Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
24 Octobre 2019
Semez sans jamais vous décourager ; d’autres feront pour vous la moisson, mais qu’importe, pourvu que vous ayez fait votre devoir.
Madame De Maintenon
Michel Pierre
"L'affaire Seznec,
La construction d'une fable médiatique"
"L'impossible innocence", c'est le nom du dernier livre de l'historien Michel Pierre consacré à l'affaire Seznec, cet ouvrage est la conclusion d'une minutieuse enquête qui l'a conduit à conforter la décision du tribunal de Quimper en 1924, jugé coupable du meurtre de Pierre Quéméneur, Guillaume Seznec n'a, d'après lui, pas été victime d'une erreur judiciaire.
Régis Delanoe.
Dans la nuit du 25 au 26 mai 1923, Pierre Quéméneur disparaît sur la route entre Rennes et Paris, où il devait conclure une affaire de revente de voitures de l'armée américaine laissées sur place après la Grande Guerre. Guillaume Seznec, qui l'accompagnait dans ce périple, devient très vite le seul axe de travail crédible pour les enquêteurs. Ceux-ci constatent d'ailleurs que leur suspect a produit des faux en écriture et les a intentionnellement menés vers une fausse piste au Havre, où la valise de Quéméneur est retrouvée et d'où un faux télégramme a été envoyé, faisant croire à un départ volontaire de ce notable de bonne réputation, par ailleurs conseiller général du Finistère au moment de sa disparition.
Tout accable Seznec, et c'est finalement assez logiquement qu'il est condamné le 4 novembre 1924 aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre sans préméditation de son associé, dont le corps n'a jamais été retrouvé. Libéré du bagne en 1947, Guillaume Seznec meurt 7 ans plus tard, mais son nom hante encore aujourd'hui la rubrique faits divers des journaux. Il faut dire que sa femme, Marie-Jeanne, sa fille, Jeanne, puis son petit-fils Denis, n'ont pas cessé depuis près d'un siècle d'interpeller la presse et de demander la révision du procès, persuadés de l'innocence du patriarche. Un acharnement contraire au bon sens, assure l'historien Michel Pierre qui s'en explique.
L'impossible innocence.
Michel Pierre. Editions Tallandier.
318 p. 19 €.
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"C'est un fait divers qui devient une légende populaire."
Bretons : Qu'est-ce qui vous a donné envie de plonger à votre tour dans cette fameuse affaire Seznec ?
Michel Pierre : J'en avais entendu parlé, comme beaucoup, mais j'avais envie de confronter mon expertise d'historien spécialisé dans l'histoire carcérale et notamment celle des bagnes. Guillaume Seznec en a été l'un de ses prisonniers les plus fameux, et je me suis dit qu'il était intéressant de se replonger dans les archives de l'époque avec mon œil extérieur, la bibliographie sur le sujet ayant forcément un parti pris puisque ayant essentiellement été écrite par des partisans de son innocence.
B. : Qu'a-t-elle de si fascinant pour continuer à faire parler d'elle, près de cent ans après les faits ?
M.P. : Finalement, c'est moins l'affaire de meurtre de Pierre Quémeneur qui me fascine personnellement que la manière dont, depuis la condamnation au bagne de Guillaume Seznec, on n'a eu de cesse que de remettre en doute sa culpabilité. C'est un processus exemplaire de construction de fable médiatique qui a démarré, quelques années après le verdict, et qui se poursuit encore aujourd'hui, en allant inventer des pistes souvent absurdes ne reposant sur aucun élément. Pour ses défenseurs, rien n'est trop gros pour chercher à innocenter Seznec, y compris en partant vers les thèses les plus complotistes. Cette affaire est en outre très vite devenue médiatique car la presse, y compris parisienne, a trouvé tous les éléments pour vendre du papier : une disparition mystérieuse, des faux documents et un cadre géographique propice : la lointaine Bretagne avec ses hommes en costume et ses femmes à coiffe traditionnelle.
B. : Le fait que Guillaume Seznec n'ait pas été guillotiné mais condamné au bagne a-t-il contribuer à façonner sa légende et à entretenir la thèse de l'erreur judiciaire ?
