Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
7 Juin 2018
C'est pour cela d'ailleurs que
je me suis fait policier. Pour être au
centre des choses.
Marcel Camus (Les Justes, 1949)
D’après une étude publiée en 2015 par le sociologue Frédéric Ocqueteau, « la main courante trouve son origine sémantique dans les années 1842-1846, au sein de l’image qui consiste alors à tenir la rampe d’escalier où l’on pose la main, d’où allait découler le maincourantier, l’employé tenant la main courante. »
C'est important ce premier contact avec la police....
On peut y observer tout de suite les comportements des différents personnages...
Qui laissent augurer de leur comportement par la suite...
Il nous dit quoi le notaire Pouliquen :
"De mon côté je déclarais que je n'étais pas encore résolu à déposer une plainte au parquet."
Carrément.
Une plainte au parquet.
C'est qu'il en connaît du beau monde le notaire Pouliquen.
Quel est donc le parquet de Brest (dont dépend Landerneau) =
"Quand la disparition de Pierre Quéméner est signalée aux autorités par Jean Pouliquen, d'abord à Rennes puis à Paris, l'affaire atterrit sur le bureau de Théodore Halléguen, juge au Tribunal de Brest (le domicile du disparu étant Landerneau, dépendant du parquet de Brest). Le camarade Théodore partant en congés d'été, le dossier est confié au juge Binet."
in L'affaire Seznec revisitée (qui est plus que fiable en ce qui concerne la justice, et pour cause...)
Le procureur en charge, c'est le procureur René Charles Guilmard.
Qui avait été déjà en charge de l'affaire Cadiou.
Lire sur le blog La Piste de Lormaye : Le crime de la Grande-Palud
Théodore Halléguen, lui, avait été juge à Châteaulin.
Oui, Châteaulin comme notre Pouliquen.
Qui y fut clerc de notaire.
Chez Me Danguy des Déserts.
Avant d'être nommé en juillet 1920 à Pont-L'Abbé.
Quant à Guilmard, il est, lui, lié familialement avec Binet.
Chez L'affaire Seznec revisitée (encore !) :
"Nous l'avons vu, Binet et Guilmard ont quelques années professionnelles communes. Il est un autre point qui les lie et qui n'est pas sans intérêt, car il nous ramène...au Havre. Guilmard y passe quelques années de retraite et y décède. Pourquoi Le Havre ? Pour se rapprocher de sa fille qui y habite et qui partage sa vie avec son tendre époux : le fils Binet. Le couple est installé au Havre, le juge Binet occupant un poste dans le négoce de coton."
Voilà donc le parquet de Brest en 1923.
Mais c'est, curieusement, le parquet de Morlaix qui héritera du dossier Seznec.
(domicile du suspect).
Oui, le juge Etienne Campion et le procureur Théodore Picard.
"Dès lors que Guillaume Seznec est arrêté, le commissaire Vidal, à la Sûreté, prend l'affaire en main et au transfert de Seznec à la prison de Morlaix, le juge Campion hérite du dossier. Chose étonnante et peu courante, la juridiction est choisie en fonction du domicile du suspect - on peut se demander quel aurait été le choix dans le cas de plusieurs suspects domiciliés dans des arrondissements distincts."
in Seznek : "Bruits de couloirs et chuchotements au tribunal de Brest".
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Mais revenons au dimanche 10 juin.............
Et, là, on reprend la primo enquête du notaire Pouliquen (in page 86 Rouz) :
"Après nous (ndlr Louis et lui) être concertés avec ma belle-soeur, nous résolûmes coûte que coûte d'éclaircir cette affaire et nous décidâmes de prendre le soir même l'express de Rennes pour aller conter notre affaire à la brigade mobile, et lui demander une enquête discrète à ce sujet. Nous fîmes téléphoner à Seznec pour lui annoncer notre décision et le prier de vouloir bien nous accompagner puisque seul lui pouvait donner quelques renseignements utiles ; il promit de nous rejoindre à la gare de Morlaix, ce qu'il fit.
Nous arrivâmes à Rennes, Louis Quemeneur, Seznec et moi le dimanche soir 10 juin, et après avoir retenu nos chambres à l'Hôtel Parisien en face de la gare où mon beau-frère et Seznec étaient descendus quinze jours auparavant, nous allâmes directement à la brigade mobile. Nous fûmes reçus par un jeune inspecteur qui nous fit savoir que si nous n'avions pas déposé une plainte au parquet, la brigade mobile ne pouvait procéder à une enquête..."
Je vous rappelle ici ce qu'étaient les brigades mobiles ?
Ce sont les fameuses brigades du Tigre fondées par Clemenceau himself.
