Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
18 Octobre 2019
Les témoins sont fort chers, et n'en a pas qui veut.
Racine, Les Plaideurs
Il m'apparaît à chaque page combien peuvent être trompeuses les combinaisons du hasard.
Me Marcel Kahn, entretien du 16 octobre 1924 à Ouest-Éclair
Pourquoi revenir sur les ''témoins de survie'', dont les déclarations ''ne valent pas tripette" (1) ? C'est qu'eux seuls, si leurs dires sont un tant soit peu fiables, peuvent conforter, même de manière ''collatérale'' le, ou les récits de Petit-Guillaume.
Il faut cependant, en préalable, comme le disait le Rouletabille de Gaston Leroux, ''prendre la raison par le bon bout''. Que nul être humain n'ait vu Pierre Quemener vivant après la soirée du vendredi 25 mai 1923, ou, plutôt, que nul n'ait dit l'avoir vu, ou encore que tous ces témoins se soient trompés, voire aient menti, n'infirmerait nullement l'hypothèse de son retour en Bretagne, et de son décès dans les conditions narrées par Petit-Guillaume. De même que la présence, en Bretagne, de ''traces'' du corps du conseiller général ne confirmerait en rien, à l'inverse, ce même récit, puisque l'on a pu supposer que Guillaume Seznec avait pu ''rapatrier'' le cadavre (2), et non l'enterrer ou l'immerger entre Dreux et Houdan.
''Au cours de l'hiver [1923-1924], quatre personnes font successivement savoir à Me Le Hire [l'avocat breton de Seznec] qu'elles ont vu Quémeneur vivant après le 24 mai 1923, date où l'on accuse Seznec de l'avoir assassiné" (3). On exclura de la liste François Le Berre, dont Me Baudelot disait que l'accusation avait ''avec raison'' exclu le témoignage. Reprenons donc les trois autres personnes dans l'ordre où les évoque Me Langlois.
Alfred Lajat
Cet imprimeur de Morlaix aurait vu Quemener le mardi 29 mai à Paris, rue de Rennes. Il est ''absolument sûr'' de l'avoir reconnu, mais, au juge Campion qui s'étonne que ce témoignage ait tant tardé (sa déposition date du 14 novembre 1923), il explique avoir eu peur qu'on le ''[prenne] pour un fou''. (4) Mais voici M. Vincent Inizan, député (''Républicain de gauche'') du Finistère, lui aussi présent à Paris les 29 et 30 mai, qui déclare ceci :"À aucun moment M. Lajat ne m'a parlé de Quéméneur, ni fait allusion à la rencontre qu'il prétend avoir eue avec lui à Paris. J'ajoute que M. Lajat est atteint d'une myopie très prononcée." (5) Trois remarques s'imposent ici.
Albert Lajat aurait eu ''peur qu'on le prenne pour un fou''. La thèse policière (meurtre survenu dans la nuit du vendredi au samedi) a tant de prégnance qu'en effet tout ''témoin de survie'' peut bien craindre que ses propos apparaissent proprement insensés.
Vincent Inizan dit qu'Albert Lajat n'a pas, lorsqu'ils se sont vus à Paris, ''fait allusion à [sa] rencontre'' avec Quemener. Mais pourquoi l'aurait-il fait ? Lajat n'aurait qu'aperçu Quemener à la terrasse d'un café, sans lui parler. Et quoi d'étonnant à ce qu'ils se soient croisés rue de Rennes, en plein cœur de ce quartier Montparnasse, sorte de ''Bretagneland'' à l'époque ?
Le député ajoute une remarque sur la myopie de Lajat. Le président de la cour d'assises, Dollin du Fresnel, fera justement remarquer à Lajat qu'il porte ''des verres épais à ses lunettes, et s'attire cette réponse ''si je mets des lunettes, c'est justement pour bien y voir". (6) Mais, s'il a pu arriver que l'imprimeur ne reconnaisse pas un ami commun avenue des Champs-Élysées (7), c'est que Lajat souffre probablement de prosopagnosie (cf. Annexe).