M.P. : Certainement que cela a pu jouer dans l'opinion publique pour qu'une partie de celle-ci prenne parti en sa faveur. Exécuté, peut-être qu'il aurait été plus facilement oublié. L'image du bagnard, rentrant chez lui auprès d'une famille entièrement dévouée à sa cause, a ému. Il ne faut jamais oublier que, dans notre imaginaire collectif, nous avons l'héritage littéraire de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas, de Jean Valjean et du compte de Monte Cristo.
B. : Justement, la personnalité des défenseurs de Seznec a-t-elle également joué ?
M.P. : Oui, d'autant que cette défense s'étale sur trois générations : sa femme, d'abord, puis sa fille et enfin son petit-fils Denis Seznec. Ce sont trois personnalités très fortes, qui ont su tour à tour capté l'attention des journalistes, mais aussi d'autres relais influents. Je pense par exemple au metteur en scène Robert Hossein qui, s'emparant de l'affaire en 2010, va forcément aller dans leur sens en ignorant l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, quatre ans auparavant, aurait dû logiquement clore l'affaire. En reprenant tous les éléments, la grande majorité des trente-trois magistrats de la chambre n'avaient rien trouvé à redire de l'enquête de 1923, à l'instruction ni au procès. Ils avaient fait preuve, en l'occurrence, d'une réelle liberté de jugement en refusant de suivre l'écrasante majorité de l'opinion publique qui, elle, allait dans le sens de l'innocence de Guillaume Seznec sans très bien savoir pourquoi.
B. : Venons-en à cette disparition de Pierre Quéméneur. Votre enquête laisse effectivement peu de doutes quant à la culpabilité de Seznec...
M.P. : Se plonger dans les archives pour étudier l'enquête menée à l'époque est un peu fastidieux mais l'exercice s'avère implacable. Tous les éléments qui la composent sont accablants : des faux grossiers dont a la preuve qu'ils sont l'œuvre de Seznec, rédigés avec une machine-à-écrire qu'il a achetée, un déplacement au Havre pour y déposer la valise de Quéméneur et envoyer un faux télégramme faisant croire à son départ volontaire, sa tentative de susciter de faux témoignages… Rien, absolument rien ne laisse planer le doute et d'ailleurs les comptes rendus des journaux au moment du procès ne remettent jamais en question le verdict. C'est une affaire somme toute assez banale et limpide.
B. : On a pourtant parlé depuis de complot politique, de machination policière, mais également d'un Quéméneur tué accidentellement par la femme de Seznec, laquelle aurait refusé ses avances. Rien de tout cela ne tient, selon vous ?
M.P. : La thèse du complot d'Etat est grotesque, tout comme celle d'une machination policière. L'inspecteur Pierre Bonny, qui avait participé à l'enquête, a ensuite fait partie de la Gestapo française pendant la guerre. Mais est-ce que le fait qu'il ait été par la suite un collabo permet raisonnablement de penser qu'il aurait pu, vingt ans avant, fausser une enquête dans laquelle il ne joue, qui plus est, quasiment aucun rôle ? Et pour quel motif ? Ce n'est pas sérieux. Plus récemment, il a été question de l'hypothèse de Quémeneur rentrant de Paris pour abuser de Marie-Jeanne Seznec. Marie-Jeanne l'aurait alors tué. Cela ne colle ni avec la personnalité de Quémeneur ni avec le simple bon sens. L'affaire Seznec est déjà suffisamment romanesque pour ne pas en rajouter.
B. : Votre enquête a-t-elle permis d'y voir clair sur le déroulé du drame ?
M.P. : On sait que les deux hommes sont partis vers Paris pour une possible affaire de revente de voiture de l'armée américaine. On sait que Seznec est rentré seul à Morlaix en expliquant avoir laissé Quémeneur à la gare de Dreux. En réalité l'enquête a révélé que les deux étaient encore ensemble à Houdan, près de Paris, où les ont vus des témoins. Ensuite, on perd la trace de Quémeneur, tandis que Seznec rentre seul en Bretagne.
