Military Police ouvre l’oeil.
A l’aube les habitants sont réveillés par les petits clairons américains qui semblent plutôt sonner la chasse à courre. Les champs sont devenus des terrains de jeux, mais les paysans y gardent leurs bêtes. Ils vendent lait, crème, beurre, oeufs aux infirmeries, à l’hôpital."
2/ La fermeture du camp en décembre 1919.
Novembre 1917 : Les possibilités d'accueil du port de commerce, l'évacuation des troupes par voie ferrée, la création de cantonnements ont fait de Brest la tête de pont du débarquement des américains en France. En attendant l'aménagement du camp de transit de Saint-Marc, la caserne de Pontanézen a été mise à leur disposition.
12 novembre 1917 : Le premier convoi américain (environ 12 500 hommes) plus une centaine de "marines" venant de Saint-Nazaire viennent prendre leur quartier à Pontanézen.
Fin décembre 1917 : L'édification de 30 baraques est autorisée afin d'augmenter la capacité car à l'origine seuls 2 000 hommes pouvaient s'y installer. Toutefois cette installation est provisoire.
21 janvier 1918 : Ouverture du camp "Hôpital 33" occupant 2 bâtiments de la caserne où François Vidocq a été interné (voir TAPAJ n°21 ).
Début 1918 : Avec l'afflux des soldats américains, le camp s'étend autour de la caserne de Ponta.
Mars 1918 : II est décidé la construction de nouvelles baraques et l'installation de tentes (de 2000 à 10000 soldats), la base de Ponta s'agrandit.
Durant l'été 1918 : Le développement du camp de Pontanézen s'accélère. Des installations diverses (cuisines, magasins, chemins d'accès aux zones de campement, canalisations d'eau venant de la Penfeld) sont aménagées sommairement. L' "Hôpital 33" est agrandi.
Septembre 1918 : Des travaux sont entrepris pour l'installation d'un camp permanent pouvant accueillir 50000 hommes, mais avec la pluie le camp devient un bourbier.
Hiver 1918-1919 : La grippe dite "espagnole" frappe non seulement Ponta, Brest, mais aussi la France entière et ses combattants, décimant une partie de la population.
Début 1919 : Le camp américain s'étend sur 687 hectares. 850 bâtiments y ont été construits pouvant accueillir environ 50 000 hommes. Le camp de tentes peut abriter 35 000 hommes. Ces camps sont divisés en 16 sections autonomes possédant chacune leur cuisine et leur réfectoire pouvant servir 7 500 repas à l'heure. Ces sections sont reliées par des routes goudronnées. Les trottoirs sont réalisés par 120 kilomètres de caillebotis. L'électricité est fournie par 6 centrales. Des baraques supplémentaires sont construites près de l'hôpital permettant ainsi l'installation de 2 300 lits. Au plus fort de l'intervention américaine en 1919, on a enregistré le départ de 26 000 hommes et l'arrivée de 12 000.
Décembre 1919 : Avec la diminution de l'activité durant l'été, le camp de Ponta est fermé.
……………………..
Donc, tout cela a duré de novembre 1917 à décembre 1919.
Deux ans environ.
Les Seznec revendent leur blanchisserie au frère de Marie-Jeanne, Charles Marc, en septembre 1919.
Lire sur le blog de Saint-Op : La cassette des dollars or oubliée à la terrasse, chez Lombard.
"Nous voici de retour pour évoquer cette fameuse cagnotte de dollars-or. Elle consiste en une somme rondelette, en pièces sonnantes et trébuchantes, amassée grâce à la générosité des officiers US contre du blanchissage et du repassage de qualité. Les Américains campent à Pontanézen de novembre 1917 à décembre 1919. La blanchisserie du couple Seznec est cédée à Charles Marc, beau-frère de Guillaume Seznec, en septembre 1919. Si l’on considère que le couple Seznec a travaillé pour le corps américain pendant 1 an 1/2, la somme mise de côté correspond environ au chiffre d’affaires dégagé par la blanchisserie pour la même période (on dispose de peu d’éléments chiffrés : le montant déclaré de la cession à Charles Marc et le montant figurant sur l’avis d’imposition, montant évalué par l’administration, le couple Seznec étant fâché avec la paperasse). Marie-Jeanne aurait donc doublé son chiffre d’affaires. Belle performance due essentiellement au travail de Marie-Jeanne et à son entregent, c’est du moins ce que laisse entendre son époux. Cette cagnotte, selon les dires de Marie-Jeanne, est destinée à l’achat d’une maison à l’extérieur de Morlaix."
Notre Ernest Ackermann arrive à Pontanezen en mars 1918.
Départ Février 1918 de la côte américaine.
Notre Pierre Tallerie arrive le 7 août 1918.
".... And I have left the United States on July 25, 1918, arriving at Brest, France, on August 7, 1918 where I am now residing for the purpose of serving in US Army on behalf of 303 rd M.P. Company."
Les deux vont traficoter dans les bagnoles ricaines.
Mais par très petites quantités.
Pierre Tallerie est chopé le 17 mars 1920.
Il n'a pu trafiquer que du 7 août 1918 au 17 mars 1920.
A peine deux ans...
Et a réussi à être condamné à deux ans de prison.
Ernest Ackerman reconnait avoir vendu plusieurs voitures à Seznec.