"L'arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau marque une réforme importante de la police. Il crée en 1907 les premières brigades mobiles de la PJ (police judiciaire), les « brigades du Tigre ». C'est désormais la « guerre » entre la Sûreté générale de Célestin Hennion, autonome depuis 1877, dont dépendent, outre ces brigades, RG et contre-espionnage, et la Préfecture de police dirigée par le préfet Lépine."
Rappelez-vous...
Pouliquen nous dit que sa première démarche, le mercredi 13 au matin, fut bien d'aller Quai des Orfèvres. Puis, à la direction de la police de la Seine...
La direction de police de la Seine, c'est ni plus ni moins la préfecture de police dans l'île de la Cité.
En tirant à toutes les sonnettes, le notaire, il a foutu le boxon...
Entre les brigades du Tigre de Rennes, la Sûreté Générale de la rue des Saussaies, et la Préfecture de Police de l'île de la Cité....
La suite de l'enquête policière s'en ressentira.
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Donc, voilà nos trois gugusses qui se pointent tardivement ce dimanche soir-là à Rennes, aux brigades mobiles, sur la recommandation du commissaire de police Pinault de Landerneau.
Et tout ça pour quoi ?
Un dépôt de main courante.
Oui, parce que, le 10 juin, la famille de Quemeneur croit encore à la possibilité d'un voyage du conseiller général à la Capitale, voyage dont la durée se serait simplement prolongée.
Mais un dépôt de main courante ce n'est pas suffisant pour que la brigade mobile se mette en marche.
Il faut une plainte officielle au parquet.
Voyons ensemble le texte de la main courante recueillie par l'inspecteur de police Léopold Fabrega :
"Le dimanche 10 juin 1923 à 19 h 50 se sont présentés à notre brigade trois messieurs : l'un d'eux me dit être M. Pouliquen, notaire à Pont-l'Abbé et me tint la conversation suivante :
"Nous venons vous voir après avis de M. le commissaire de police de Landerneau et serions très obligés à la brigade mobile de bien vouloir effectuer des recherches officieuses sur un membre de notre famille parti à Paris pour affaire depuis une vingtaine de jours et duquel nous sommes sans nouvelle. Nous craignons à une catastrophe mais désirerions toutefois que cette démarche de votre part ne fasse aucun bruit sur la presse afin d'éviter des ennuis à la personne que nous recherchons au cas où elle serait retrouvée... M. Seznec qui n'avait jusqu'alors point pris la parole si ce n'est pour approuver l'amitié existante entre le disparu et lui, me dit qu'il comptait lui et ses deux compagnons quitter Rennes vers 2 heures du matin..."
Rien de bien original.
Juste une main courante pour signaler une absence.
Mais, à Rennes, pas à Landerneau.
Fabrega...
On en entendra parler de cet inspecteur...
Et pour cause !
in Denis Seznec en page 511:
Il n'a pas "enquêté" Léopold Fabrega...
Il s'est juste contenté de prendre la main courante...
Mais il est fort possible que, sur ordres de Paris...
La brigade de Cunat ait planqué la machine à écrire dans le grenier de la scierie de Seznec !
Sur ordres de Paris...
Alors...
Le témoignage de Marcel Fabréga ?
La guerre des polices ?
Ou...
Tout simplement...
La rivalité Paris / Province....
A suivre...
Liliane Langellier
P.S. Lire ci-dessous le brillant article de Camille Polloni pour Les Jours :
"Bonjour, c'est pour une main courante"
"Lorsque Les Jours ont pensé consacrer une série aux mains courantes, un policier nous a encouragés à aller sonder ces « petites mines d’or ». Ces registres policiers, généralisés au cours de la IIIe République, se présentaient autrefois comme de grands cahiers manuscrits, où chaque jour était séparé par un trait. Les mains courantes sont informatisées depuis la fin du XXe siècle. Elles gardent trace des signalements mais aussi de toutes les interventions des patrouilles, permettant ainsi d’alimenter les statistiques sur l’activité policière. Tantôt anodines et tantôt bouleversantes, pathétiques ou amusantes, les dépositions sont aussi révélatrices de l’activité quotidienne d’un commissariat que des préoccupations de ceux qui viennent y faire consigner leurs doléances. Les mains courantes sont en quelque sorte des « infraplaintes » : faute d’une infraction pénale caractérisée, elles servent à garder la trace d’événements signalés par des particuliers. Une main courante peut donner lieu à une plainte ultérieure si les faits dénoncés se répètent ou s’aggravent, voire servir à une enquête judiciaire, même si la plupart ne vont pas jusque-là."
Bonjour, c'est pour une main courante
Dans le hall gris de l'hôtel de police de Lille, mardi 22 mai, le gardien de la paix Dominique N. appelle le numéro 42. Un homme de 37 ans, calme et baraqué, lève la tête. Le policier l'invite...
https://lesjours.fr/obsessions/main-courante/ep1-maincourante/
Le brillant article de Camille Polloni sur la main courante...