Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
4 Juin 2023
« La douleur n’est viable que dans les âmes préparées par la religion »
In "La femme de trente ans" de Balzac.
Jenny Quémeneur rentre en scène le 4 juin 1923.
Qui est-elle ?
Si on reprend Commana en 1896....
Voilà comment se présente la famille Quémeneur :
Jenny est alors âgée de 13 ans.
Jenny est en effet née le mercredi 11 avril 1883.
Elle est morte le samedi 27 décembre 1969 à l'abbaye cistercienne
de La Joie Notre-Dame de Campénéac (Morbihan) à l'âge de 86 ans.
Faut croire que ça conserve de chanter les Petites Heures.
....................
Mais reprenons...
Pierre Quémeneur (Quéméner pour l'état civil) a eu 9 frères et soeurs.
Yves Matthieu Quéméner aura de son second mariage en 1870, à Saint-Sauveur, avec Catherine Aline Stéphan,
Dix enfants :
Lire : Généalogie des familles Quéméner / Pouliquen
Pierre va rester en relations proches avec deux de ses sœurs. Jenny, née en 1883. Qui sera son bon ange et sa gouvernante. Marianne Rose Laurence, née en 1886, qui épousera Jean Pouliquen le 20 janvier 1920.
Et avec son frère Louis, né en 1884.
Seuls ces trois-là seront évoqués dans l’affaire Seznec. Ce qui simplifie, dira-t-on.
La ferme familiale est vendue à la mort de leur père, Yves Matthieu Quéméner, en 1903.
Pierre a alors 26 ans. Il s’installe à Morlaix. Puis ouvre un débit de boisson à Saint-Sauveur. « Et très vite devient marchand de vin et de bois » (Bernez Rouz, page 17)
En 1903, Jenny a 20 ans.
On peut aisément penser qu'elle aide son frère au bistrot...
Saint-Sauveur, recensement 1911.
A-t-il, lui, participé à la Grande Guerre ???
Pierre est de la Classe 1897.
Je lis sur Geneanet (oui, d'après son R.M.) :
Octobre 1914 : service militaire
27 décembre 1914 : Conseil de révision
Octobre 1915 : Service militaire
18 février 1919 : Démobilisation militaire.
Sa guerre : 87e régiment d'infanterie (87e RI) puis 62e régiment d'infanterie (62e RI) et enfin 19e régiment d'infanterie (19e RI)"
Pour moi, il en est tout autrement.
Lire sur : La guerre de Pierre Quémeneur.
Sa fiche de R.M. aurait-elle été créée le 6 septembre 1922 ???
Alors qu'il était déjà conseiller général du canton de Sizun (élu le 21 décembre 1919).
Et avait certainement appartenu comme bistrotier aux R.G. (Renseignements Généraux).
(Le notaire Pouliquen aussi, il devait en être des R.G. Sans compter l'appartenance possible à la franc-maçonnerie.)
En 1919, il achète une superbe demeure bourgeoise à Landerneau : Ker Abri.
Suite à la succession de Henri-Joseph Glaizot décédé en 1915.
Oui, il l'achète, il ne la fait pas construire comme nous écrit Bernez Rouz en page 22.
Demeure où il installe ses bureaux.
Et où on le trouvera habitant avec sa sœur Jenny lors des évènements Seznec.
Demeure qui sera évalué à 100.000 francs lors du bilan du 29 décembre 1923 (si on reste sur la base 1 franc 1923 = 1 euro actuel, je vous laisse faire le compte).
Landerneau, Ker Abri
Le 17 avril 1920, il achète, pour la somme de 25.000 francs, Traou Nez en Plourivo, situé sur les rives du Trieux. Dans les Côtes d’Armor. 90 hectares de bois autour d'un manoir. Cette propriété l’intéresse surtout pour le massif forestier au sein duquel elle est située. Il va d’ailleurs en confier la gestion à son frère Louis.
Propriété qui sera évaluée à 140.000 francs lors du bilan du 29 décembre 1923 (Bernez Rouz en page 22)
Jenny le suit partout et toujours.
Quand arrive mai 1923, elle est bien installée à Ker Abri (Landerneau).
in Ouest-Eclair du 26 juin 1923 :
LANDERNEAU, 25 juin. — A Landerneau et dans tout le canton de Sizun, on ne s'entretient que de la disparition de M. Quémeneur, qui cause une grosse émotion.
