Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
3 Avril 2018
Le premier qui dit se trouve toujours sacrifié
D'abord on le tue
Puis on s'habitue
On lui coupe la langue on le dit fou à lier ...
Guy Béart, La Vérité
Continuons d'essayer de voir clair dans ce que Petit Guillaume a dit à ses deux fils.
J'ai déjà parlé du pote de Seznec, André de Jaegher, selon moi.
J'ai parlé de la maison de Traon ar Velin, son salon, sa marche...
J'ai parlé de l'ambiance dans laquelle se déroulait l'affaire Seznec en mai 1923...
Je vais tenter maintenant de démêler les vrais ou faux témoignages sur le voyage de Guillaume Seznec.
C'est parti...
Quels étaient les premiers témoins interrogés par la police sur le voyage de Seznec :
J'ai repris, pour cela, la longue plaidoirie de Maître Philippe Lamour devant le Tribunal de Rennes, le 5 octobre 1932.
Celle de la défense du journal La Province.
8 heures !
Oui, vous lisez bien : 8 heures !
(ndlr Pour ceux qui souhaitent lire la totalité de la plaidoirie de Lamour, me la demandez par mail.)
Pour s'appliquer à prouver que Guillaume Seznec n'avait pas eu le temps matériel de commettre un crime.
En s'appuyant sur les dires des différents témoins.
1. Les témoins du voyage de Guillaume
Le premier témoin de Dreux
"Reprenons les deux compagnons au moment où ils quittent Hodey, le garagiste de Dreux. Ils partent après avoir pris l’apéritif avec lui. Ils arrivent à Houdan à 20 heures 45 (cotes 101, 127 et 128). Il est essentiel pour l’horaire, le témoignage de Jean Gérard. On lui a demandé six fois – je n’irai pas jusqu’à dire que c’était dans l’espoir qu’il se tromperait et qu’il ne dirait pas la même chose – et il a continué à dire la même chose. Il y a du mérite. Car on comprend fort bien que lorsqu’on interroge dix fois les témoins sur les mêmes choses, comme on l’a fait pour les témoins de la gare, ils sont bien excusables de ne pas s’y retrouver et de finir par confondre ce qu’on veut qu’ils aient vu avec ce qu’ils ont vu réellement."
C'est court, hein ?
Les témoins de Houdan
Dans la thèse des deux voyages...
J'ai retrouvé ça chez Lamour...
C'est un peu confusionnel !
A. Le restaurant du Plat d'Etain
"Lorsqu’en juin un témoin dit au commissaire Vidal : « C’était à la tombée du jour », le commissaire traduit dans son rapport : « A 22 heures. » En juin, c’est vrai, parce que la tombée du jour est à 22 heures, heure d’été. Mais en mai, la tombée du jour est à 21 heures, heure ancienne.
Oh ! le commissaire Vidal – qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne veux pas dire – était de bonne foi. Il se bornait à traduire dans le style administratif convenable les déclarations qui lui étaient faites.
Et quand nous verrons tout à l’heure le chef de gare Piau nous dire : « Il était 22 heures parce que j’allais couvrir mes fleurs avant qu’il ne fasse noir », cela veut dire qu’il a déclaré : C’était à l’heure où j’allais couvrir mes fleurs avant la nuit, ce que l’enquêteur a traduit par 22 heures.
22 heures au moment où il a déposé. C’est à dire 21 heures au moment où les faits se sont produits.
Et cela, Messieurs, expliquera bien des choses puisque, vous allez le voir, Seznec, qui se déplaçait, a compté les heures sur sa montre, tandis que les témoins les réappréciaient dans leurs souvenirs, à l’aide de la clarté solaire, avec un décalage d’une heure.
Et alors, Messieurs, à la lueur de ces deux observations et de celles qui vont suivre, reprenons la critique de l’horaire de l’accusation. Il repose tout entier sur la nécessité de prouver que Quémeneur n’a pas pu prendre à Dreux le train de 22 h 3 (en réalité 21 heures 58) puisqu’à cette heure il était encore à Houdan. Pour cela, deux éléments de preuve.
Ces deux heures précises ne sont naturellement pas le résultat de souvenirs exacts. Elles sont le résultat de deux raisonnements aussi fragiles l’un que l’autre.
Car, à première vue, il peut paraître singulier que les bonnes du Plat d’Etain, interrogées un mois après des événements qui n’avaient pas dû frapper spécialement leur imagination (deux clients qui viennent dîner dans un restaurant, ce n’est pas, du moins je l’espère pour ce restaurant, particulièrement extraordinaire) aient pu fixer exactement cette heure de 21 heures 30. C’est très simple et même trop.
Les bonnes ont dit : « Nous sommes sûres qu’il était plus de 21 heures parce que la patronne, qui revenait de Paris, était déjà rentrée. Or, elle arrive en gare au train de 20 heures 58. »
C’est donc sur ce raisonnement qu’on a fixé ce premier point essentiel de l’horaire de l’accusation. Il était plus de 21 heures parce que la patronne était rentrée et que ces Messieurs sont arrivés après elle pour dîner.