Bien évidemment, une éventuelle rencontre entre Lajat et Quemener à Paris le 29 mai est contradictoire à la fois avec la thèse de l'accusation et avec le récit de Petit-Guillaume. (8)
Me Danguy des Déserts
C'est aussi, quoique moins nettement, le cas du témoignage de l'ancien notaire, qui ''crut voir Pierre Quéméneur le 26 mai à 6 heures du matin ou le 29 mai. Les deux hommes qui se connaissaient fort bien ne se serrèrent pas la main, ne se parlèrent pas. Le notaire indiqua que celui qu'il croyait être Quéméneur lui fit un petit signe de la main. Henri Danguy des Déserts (...) déclara : "Il m'est impossible d'affirmer que j'ai vu Quéméneur. J'ai pu me tromper car je suis très myope."(9)
Car une éventuelle ''identification'' de Quemener par Me Danguy des Déserts ne conduit pas aux mêmes conclusions selon la date retenue.
Me Baudelot cite en ces termes la cote 298 du dossier (déposition du 31 janvier 1924 : ''Cette rencontre se place le 26 ou le 29 mai mais je crois que c’est le 26. Le 26 j’étais à la gare entre 13 et 14 heures. Le 29, j’y étais entre 14h30 et 15.'' (10) Seul Bernez Rouz, pour le samedi 26, fait allusion à une heure aussi matinale. Les deux horaires mentionnés par Me Baudelot seraient, en revanche, possibles, puisque le train parti à 8h15 de Paris entre en gare de Rennes à 14h02. Il faut alors observer que, si l'on retenait le 29 mai, on voit mal comment Quemener aurait pu être aperçu ce même jour à Paris par Albert Lajat.
Si l'on adopte au contraire le samedi 26 mai, il n'y a plus de contradiction avec le récit de Petit-Guillaume. Quemener aurait passé l'après-midi à Rennes, et aurait pu, dans la matinée du dimanche, se rendre à Morlaix. Mais alors, il faut croire que le conseiller général, après une courte nuit (du vendredi au samedi), aurait décidé de retourner en Bretagne par le premier train du matin, renonçant ainsi à récupérer le chèque de Jean Pouliquen comme à se livrer aux éventuelles activités parisiennes prévues (rendez-vous en lien avec la vente de Cadillac, rendez-vous à la Banque privée et coloniale).
Et il nous reste... François Le Her...
Oui, oui... Cela a été dit ici (11) et abondamment... Ce n'est ni un honorable imprimeur, ni un notaire au-dessus de tout soupçon ! Michel Kériel lui donne la parole en ces temes : "Je me pointe donc le 29 juin au commissariat de mon quartier - rue Fondary - aux fins d'y narrer mon histoire. Un peu spéciaux, ces gars-là... au lieu de sauter en l'air à ces essentielles révélations, figurez-vous qu'ils n'en ont strictement rien à foutre... mais rien de rien ! C'est limite s'ils ne me fichent pas dehors avec perte et fracas !''. L'auraient-ils ''pris pour un fou'', ce que redoutait de son côté Albert Lajat ? Puis, le 1er juillet (un dimanche) , Le Her se rend à ''la redoutable Sûreté, laquelle tient table ouverte rue des Saussaies." (12) La presse semble y avoir fait allusion, début juillet, et c'est en août que Marie-Jeanne signale ce témoignage à Me Le Hire, le défenseur morlaisien de Guillaume. L'avocat n'est pas d'une grande promptitude, puisque ce n'est qu'en décembre qu'il ''demande au juge Campion de bien vouloir rechercher un sieur Le Her, contrôleur des tranmways à Paris ; celui-ci aurait vu Quéméneur après la date fatidique du 25 mai." (13) Il est difficile de dire si Marie-Jeanne a véritablement ''pris contact'' avec Le Her par l'intermédiaire de l'avocat breton. Ce dernier, en effet, n'a fait, même avec un retard que l'on peut déplorer, que suivre strictement la procédure. En droit français, la défense ne peut approcher directement un témoin qu'elle peut penser lui être favorable. Dans les romans de l'Américain Erle Stanley Fardner, l'avocat – Perry Mason – dispose, à l'étage même de son cabinet, de l'agence de police privée de Paul Drake. Et, défenseur de Seznec, il aurait suffi à Mason de dire à Drake : ''Dis-donc, il y a un contrôleur de tramways qui pourrait nous être utile. Mets deux ou trois de tes gars sur lui et amène-le moi vite fait''. De ce côté de l'Atlantique, on se contente de demander au magistrat instructeur d'entendre un témoin potentiel.
