Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
15 Décembre 2019
''Ça mériterait presque une étude dans le détail''
Michel Pierre, dans l'émission de Zoé Varier,
France-Inter, dimanche 8 décembre 2019
À l'heure d'internet, où chacune et chacun peut, ''en quelques clics '', lancer ''sa'' pétition à destination du plus grand nombre, un tel appel ne surprendrait plus guère. Mais, en 1989, il fallait bien, physiquement, ''avoir son stylo prêt pour signer'' un ''papier'', comme le dit Michel Pierre. Et, à en juger par les noms et qualités de celles et ceux qui ont alors ''sorti leur stylo'', cet appel n'était pas présenté sur les marchés ni à la sortie des offices religieux. C'est, dit Zoé Varier, ''toute l'intelligentsia parisienne qui signe''.
Le contexte
C'est en janvier 1989 que Denis Le Her-Seznec crée un Comité de soutien pour la réhabilitation de son grand-père, appuyé sur l'Appel. Le contexte juridique devient ''plus favorable'', note Denis Langlois (Pour en finir..., p. 268)... C'est qu'une loi vient d'être promulguée, issue de deux propositions de loi (Michel Sapin, socialiste et Jacques Brunhes, communiste), visant à soumettre les demandes de révision au pouvoir judiciaire et non au ministre de la Justice, et exiger, non plus des ''faits nouveaux'', mais, de manière plus large, des ''éléments nouveaux de nature à faire naître un doute sur la culpabilité''. Langlois souligne que le seul exemple d'erreur judiciaire évoqué durant les débats était celui de l'affaire Mis et Thiennot (1946), ce qui n'empêchera pas Denis Le Her-Seznec, souvent suivi par la presse, de parler de ''loi Seznec''.
Signer, mais quoi ?
L'appel commence ainsi :
''En 1924, un homme a été condamné aux travaux forcés à perpétuité pour un crime qu'il n'avait pas commis''.
Mais cette phrase liminaire recèle aussi une distorsion, puisque Seznec, outre le meurtre de Quemener, a aussi été condamné pour faux en écritures privées. La cour d'assises du Finistère ne s'est donc pas prononcée sur un crime seul, mais sur un crime et un délit. Bien sûr, lorsqu'il s'agit d'obtenir de notables signatures, on ne va pas entrer dans le détail de documents relatifs à la vente d'un obscur domaine nommé Traou-Nez en Plourivo... Le point mérite néanmoins d'être noté, puisque le raisonnement de la cour d'assises était : ''puisque Seznec a fait des faux, il est forcément un meurtrier'', alors que les conclusions de Denis Langlois pourraient se résumer dans un énoncé semblable, mais de logique opposée : 'même si Seznec a fait des faux, il n'est pas forcément un meurtrier''.
L'appel évoque ensuite ''vingt-quatre années de détention, dont vingt ans au bagne de Guyane''. Le décompte est exact, à quelques mois près, en commençant au 1er juillet 1923 (inculpation de Guillaume Seznec). Il inclut donc la période de détention provisoire (on disait alors ''préventive''), préalable au procès (qui débute le 24 octobre 1924). Seznec a donc passé seize mois en ''préventive''. La durée est-elle ''raisonnable'' ? On observera en tous cas que le droit français en vigueur aujourd'hui dispose que :
''La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas.'' (article 145-2 du Code de procédure pénale)
Cette ''restriction'' (deux ans ou trois ans selon le quantum de la peine encourue) fait suite à plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
Ce qui est imputé à Seznec, c'est :
''un crime sans cadavre, sans preuve, sans témoin, sans aveu''.
Sans cadavre, certes... Sans preuve ? Ce n'est pas ce que semble avoir pensé la cour d'assises, pour qui les faux, d'une part, et la ''perte'' du cric de la Cadillac de l'autre semblent bien avoir constitué, sinon des ''preuves'', du moins des présomptions suffisantes.
Sans témoin, c'est vrai... Mais les témoins, s'il y en avait eu, auraient-ils été ''fiables'' ? Dans l'affaire du ''pull-over rouge'', les deux véritables témoins (le petit frère de la victime et un garagiste voisin) ne reconnaissent pas l'accusé. Ils ne seront pas crus. On se fiera, en revanche, aux époux Aubert, qui, eux, ont varié dans leurs déclarations, et ne désignent qu'in fine Christian Ranucci, alors qu'ils n'ont vu que de très loin l'homme qu'ils désignent.
Sans aveu, bien sûr. Mais l'aveu, avait rappelé Me Paul Lombard au procès de Ranucci, ''n'est pas une preuve en droit français ; c'est au contraire le fil d'Ariane de l'erreur judiciaire, c'est sa fusée porteuse'' (Gilles Perrault, Le pull-over rouge, le Livre de Poche, p. 359).