B. : Est-ce là, en région parisienne, que pourrait être le corps jamais retrouvé de Quéméneur ?
M.P. : C'est le plus probable, Houdan est situé dans une région de bois, d'étangs et de lacs, par ailleurs non loin de la Seine. C'est dans ce même secteur, d'ailleurs, que le tueur en série Landru aurait aussi enterré certaines de ses victimes dont on n'a jamais retrouvé la trace. On a pu penser un moment que Seznec aurait rapporté le corps de Quémeneur en Bretagne pour le brûler dans la chaudière de sa scierie, mais cette hypothèse issue de rumeurs n'est étayée par aucun fait tangible alors que la fameuse chaudière a pourtant fait l'objet d'examens attentifs lors de l'instruction.
B. : Si c'est bien Seznec l'auteur des faits, se pose la question de la préméditation…
M.P. : C'est la grande interrogation qu'il reste dans cette affaire. L'enquête a pu démontrer que Seznec, par les faux documents dont il est l'auteur et le télégramme envoyé du Havre au nom de Quéméneur, a voulu faire croire à un départ volontaire de celui-ci. On sait que Le Havre était à l'époque une ville de départ pour l'Amérique, et Seznec a laissé entendre que Quéméneur était parti là-bas de son plein gré pour y faire des affaires en pleine période de la prohibition. Là encore, cela n'a jamais tenu : pourquoi aurait-il entrepris ce voyage alors que ses affaires tournaient bien en Bretagne et qu'il y menait de surcroît une belle petite carrière en politique ? Non, l'enquête démontre que c'est Seznec qui a monté de toutes pièces cette histoire pour se dédouaner. Mais l'avait-il prévu de longue date ou a-t-il improvisé après avoir tué ? Impossible de trancher sur ce point. Mon avis est qu'il s'agit d'un crime d'opportunité, mais que Seznec avait déjà en tête cette intention criminelle, attendant le bon moment pour la mettre à exécution.
B. : Concernant le mobile, vous en arrivez aux mêmes conclusions qu'à l'époque du procès : il serait crapuleux.
M.P. : Oui, il y avait l'argent que Quéméneur avait sur lui en se rendant à son rendez-vous à Paris, et il y a surtout sa propriété de Traou-Nez, près de Paimpol, que Seznec convoitait et qu'il a essayé d'acquérir en produisant une fausse promesse de vente retrouvée dans la valise de Quéméneur au Havre, à un prix bien en-deçà de la réalité du marché. Seznec a eu beau ensuite argumenter en avançant de prétendus dollars-or qu'il aurait remis à Quéméneur se rajoutant à cette somme indiquée dans la promesse de vente, ses explications ne tiennent pas.
B. : Que faudrait-il pour mettre un terme définitif à l'affaire Seznec ?
M.P. : Une récente réforme de la prescription pénale a encore facilité les possibilités de demande de révision, ce qui fait que d'autres générations de la famille Seznec peuvent continuer le travail de disculpation entrepris jusqu'alors. Trouver le corps pourrait permettre de clôturer certaines pistes mais, encore une fois, le mystère Seznec n'en est pas vraiment un. Se plonger dans l'enquête policière et judicaire de l'époque permet de conclure en sa culpabilité assez vite. L'affaire criminelle est finalement plus simple et moins intéressante que le travail de construction a posteriori de l'erreur judiciaire. Ce qu'il m'a semblé passionnant d'étudier, c'est la chronique séculaire d'une folie médiatique et les mécanismes qui ont transformé un fait divers presque banal en légende populaire.
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P.S. Je viens d'ajouter le livre de Michel Pierre à la fiche Wikipédia de l'affaire Seznec.
Il faut être très vigilant car les Pieds Nickelés se relaient pour polluer cette fiche #etoui
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Bretons magazine - actualité bretonne L'impossible innocence -
Consacré à l'affaire Seznec, cet ouvrage est la conclusion d'une minutieuse enquête de Michel Pierre qui l'a conduit à conforter la décision du tribunal de Quimper rendue en 1924. Jugé coupab...