Si Marie-Jeanne est intervenue, ce peut être de deux façons. La première aurait consisté à faire préciser au témoin la date de sa rencontre avec Quemener, date indiquée d'abord de façon hésitante, puis fixée au samedi 26 mai, mais corroborée, quand même, par le fait que Le Her aurait rapporté à Quemener une incivilité dont il avait été la victime le samedi précédent – incivilité signalée à la police, ce que Bonny vérifiera plus tard. Et Le Her, tout à sa conversation avec le conseiller général, aurait omis d'encaisser le prix de son trajet, ce qui lui valut en effet une ''mutation-sanction'' au sein de l'entreprise TCRP.
Ce qui intrigue, ici, intervention de Marie-Jeanne (14) ou non, c'est de savoir pourquoi, après l'accueil plutôt frais au commissariat de la rue Fondary, être revenu à la charge auprès de la Sûreté.
La première démarche pouvait relever du civisme (?), d'autant plus naturel si Le Her connaissait Seznec et lui avait parlé.
La seconde devenait, à la limite, presque dangereuse. En allant rue des Saussaies, il courait évidemment le risque de voir étudier de près un passé peu reluisant. Et, de fait, il passera ''un mauvais quart d'heure'' devant la cour d'assises, le dimanche 2 novembre 1924 (15) subissant un ''procès de moralité'', selon les termes de Me Kahn.
Alors ? Désir de ''se faire mousser'' à tout prix, avidité médiatique ? Ou certitude d'en savoir plus que d'autres, y compris que d'autres ''témoins de survie'' ? Car Le Her est le seul qui dise non seulement avoir vu, et non seulement aperçu, Quemener, mais aussi lui avoir parlé. Il faut donc revenir à présent aux questions soulevées par Liliane Langellier le 6 avril 2015 (16) avec les commentaires attachés. Elle se posait en effet la question suivante: "Mais que se sont dit très exactement Pierre Quémeneur et François Le Her dans ce tramvay ???? Peu importe que ce témoignage soit faux. Ou pas. (…) Car si ces deux-là se sont parlé, Quémeneur a-t-il pu dire de façon désinvolte : "Je reprends ce soir le Paris-Brest"''.
Et Le Her peut se croire détenteur, non seulement d'une vérité : Quemener était encore vivant le samedi 26, et n'a donc pu être tué la veille au soir entre Dreux et Houdan, mais aussi d'un ''secret'' : Quemener s'apprêtait à regagner la Bretagne. Mais Le Her ne l'a pas dit devant la police, ni au cours du procès.
Et il y a plus étrange encore. Il ne semble pas non plus qu'il en ait parlé au juge Hervé, qu'il a pu rencontrer avant même novembre 1931 (17).
Car Le Her aurait pu fournir le chaînon manquant de la ''thèse de Plourivo''.