Cette accumulation : ''sans cadavre, sans preuve, etc.''est peut-être de bonne rhétorique ; elle ne constitue en aucun cas une argumentation juridique.
Suit une longue phrase, qui formule, d'abord, des considérations sur le fonctionnement du système judiciaire, puis le vœu des signataires.
Sur le système, les signataires se disent ''attachés à l'idée d'une justice qui ne serait plus rendue seulement sur la base de l'intime conviction des juges et des jurés, mais sur la base de preuves irréfutables''.
Le principe de l'intime conviction est, certes, discutable. On lira à ce sujet l'étude de Jean-Marie Fayol-Noireterre dans Informations sociales, n° 127, 2005, pp. 46-47, disponible en ligne :
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-7-page-46.htm
L'auteur se garde bien d'une critique frontale du droit français en la matière, mais, citant Michel Foucault (Surveiller et punir), il souligne que “Sous le nom de crimes ou de délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le code, mais on juge en même temps des passions, des instincts, (…) les juges se sont donc mis à juger autre chose que des crimes : l’âme des criminels”. La procédure ''à la française'', débute en effet par ce que l'on appelle l'interrogatoire ''de personnalité'', biographique, donc. On pourrait revenir longuement sur le portrait de Guillaume Seznec dressé à ce moment du procès : ''individu faux, rusé, vivant d'expédients'' (Michel Pierre, p. 99).
On peut souhaiter réformer ce principe, en rapprochant la procédure française des pratiques ''anglo-saxonnes'', qui examinent prioritairement les faits et ne prennent en compte d'éventuelles circonstances ''aggravantes'' ou ''atténuantes'' qu'au moment de fixer le quantum de la peine. Mais on imagine mal comment, en dernière instance, des ''preuves irréfutables'' (par qui, par quoi?) pourraient se substituer à la ''conviction'' des juges et des jurés.
Suit le vœu : les signataires ''souhaitent ardemment pouvoir saluer prochainement la reconnaissance définitive de l'innocence de Guillaume Seznec, heureuse conclusion (…) de l'une des plus grandes erreurs judiciaires de notre temps''. Il y a de l'emphase : ''l'une des plus grandes erreurs judiciaires''. Nul ne doute qu'existent les erreurs judiciaires, et pas seulement en France. De là à les ''classer''... Quant à ''saluer la reconnaissance définitive...'', c'est aller un peu vite en besogne. Il eût suffi de demander que le processus de révision, ouvert par la loi de 1988, aille à son terme, et de souhaiter une issue favorable, ce qui, on le sait, n'a pas été le cas…
La conclusion est ''de circonstance'' : daté du 14 juillet 1989, évoquant le bicentenaire de la Révolution française, l'appel cite évidemment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, pourtant peu loquace en matière de justice. On aurait pu, tant qu'à faire, se référer à la Constitution de 1793 et à l'Acte constitutionnel du 24 juin 1793, qui dispose, d'ailleurs (art. 96), que ''Le fait et l'intention sont déclarés par un juré de jugement. - La peine est appliquée par un tribunal criminel''. ''Le fait'' et ''l'intention'' semblent se distinguer et se combiner, d'ailleurs, à peu près comme le pointait Michel Foucault dans le passage cité.
Alain Delame
Commentaires
Liliane Langellier :
Après Ere Nouvelle, Denis Seznec a bossé à Typo-Elysées, dans les années 80.
Ce qui lui permettait d'être en contacts quotidiens avec toute la presse parisienne via la CGT du Livre.
Il s'y occupait plus particulièrement du Canard Enchainé, qui l'a soutenu à fond (cf Bernard Thomas).
L'affaire Seznec revisitée :
p. 450 : ” Fin 1986, j’avais quitté la coopérative de presse que j’avais contribué à fonder. Quatorze années de travail – mais surtout de passion – au sein d’une entreprise, Publications-Elysées, considérée à l’époque comme le plus beau fleuron de la profession…“
… effectivement, pas n’importe quelle maison, la vitrine (la danseuse disent certains) de la puissante CGT du Livre – des bureaux sur les Champs-Elysées, un outil à la pointe, une clientèle “obligée” et docile… mais revers de la médaille, des obligations syndicales maintes et variées et défense de sortir des clous (ceux plantés par le “vrai” patron, courroie, en ces temps reculés, du gardien du temple, sis place du Colonel Fabien)
…… ceci dit, force est de constater qu’une fois de plus l’auteur semble souffrir de troubles de mémoire : Publications-Elysées, en tant que société ouvrière de production n’existe que depuis mai 1983 (date de déclaration au greffe de la création de la société) – si même sur son parcours professionnel, l’auteur n’est pas fiable, nous voilà dans de beaux draps !
… on attend avec impatience la prochaine réédition pour des informations complémentaires sur le parcours professionnel et politique de l’auteur… nous sommes nombreux à ne pas avoir tout compris… notamment le cheminement du rouge vif au bleu marine…