"J'ai connu Monsieur Seznec alors que j'étais soldat à Brest et détaché dans un camp américain en 1919. A cette époque, Monsieur Seznec s'est rendu acquéreur de plusieurs voitures.
Courant mars 1920 je suis venu m'installer à Paris où j'ai d'abord habité 52 rue Richard Lenoir.
Le 10 avril de la même année, je suis entré au service des Américains pour le « Service des Tombes ».
Mais tout cela se termine en mars 1920.
Il n'a pu trafiquer que de mars 1918 à mars 1920.
A peine deux ans.
C'est donc du trafic à petite échelle.
"Tallerie en 1919 vendait les Cadillac 13.000 francs pièce et touchait une commission de 1.000 francs."
Et, cherry on the cake, notre crêpier texan, Bertrand Vilain, l'a lui-même affirmé dans son ouvrage :
Dans le chapitre 3, de la page 39 à la page 63, il démontre l'impossibilité matérielle d'un tel trafic.
En écrivant, page 45 : "La firme Cadillac a expédié 2095 automobiles en Europe pendant la totalité du conflit".
Et en page 50 : "En mai 1923, l'ensemble des stocks avait été liquidé. Les quelques centaines d'automobiles étaient éparpillées sur tout le territoire et même jusque dans les colonies. Il était complètement irréaliste d'espérer acheter des Cadillac par centaines pour les revendre en espérant réaliser un profit."
3/ La liquidation des stocks.
Tous les grands parcs de voitures américaines (Paris, Brest, Romorantin...) ferment les uns après les autres.
Le parc de Gièvres (Romorantin) en 1917
Le 15 avril 2008, Skeptikos écrit sur son blog :
"Ma question là voilà :
Qui, du plus haut au plus bas de l’échelle, dans le personnel politique a eu intérêt à couvrir un minable trafic de voitures à bout de souffle , destinées à personne et qui aurait eu lieu entre Janvier et Juin 1923 ?
J’insiste sur les trois données incontournables
- Voitures archi- usées (les deux exemplaires cités en font la preuve)
- Aucune clientèle
- A peine six mois pour effectuer les transactions (Je sais, les évènements ont dû brusquer la fin de la partie)
Pour vous aider un peu, je vous rappelle deux témoignages de deux amis de Quémeneur, son banquier et l’ancien maire de Landerneau : en gros et en moins moderne, ils lui ont dit « C’est quoi cette arnaque ? »"
…………......……..
Et, pour conclure, Michel Pierre en page 230 :
Dans l'esprit des Français, la "Cadillac" devient le symbole de la "Belle Américaine" comme dans le film qui porte ce titre en 1961. Six ans plus tard, c'est également une Cadillac qui est la vedette du film "Le Corniaud" avec Bourvil et Louis de Funès. C'est dire que la notion de "trafics de Cadillac" inhérente à l'affaire Seznec fait fonds sur un imaginaire préparé dès l'origine à en conforter la notion et l'image.
Comment cette légende a-t-elle pu perdurer ? Depuis le procès de 1924, les archives se sont ouvertes, les chercheurs ont travaillé et rien, strictement rien, ne vient corroborer cette absurdité. Les documents confirment qu'il restait alors très peu de ces véhicules en Bretagne en 1923 et que ce faible nombre n'aurait pu faire l'objet d'achats massifs.
Au moment de l'enquête, de l'instruction et du procès, en 1923 et 1924, personne ne croyait à d'illégales transactions de voitures vers l'URSS. D'autant que l'on savait alors que dès 1920, le Conseil suprême allié avait levé le blocus auquel ce pays était soumis lors de la guerre civile qui l'avait dévasté. Comment continuer d'y croire, des décennies plus tard ? Si ce n'est par refus d'examiner les faits, les dates et les documents.
Tous les détails de la Nouvelle économie politique, la NEP, proclamée le 12 mars 1921 par Lénine, sont avérés ainsi que les chiffres et tous les courants d'échange qui ont fait l'objet de nombreuses publications. Nous connaissons en millions de roubles les chiffres d'importations totales d'automobiles par l'URSS en provenance d'Allemagne, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis : ceux-ci passent d'un total de 7 millions de roubles pour l'année 1921-1922 à près de 12 millions en 1922-1923. Pourquoi donc acheter en France, et en Bretagne en particulier des véhicules d'occasion vieux de plusieurs années ?"
On ne peut pas délirer sur cette affaire de Cadillacs.
Il y a les faits.
Et la prudence requise dans l'interprétation des faits.
Oui, Seznec, comme les petits copains Ackermann et Tallerie, a profité de la manne américaine pour se faire son beurre.
Le gars Seznec s'achète, en 1919, deux Cadillac pour 30.000 Francs.
"C'est le 29 novembre 1919 au Champ de Mars, à Paris, lors d'une exposition d'automobiles que j'ai fait ces achats. J'étais accompagné de mon beau-frère Pierre Marc, mécanicien à Clichy, et de deux de ses amis. Nous nous sommes rendus dans un café du Champ-de-Mars, boulevard Bourdonnais, c'est là que le contrat de vente de deux américaines a été passé entre M. Randoin et moi."
Mais, cela ne concerne que deux ou trois véhicules.
Pas un trafic plus important.
Et courant 1919/1920.
En 1923, ce n'était plus d'actualité.
Mais plus du tout d'actualité.
Liliane LANGELLIER,