Relisons en effet le témoignage de Bolloch, tel que rapporté, anonymement, par Charles-Victor Hervé : ''C'était le dernier dimanche de mai, de 1923. Je passais en auto, avenue de la gare à Guingamp, lorsque j'ai rencontré un homme qui m'a demandé de le conduire à Traou-Nez en Plourivo." (18) Hervé accorde sa confiance à Bolloch. Ce dernier est affirmatif : le trajet de Guingamp à Plourivo s'est donc bien, selon lui, déroulé le dimanche 27. Et notre ''témoin de survie'' pourrait attester : ''le samedi (26) en fin d'après-midi, Quemener m'a dit qu'il repartait en Bretagne par le train de nuit''. C'était, si l'on ose dire, pain béni pour l'ancien magistrat.
Pourquoi ce silence ?
Le silence présumé de Le Her peut avoir une cause bien naturelle : Quemener ne lui a rien dit de ses projets immédiats. Ils auraient pu, tout au plus, être déduits d'indices extérieurs : si Quemener, par exemple, portait une valise, n'était-ce pas pour quitter Paris ? Mais de telles considérations n'avaient guère leur place lors d'un procès d'assises où l'on voulait faire du témoin un menteur intégral.
L'on pourrait aussi supposer que Le Her ait, à la suite de l'on ne sait quelle intuition, subodoré que l'éventuel retour en Bretagne de Quemener incriminait, encore plus que la thèse de l'accusation, Seznec ou sa famille, et décidé qu'en gardant pour lui la certitude de ce retour, il aurait ''barre'' sur elle.
Il est curieux de constater qu'au moment où Jeanne Le Her-Seznec tue son mari, deux journaux au moins formulent des hypothèses troublantes : Pour L'Humanité, ''Le Her en savait sans doute très long'', tandis que Le Parisien Libéré se demande s'il ''menaçait de révéler une vérité qui aurait compromis la révision du procès de l'ancien bagnard" (19) Quel ''savoir'' ? (20) Quelle ''vérité'' ? Supputations journalistiques, certes... Mais en quoi la révélation du fait que Le Her aurait été un témoin ''discutable'', voire un faux témoin en 1923-1924 aurait-elle pesé sur une éventuelle révision ? Car, en cette fin des années 1940, c'est encore Charles-Victor Hervé qui, avec Me Hubert, est ''à la manœuvre''. Or, si Le Her n'a jamais parlé d'un éventuel retour de Quemener vers la Bretagne, son témoignage, qui pourrait être vrai, mais qu'il pourrait, mentant encore une fois, déclarer faux, n'a aucun impact sur une demande de révision ayant pour base la ''thèse de Plourivo''.
Il peut, en revanche, être plus nuisible à la famille Seznec si Le Her se met à affirmer que Quemener lui a dit, non pas "Je reprends ce soir le Paris-Brest", mais ''Je retourne à Morlaix'' (par exemple pour vérifier si Seznec a ramené la Cadilac à bon port).
Autrement dit, que Quemener ait ou non été aussi précis, le simple fait de lui attribuer ce propos nous renvoie, non pas vers la Bretagne en général, mais vers Traon ar Velin en particulier.
De mensonges en retournements, Le Her se serait-il, sans le savoir, et presque par hasard, approché de la version fournie, bien des années plus tard, par Petit-Guillaume ?
On ne le saura sans doute jamais, car nous n'avons affaire ici qu'à des récits (qu'ils se présentent ou non sous forme de dépositions officielles), et non à des faits, Ces derniers auraient pu être vérifiables en 1923 ou 1924. Les récits, quant à eux, ne sont que ''falsifiables'', c'est-à-dire qu'il est possible de les ''dévisser'', de les ''déconstruire'', mais pas d'établir leur ''véracité'' absolue.
Alain Delame
Annexe : sur la prosopagnosie
''La prosopagnosie est un trouble de la reconnaissance des visages. C'est une agnosie visuelle spécifique rendant difficile ou impossible l'identification ou la mémorisation des visages humains. Le prosopagnosique est généralement capable de reconnaître les personnes en recourant à certains subterfuges, comme l'identification visuelle par l'allure générale (démarche, taille, corpulence) ou à des détails comme un vêtement familier, la coiffure, une barbe, une tache de naissance ou des lunettes.'' (Wikipedia). On peut donc souffrir, certes, d'une myopie corrigée par des lunettes et de prosopagnosie, et reconnaître une personne en contexte (le quartier de Montparnasse), mais en être incpable en d'autres lieux ou circonstances (les Champs-Élysées).