[...]
"La patronne du Plat d’Etain a été interrogée. Oh ! elle n’a pas été interrogée avec beaucoup d’insistance, lors de la première enquête. Mais je dois signaler au Tribunal que, lors du règlement du dossier, un certain nombre de points de cette troublante affaire ont paru à la Chambre des mises en accusation si obscurs qu’elle a ordonné un supplément d’enquête avant le renvoi du malheureux Seznec devant les Assises de Quimper. Et dans ce supplément d’enquête on a recueilli, parmi tant de précisions intéressantes que nous retrouverons au cours de ces débats et qui infirmeront lourdement la thèse restée cependant impavide de l’accusation, le témoignage de Madame Provost, patronne du Plat d’Etain. Et que dit-elle ?
« Je vais à Paris de temps en temps, à des jours variables, tantôt le lundi, le mardi ou le vendredi. Je ne me souviens nullement du jour où Seznec est venu. Du reste, je ne l’ai jamais vu. Lorsque je revenais de Paris, je prenais indifféremment le train de 17 heures 40 ou de 19 heures ». (Cote 119 du supplément d’information)
Ah ! Messieurs, lorsqu’on veut fonder un horaire précis sur un raisonnement il faut que ce raisonnement soit rigoureux et sans faille. Lorsque les bonnes du Plat d’Etain affirment : Il était 21 heures 20 parce que la patronne était rentrée de Paris et que le train arrive en gare d’Houdan à 20 heures 58, j’ai le droit de dire : Ces femmes ne mentent pas, mais leur vérité ne justifie pas un horaire et peut s’appliquer indifféremment au train de 17 heures 40 ou au train de 19 heures. Si elle prenait le train de 17 heures 40 (ou plutôt 17 heures 47 sur le véritable horaire), elle arriverait à Houdan à 19 heures 43, c’est à dire à la fois certainement avant Quémeneur et Seznec, mais dans un temps assez bref aussi avant eux, pour que l’impression des bonnes puisse rester exacte et qu’elles puissent dire : Madame était rentrée depuis peu de temps quand Quémeneur et Seznec sont arrivés.
Elle arrive, en effet, à Houdan à 19 heures 43, c’est à dire un peu avant 20 heures. Et lorsque le témoin Jean Gérard déclare : Quémeneur et Seznec arrivent à 20 heures et demi ou 21 heures moins le quart pour acheter une lanterne, puis parcourent en quelques instants les deux cents mètres qui les séparent du Plat d’Etain en laissant l’auto à la porte de Jean Gérard, celui-ci dit la vérité, les bonnes disent la vérité, la patronne du Plat d’Etain dit
"Je ne me souviens nullement du jour où Seznec est venu."
Donc, avant ou après la date évoquée...
Idem pour le quincaillier-mercier : Jean Girard.
In le livre de Denis Seznec (édition 2006).
Je suis retournée chez Rouz,en page 71 :
(ndlr : le procureur de Quimper, Bruno Gestermann, a autorisé ce journaliste à lire tout le dossier Seznec.
On peut donc penser qu'il a retranscrit tout ça dans un grand souci d'honnêteté...)
En page 71 :
"Seznec dans ses premières déclarations se trompe entre Dreux et Houdan, situé à une vingtaine de kilomètres sur la route de Paris (ndlr Pas 60 kilomètres, hein, comme écrit dans l'ouvrage de nos orfèvres...) Le restaurant en question est en fait Le Plat d'Etain. Les filles de salle indiqueront que Quémeneur mangeait de bon appétit, Seznec mangeait très peu et paraissait inquiet.
Les deux hommes reprennent la route de Paris, se trompent de route, font demi-tour à la gare de Houdan, la voiture cogne contre une barrière, des témoins accourent. Ils indiquent tous que Quémeneur et Seznec étaient ensemble. Exténués par les pannes, les deux hommes semblent s'invectiver. Pierre Piau, le chef de gare de Houdan témoigne :"Les occupants de la voiture discutaient très fort, il est probable que c'est au sujet de la direction à prendre... on les entendait discuter très fort et le bruit du moteur n'arrivait pas à couvrir leur voix". Seznec expliquera au juge que Quémeneur était très mécontent. "Il causait très peu, il me reprochait d'avoir entrepris ce trajet avec ma voiture qui n'était pas en état de le faire".
Et oui, reprenons...
B. Les témoins de la gare de Houdan :
Toujours in la plaidoirie de Lamour :
"Voici donc les quatre témoins de 22 heures 10. D’abord, le chef de gare Piau et sa femme qui ne font qu’un. Ce doit être un ménage très uni ; lorsqu’un fait une déclaration, l’autre la répète exactement. Je ne veux pas faire intervenir dans cet accord parfait la baguette de chef d’orchestre du commissaire Vidal. Je préfère y voir un démenti à la réputation un peu trop facile de cette honorable corporation. Le chef de gare Piau et sa femme, l’homme d’équipe Garnier qui va venir également, sous réserve de quelques contradictions, confirmer ses dires et M. Nouvion qui, très tardivement d’ailleurs, va également les confirmer dans leurs grandes lignes : tels sont les témoins de la gare de Houdan.
