Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
21 Juin 2018
Les journaux sont pleins de cauchemars
On se tue du matin jusqu'au soir
La police est sur les dents
Celles des autres évidemment
Boris Vian in "Chantez" 1954
Pauvre Guillaume !
Il a dû le dire et le répéter le récit de cette aventure...
A ne plus savoir où il en était, ni qui il était !
Mais...
C'est important le premier contact avec la police...
C'est le récit de celui-ci qui reste dans les dossiers...
Et dans les journaux...
Les premiers mots du suspect sont souvent les plus vrais.
Et Guillaume, il a dû sérieusement baliser lors de ce premier contact.
La première audition de Seznec par le commissaire Jean-Baptiste Cunat a eu lieu le mardi 26 juin 1923.
Et le commissaire s'est déplacé lui-même à Morlaix, pour l'entendre.
in Denis Langlois en page 30.
"Ce jour-là, un homme grand, trapu, se présente à la scierie : le commissaire divisionnaire Cunat de la police de Rennes."
Pourtant, la valise découverte au Havre, elle avait été expédiée à la Sûreté générale à Paris.
"Le mardi 25 juin (ndlr ???), je reprenais avec ma belle-soeur la direction de Paris. M. Vidal nous avait appelé pour reconnaître la valise et les objets de notre malheureux frère."
in Rouz en page 90.
Guillaume est entendu en tant que témoin.
Dans l'affaire "Disparition suspecte du Sieur Quémeneur".
Il détaille ses relations avec Quémeneur, son projet de revente de Cadillac et le voyage de Paris.
Il avait élaboré son scénario dès le dimanche 27 mai, et il va s'y tenir...
Ouest-Eclair du 27 juin 1923.
Comme, tout au long de l'affaire Seznec, il y a la police mais il y a aussi la presse...
Ouest-Eclair du 28 juin 1923
Maurice Jan de Ouest-Eclair ne lâche pas Guillaume d'une semelle...
Ouest-Eclair du 28 juin 1923
"Ah ! s'écrie-t-il en nous voyant, j'en ai assez des journalistes et de la "secrète". J'ai dit hier ce que j'avais à dire, et à force de me répéter, j'ai peur de me tromper."
Guillaume a été en fait convoqué mardi soir à Paris...
Et il ne s'y rendra que mercredi soir...
Pour y arriver jeudi matin 28 juin.
Le Matin du 28 juin 1923
Et Seznec avait été déjà dénoncé par une lettre anonyme !
Les charmants voisins ???
Le Journal du 28 juin 1923
Encore la lettre anonyme !
Dans la primo enquête de Jean Pouliquen (in Rouz en page 92):
"Seznec sentant sans doute la partie compromise ne voulut pas tout d'abord venir à Paris, prétextant qu'il n'avait pas de quoi payer son voyage, et ce n'est que le lendemain sous la menace d'être amené de force qu'il consentit à prendre le train ; j'avais avancé à M.Vidal le coût de son voyage.
Arrêté à Paris, Seznec fut encadré dès la gare Montparnasse par deux inspecteurs en civil qui ne le quittèrent qu'à son entrée dans les bureaux de la Sûreté. Après un interrogatoire sommaire, il fut confronté avec moi."
Le Journal 29 juin 1923
Le Petit Parisien du 28 juin 1923.
Toujours la dénonciation anonyme !
Idem dans La Dépêche de Brest du jeudi 28 juin 1923.
Idem dans Le Gaulois,dans Le Figaro, L'Homme Libre, Le Petit Parisien, Le Populaire, La Presse, etc...
La Presse du 28 juin 1923
Cette lettre de dénonciation devait comporter d'importants éléments pour que la Sûreté Générale recherche ainsi son auteur !
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Un fait m'interpelle...
Pourquoi la Sûreté Générale et pas la 13ème brigade mobile de Rennes ?
Alors que cette brigade s'était illustrée en 1919 dans l'affaire de la Grande-Palud...
Le Petit Journal du 28 juin 1923
Non sans mal d'ailleurs.
"Depuis quelques années, écrivait la presse, nous avons des brigades mobiles dont les parquets peuvent disposer à l'occasion des grandes affaires. Or quand ces spécialistes sont arrivés, le mal était déjà fait. Déjà, Brest, Landerneau et Morlaix étaient engagés sur des pistes différentes. Trois commissaires au moins s'étaient mis en mouvement. Chacun d'eux écartait ce qui pouvait affaiblir la thèse qu'il avait faite sienne. M. Le Coz, le commissaire de la P.J. de Rennes fut rapidement découragé. On ne lui laissait aucune initiative. Au parquet de Brest, on écartait toute recherche qui n'impliquait pas la culpabilité de Pierre."
in "L'histoire vraie des brigades mobiles" de Marcel Montarron
Qu'est-ce que le parquet ?