1Liliane Langellier, http://piste.de.lormaye.over-blog.com/2015/04/affaire-seznec-la-sage-jeanne-seznec-francois-le-her.html . De nombreuses citations sont ici reprises du blog de Liliane Langellier.
2''Est-ce le cadavre de Quémeneur que Seznec transporte ?'' se demande Denis Langlois à propos du témoignage de Jean Bouchard, employé chez Hodey à Dreux, qui dit avoir pu ''voir à l'intérieur de la voiture (…) une toile ou une couverture noire qui devait recouvrir plusieurs colis'' (Langlois, 2014, pp. 224-225).
3Langlois, 2014, p. 63. Une erreur de date, ici, chez Langlois : le jeudi 24 mai 1923, les deux compères dorment à Rennes, pour prendre la route le lendemain vendredi 24.
4Langlois, 2014, p. 64.
5Rouz, 2005, p. 109.
6Langlois, 2014, p. 85.
7Cf. plaidoirie de Me Yves Baudelot (Cour de cassation, 5 octobre 2006).
8Me Baudelot considère, du reste, que c'est ''avec raison'' que l'accusation a contesté le témoignage de Lajat comme celui de Le Berre.
9Rouz, 2005, p. 108.
10Charles-Victor Hervé, dans Justice pour Seznec (Morlaix, Éditions Hervé, 1933, p. 51) évoque une rencontre qui aurait eu lieu ''entre le 26 et le 29 mai''.
11Par exemple : http://seznecinvestigation.over-blog.com)/2019/04/affaire-seznec-tres-simple-et-tres-complique.html
12Kériel, 1999, p. 98. Selon Michel Pierre (2019, p. 86), c'est dès le 9 juin que François Le Her aurait voulu témoigner à la Sûreté, mais de manière plutôt imprécise.
13Rouz, 2005, p. 110.
14Intervention à laquelle Le Her fait allusion devant le commissaire Kergoët, qui l'interroge, non sur l'affaire Seznec, mais sur les faits de collaboration qui lui sont reprochés. Cf. Guy Penaud, L'Énigme Seznec, Périgueux, La Lauze, 2006, cité par Michel Pierre (2019, p. 185). Mais, là encore, la question se pose : quand Le Her ment-il ? En 1924 devant le Cour d'assises, ou en 1944 en se ''confiant'' au commissaire Kergoët ?
15Ouest-Éclair, cité par Michel Pierre, 2019, p. 104.
16Art. cité, cf. note 1 ci-dessus.
17''Léo Poldès m'avait installée sur l'estrade où se trouvaient plusieurs personnes qui avaient connu mon père et notamment le témoin Le Her.'' (Claude Sylvane), ou même dès 1930 (témoignage devant le juge Sultana).
18Hervé, 1933, p. 52.
19Langlois, 2014, p. 144.
20Michel Pierre (2019, pp. 183-186) conclut qu'il est ''fort possible que les faits se soient passés tels qu'indiqués par Jeanne Le Her''.