Nous nous sommes présenté la villa « Ker Abri », maison tranquille tapie dans la verdure, un peu en retrait de la route de Landerneau, où M. Quémeneur vivait avec sa plus jeune sœur. Mlle Quemeneur a bien voulu nous recevoir, mais ne put rien nous apprendre. Elle se borna à nous déclarer que l'on avait vainement recherché son frère et qu'elle ignorait les résultats de l'enquête qui se poursuit actuellement à Paris et au Havre.
Nous avons interrogé plusieurs personnes ; toutes ont le pressentiment que M. Quéméneur a été victime d'un attentat. On a émis l'hypothèse que M. Quéméneur serait subitement parti pour l'Amérique où il aurait été appelé par ses affaires, mais il aurait prévenu sa sœur qu'il tenait toujours au courant de ses déplacements et à qui il avait l'habitude d'écrire presque journellement au cours de ses voyages.
Dans le pays, où l'on n'a pas oublié le mystère de la Grande Palud, on répète : « C'est une seconde affaire Cadiou. »
M. Quémeneur était de taille petite ; il avait1 1 m. 60 environ ; il avait les cheveux châtains, le visage respirait la franchise. Il portait plusieurs dents aurifiées à la mâchoire supérieure2.
C'est en fait le 4 juin 1923 que Jenny Quémeneur entre en scène.
Elle a alors 40 ans.
Et, pour une femme, avoir 40 ans en 1923, ce n'est pas comme maintenant.
Souvenez-vous de "La femme de trente ans" de Balzac.
Avec les désillusions de Julie d'Aiglemont.
« La douleur n’est viable que dans les âmes préparées par la religion »
Et puis, tant pis pour Agatha Christie, mais Jenny n'est pas Jane Marple.
Car Landerneau n'est pas St Mary Mead.
Les années folles et le Charleston n'ont pas dû faire grand bruit dans Landerneau !
Même si elle a pu lire sa prose littéraire dans Le Matin, Jenny n'a pas lu "Le blé en herbe" de Colette et elle est bien loin de ses giries parisiennes à base d'éther et de laudanum...
Non, Jenny se consacre corps et âme à un seul homme : son frère.
Dont elle entretient la maison, aidée d'une seule domestique : Pélagie Caradec.
C'est elle qui lui prépare ses valises lors de ses voyages.
Voyages fréquents avec des dates fluctuantes.
Mais celui-là semble se prolonger...
Alors notre Jenny prend des nouvelles de son frère auprès du gars Seznec le lundi 4 juin 1923...
Soit 10 jours après la disparition de Pierre : 25 mai / 4 juin.
Voyons un peu comment s'est jouée la pièce...
Marianne et Jenny
Excelsior 2 novembre 1924.
Dans la primo enquête de Jean Pouliquen (Bernez Rouz en page 82) :
"Je télégraphiais moi-même le lundi 4 juin à la Société Générale à Paris pour savoir si mon chèque avait été touché ; le mardi matin, je recevais la réponse me disant que le chèque n'avait pas été présenté et que l'on prenait note de mon opposition. De plus en plus inquiet, je téléphonais à ma belle-soeur qui me fit savoir qu'elle avait eu une conversation téléphonique avec Seznec, que ce dernier était de retour à Morlaix et faisait savoir que mon beau-frère l'avait quitté à Dreux ; il se disait lui-même sans nouvelles depuis de mon beau-frère, et il s'offrait à télégraphier à un certain Ackermann que mon beau-frère devait dit-il voir à Paris."
Et en page 76 :
"Le 4 juin, Seznec rend visite à son avocat briochin Me Bienvenue. Il reçoit la visite de Jenny Quéméner qui vient de chercher des nouvelles de son frère."
Chez Denis Seznec en page 107 :
"Les deux hommes (ndlr Seznec et de Jaegher) s'apprêtent à partir pour Saint-Brieuc, lorsque Jenny, la soeur de Quemeneur, se présente soudain. La vieille demoiselle paraît inquiète :
- Avez-vous des nouvelles de mon frère ? demande-t-elle. Je n'en ai aucune depuis qu'il est parti avec vous à Paris.
Mon grand-père lui explique qu'en fait il a laissé son frère en cours de route, que celui-ci a pris le train à Dreux, tandis que lui revenait tant bien que mal à Morlaix.
- Mais ne vous en faîtes pas, ajoute-t-il, tel que je le connais, il doit être en train de traiter ses affaires et...