Les brigades mobiles se sont également illustrées dans l'affaire Landru...
Puisque le 11 avril 1919, c'est Jules Belin, de la 1ère brigade mobile du 31, rue Greffulhe (Paris 8e), qui arrête le barbu lubrique au 76, rue Rochechouart.
La police, mais aussi l'opinion publique, ont été marquées par ces deux affaires.
Surtout que l'une concerne Landerneau et Brest.
Et que la seconde concerne Gambais.
Mais revenons à Guillaume Seznec...
Vous remarquerez que la lettre anonyme a été adressée à la Sûreté Générale et non à la brigade mobile !
En juin 1923, Achille Vidal est au sommet de sa carrière.
L'inspecteur Pierre Bonny n'est que son"porte-serviette".
Et le contrôleur général de la Sûreté, Auguste Lannes, est le beau-frère de Raymond Poincaré, le chef du gouvernement.
Le directeur de la Sûreté est Louis Florentin Marlier.
Qui a bien dépanné le président Millerand...
La Sûreté Générale dépend directement du ministre de l'intérieur chartrain : Maurice Maunoury.
Vidal ne pouvait qu'être confirmé dans ses recherches...
D'autant plus que toute la presse nationale et régionale est sur les dents...
Et suit la police partout et n'importe où...
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Le jeudi 28 juin 1923, Guillaume Seznec remet au commissaire Vidal un exemplaire de la (fausse) promesse de vente. Il est confronté avec l'aimable Maître Pouliquen.
"C'est là que Seznec commet une première grande erreur : il s'est fait suivre par les policiers dès sa descente du train, mais il prétend n'avoir pas de bagages, or Vidal a fait saisir sa valise à l'hôtel A la ville de Brest, valise qui contient des documents troublants. On y trouve des feuilles rapportant les dépenses de "l'affaire de Paris" avec cette mention : "Dreux 13 francs" suivi de "Quéméneur, pris le train", des mentions identiques à celles trouvées dans la valise de Quéméneur au Havre. La dissimulation de cette valise est un premier mensonge flagrant qui va conduire le policier à douter des dires du Morlaisien." in Bernez Rouz, pages 96/97.
Une curieuse lettre anonyme...
Une très certaine guerre des polices entre brigade mobile et Sûreté Générale...
Si je ne crois pas au complot contre Seznec...
Il faut bien reconnaître que le commissaire Achille Vidal avait toutes les cartes en mains pour le faire tomber.
Et qu'il ne s'en est pas privé.
"Entre-temps, mon père et l'inspecteur Royère avaient été détachés par le commissaire Vidal auprès du commissaire Cunat, patron de la brigade mobile de Rennes. Comme mon père aimait assez manier la plaisanterie, il avait choisi le pauvre Cunat comme tête de Turc. Le commissaire rennais représentait la caricature même du flic de la Belle Epoque : chapeau melon, grosse moustache en guidon de bicyclette, chaussures à clous, parapluie et costume noir. Ce qui faisait dire à mon père qui, grand,bien bâti, jeune, doté d'une sorte d'élégance naturelle, et de tempérament "moderniste", avait tendance à suivre la mode autant que ses moyens le lui permettaient : "Vous, au moins, vous êtes discret. Lorsque vous vous présentez quelque part, on ne doit jamais se douter que vous faites partie de la Grande Maison, tellement vous avez l'air d'en être !
A quoi Cunat, qui avait à peu près autant d'humour que de talent à passer inaperçu, répliquait agressif : "Que voulez-vous, Bonny, j'appartiens à une génération de policiers efficaces qui ne cherchent pas à rivaliser avec les hommes du Boulevard."
in Mon Père L'inspecteur Bonny de Jacques Bonny en page 38.
Sicut dixit.
Liliane Langellier
P.S. Ne pas oublier que...
Il est fort possible que Pierre Quémeneur ait été un frère trois points...
(cf in " La dictature des loges", Henri-Robert Petit, 1934.)
Ne pas oublier que...
Magistrats, policiers, avocats et journalistes se croisaient et se re-croisaient dans les loges de la franc-maçonnerie.
Très active en 1923.
Et...
Lorsque l'un de ses membres est en danger...
Toutes les loges font front...
Ne pas oublier que...
Il suffit de la collusion de trois frères pour changer la face d'une enquête...
Exemple dans l'affaire Gregory in Laurence Lacour :
L'Histoire est un éternel recommencement...