Guillaume Seznec et les témoins de survie : les notes à Me Marcel Kahn
… le 25 mai. Or il est bien prouvé que Quemeneur circulait toujours le [s] 26, 27 ; 29 et le 30 mai. Car il n'est pas admissible que tous ce monde ait eu des visions fausses si réellement il n'aurait pas existé. [Premièrement] Me Danguy de Désert dont M. le procureur de Morlaix faisait allusion dans son rapport qu'il a envoyé à Rennes dans termes suivants ; Il ne peut pas être vrai que M. Le Her ai pu voire M. Quemeneur à Paris le 26 à 6h30 du soir puisque M. Danguy de Désert l'a vu à Rennes dans l'après-midi mais je vous ferais remarquer que c'est Danguy du Desert n'a pas affirmé que c'est le 26 qu'il l'aurait vu mais il a dit qu'il est parti de Landerneau le 26 pour la communion de sa fille et qu'il est revenu le 11 juin et c'est dans le court de son voyage qu'il l'aurait vu [une ligne illisible] qu'il l'ai vu le 26 c'est plus que vrai quand même qu'il ne pouvait être mort le 25. Monsieur Le Her est bien plus précis puisqu'il dit lui avoir tenu conversation pendant ¼ d'heure et précise la date par des réalités et qu'il a fait une déclaration dans les premiers jours après mon arrestation et que la [secrète?] cachait sa déposition il n'en est pas moins vrai que M. Danguy des Desert a également fait sa déclaration à M. Binet dès les premiers jours et ce n'est [par?] la force des choses pour vouloir démolir par là la déposition a Le Her ils viennent faire état [deux mots illisibles] alors qu'ils avaient déjà sa déposition. Maintenant M. Lajat dit également être à peu près certain de l'avoir vu dans la rue de Rennes à Paris et il est de même pour Le Berre qui l'aurait vu au restaurant de Versailles à Paris, il me semble donc qu'il est bien prouvé qu'il existait bien après la date dont j'ai été accusé de l'avoir assassiné. Il me semble aussi que Mlle Quemeneur a été trouvé M. Lajat pour lui dire de ne pas dire qu'il avait vu son frère qu'est-ce-que cela signifie peut-être beaucoup de choses.
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En transcrivant, et, donc, en relisant, ces notes adressées par Guillaume à l'avocat qui allait le défendre devant les Assises, une interrogation peut se faire jour : ''et si Guillaume Seznec était totalement innocent ? '' Totalement, c'est-à-dire ni coupable d'assassinat sur une route des Yvelines, ni ''complice après-coup'', dissimulant les faits survenus à Morlaix le dimanche 27 mai 1923 (récit de Petit-Guillaume). Car il discute.
Il analyse les lieux et les dates.
Et il le fait ''tous azimuths''.
Il semble être fort bien informé du dossier, puisqu'il cite un rapport du procureur de la République de Morlaix, dont il ne doute apparemment pas que Me Kahn ait eu lui aussi connaissance.
Seznec ''joue'' Le Her contre Danguy des Déserts... et vice-versa : ''bien plus précis [Le Her] puisqu’il dit lui avoir tenu conversation pendant ¼ d’heure et précise la date par des réalités et qu’il a fait sa déclaration dès les premiers jours''. Mais, en même temps, '' Serait-il possible simplement qu’il [Danguy des Déserts] l’ait vu le 26 c’est plus que vrai quand même qu’il ne pouvait être mort le 25.
Puis vient Albert Lajat, le célèbre myope aux ''verres épais''. ''Il me semble aussi que Mlle Quemeneur a été trouvé Mr Lajat pour lui dire de ne pas dire surtout qu’il avait vu son frère.''. On sait, évidemment, que le témoignage de l'imprimeur est discutable, et a été discuté... Jenny Quemeneur connaissait-elle Lajat ? C'est possible. Un imprimeur, ça imprime, des professions de foi, des affiches, des tracts, en temps de campagnes électorales. C'était peut-être par ce biais que Lajat connaissait aussi le député Inizan...
Dans cet écrit, Guillaume Seznec se révèle un ''enquêteur'' avisé. Il semble dicter à Marcel Kahn les éléments d'une plaidoierie, non pas en faveur du doute, ce que fera finalement l'avocat, mais en faveur de l'innocence ''totale''. S'il a tué Quemener dans la nuit du 25 au 26 mai 1923, c'est désépéré, mais ''de bonne guerre''. Si les faits se sont déroulés comme l'a dit, ultérieurement, Petit- Guillaume, c'est une remarquable tentative pour brouiller, à tout jamais, peut-être, les pistes.