Jenny l'interrompt :
- Mais il n'est pas venu au mariage de sa filleule la semaine dernière. Il avait pourtant bien l'intention d'y assister. Il m'avait même parlé de gens importants pour sa carrière politique. Il voulait les rencontrer à cette occasion. Alors, je ne comprends pas. Et en plus, ce silence !
Le maître de scierie esquisse un geste d'impuissance, puis avance une explication :
- Peut-être a-t-il eu quelque chose de plus important encore à faire..."
Chez Denis Langlois en page 27 de son dernier livre :
"Le 4 juin 1923, en début d'après-midi, Jenny, la soeur de Quémeneur, arrive à la scierie de Seznec. La quarantaine, petite comme son frère, jupe longue et chapeau enfoncé sur les yeux."
Oui, c'est bien ainsi que j'imagine Jenny.
C'est l'actrice Agnès Château qui endosse son rôle dans le téléfilm d'Yves Boisset.
Et c'est bien ainsi que je me l'imagine....
Discrète.
Bourgeoise vieille France de province...
Habillée chic et discrète.
Et surtout pieuse.
Très pieuse.
Me Alizon, le 2 novembre 1924, termine ainsi sa plaidoirie :
"- C'est aujourd'hui le jour des morts, et la femme Quemeneur n'a pu aller prier sur la tombe de ce frère bien-aimé. Je songe à ce grand chrétien qui était votre victime, Seznec, et je vous dis : puisse D+ieu, après l'expiation, vous pardonner !"
Oui, très pieuse...
Puisqu'elle va choisir l'ordre cistercien.
Oui, puisqu'elle va rentrer chez les cisterciennes de Campénéac, après le procès Seznec et le règlement des différentes affaires Quémeneur.
En effet, en avril 1925, dans la liste des ayant-droits de Pierre Quémeneur, elle figure encore comme habitant à Landerneau.
"Jugement déclaratif de décès du tribunal civil de Brest du 8 avril 1925 :
Louis Quéméner, négociant en bois, demeurant à Landerneau
Melle Jeanne Quéméner, célibataire majeure, demeurant à Landerneau
Marianne Marie Yvonne Quéméner épouse de François Péron à Guiclan
Madame Philomène Quéméner épouse de Yves Péron, à Guiclan
Mr Henri Quéméner, religieux à la Trappe de Thimadeuc
Mr Yves Quémener demeurant à Paris (ndlr Demi-frère né le 19/10/1865)
Mme Marie Anne Quéméner épouse Pouliquen à Pont l’Abbé."
En 1936, lors du rebondissement avec l'histoire du ceinturon de Lohat, Denis Seznec nous écrit en page 369 (édition 2006) :
"Jenny, elle, qui est entrée en religion refuse de le recevoir."
Après recherches…
............
Voilà...
Notre Jenny a pris un peu chair.
Elle reste la grande victime de cette affaire.
Fracassée par la mort de son frère...
Elle ne trouvera consolation qu'en Dieu.
En rentrant à l'abbaye Notre Dame de Bonne Garde à Sainte Anne d'Auray.
Alors...
N'oubliez pas que, lorsque le procès de Seznec arrive en octobre 1924...
Soit 6 ans à peine après l'Armistice...
Dans la famille du notable Pierre Quémeneur, conseiller général...
Il y a un moine qui fut infirmier au Front, un ancien prisonnier de guerre de Minden et un notaire décoré de la Croix de Guerre...
De quoi impressionner les jurés !
Liliane Langellier
Découvrez gratuitement l'arbre généalogique de Jenny QUÉMÉNER pour tout savoir sur ses origines et son histoire familiale.
https://gw.geneanet.org/marsouin4?lang=fr&n=quemener&oc=0&p=jenny
Jenny Quéméner in Geneanet. via Marsouin 4.
Pierre Quéméner R.M. 3498, en page 4.
Camp de prisonniers de guerre de MINDEN.
Camp de prisonniers de guerre de MINDEN.
https://www.geneadel.com/47-camp-de-prisonniers-de-guerre-de-minden
Le Lager Minden.
R.M. Henri Quéméner en page 208.
Monastère des moniales cisterciennes à Campénéac - Bienvenue !
Abbaye "La Joie Notre-Dame" de moniales cisterciennes trappistes bretonnes à Campénéac : spiritualité, histoire, accueil, horaires, économie, textes, visite,
L'abbaye cistercienne de Campénac.