Ce qu’ils disent est surprenant.
Je connais Houdan, j’ai vu les lieux. Il est exact que la nuit tout automobiliste non prévenu doit se tromper de route. Ce qui apparaît dans la lueur de ses phares comme étant la route normale n’est pas du tout la route de Paris, mais celle de
Dès lors, Messieurs, qu’un chef de gare, sa femme, M. Nouvion et M. Garnier voient tous les jours des automobilistes se tromper et venir dans la gare, il doit paraître surprenant qu’ils gardent un souvenir aussi précis d’une erreur et d’une auto parmi tant d’autres.
Non, nous dira-t-on, parce que ce jour-là on a parlé, on a demandé un renseignement. Cela ne doit pas être si exceptionnel. Mais qui a demandé ce renseignement et comment ?
L’un dira même : un Monsieur est descendu.
Mais l’autre dira : Jamais personne n’est descendu.
Je suis sûr, de façon absolue, je puis l’affirmer, que personne n’est descendu, dira finalement Nouvion. Je dis la même chose que mon camarade, personne n’est descendu.
Intéressant, non ?
Bien sûr que les témoins de la gare de Houdan ne s'y retrouvent plus si Guillaume Seznec a fait le voyage par deux fois pour brouiller les pistes...
"Vous allez voir que Seznec n’a pas menti, que ce procès-verbal d’interrogation, qui cependant à première vue a paru si suspect et si troublant qu’il est devenu à la minute même la charte de la culpabilité de Seznec, l’innocente au contraire. Le malheureux se trompe et son erreur sincère est la meilleure preuve de sa bonne foi. Traversant des villages qu’il ne connaît pas, qu’il n’a vus que la nuit, Seznec ne s’y reconnaît plus, se trouble et se contredit, et dès lors la police dit : C’est le coupable.
Et comme je les comprends ou plutôt comme j’excuse que dès lors on ne soit plus attaché qu’à vérifier cette conviction de culpabilité, issue d’une déposition qui apparaissait comme une espèce d’aveu. Eh bien, vous allez voir, avec les explications que je viens de vous donner, que toutes les affirmations de Seznec étaient justes, que cet homme a dit le vrai, et que lorsqu’il a dit qu’il ne savait plus, c’est qu’il ne savait plus et qu’il ne pouvait plus savoir."
J'ai aussi retrouvé ça, chez SaintOp/Kadillac/Seznek, dans sa "Critique impertinente de Nous les Seznec" sur son blog "L'affaire Seznec revisitée" :
p. 105 : “Guillaume Seznec, lui, fera des erreurs, confondra des lieux, oubliera la rencontre de témoins – souvent favorables -, bref, se comportera comme un innocent“
innocent ? : possible – mais de toute évidence, gêné aux entournures et visiblement à la conscience
pas tranquille – s’il a oublié des témoins, ceux-ci l’ont aussi bizarrement oublié – quant à ceux qu’il n’a pas oubliés, ils ne lui ont pas été d’un grand secours (Métais, Bienvenue, Maingourd, Giffat...)
2. La météo des 25 et 26 mai 1923
Et oui, Jean-Yves Seznec, c'est pour vous que je suis allée retrouver ces détails sur la météo...
Détails que votre père, Petit Guillaume, a, m'avez-vous dit, souvent évoqués...
C'est à Houdan qu'on a parlé météo...
Houdan. La météo in le livre de Denis Seznec (édition 2006)
Et oui, la météo a été sujette à caution.
En 1923.
Et depuis 1923.
J'ai repris le tout dans le livre de Denis Seznec en page 136 (édition 2006) !
Et oui, la météo a bien été sujette à caution.
Et, c'est peut-être en la relisant que l'on comprendra mieux que Seznec ait pu faire deux voyages en mai 1923.
Pas un voyage, deux voyages.
Et que l'on se rapprochera le plus de la vraie date du voyage de Guillaume Seznec avec Pierre Quémeneur.
Je vous avais donné mon hypothèse : premier voyage = 20 Mai 1923...
Cessez de m'injurier, Seznec n'est ni votre grand père, ni le mien, alors on garde les distances nécessaires...
Il nous dit quoi Denis Seznec en commentaire de son tableau de la météo cité en annexe ?
"Tableau indiquant qu'il n'avait pas pu geler à Houdan dans la nuit du 24 au 25 mai 1923. Ce qui modifie complètement la seule référence que les témoins de la gare de Houdan avait indiquée : "La veille il avait gelé ." La Sûreté négligera de faire cette simple vérification probablement parce que cela ne collait pas avec l'orientation qu'elle souhaitait faire prendre à son enquête. Il aura fallu attendre un demi siècle, grâce aux archives de la Météorologie nationale, pour constater que la veille du 25 mai 1923 il avait fait 4°3. En revanche, une semaine plus tôt, il avait effectivement gelé."
"une semaine plus tôt, il avait effectivement gelé !"
Voilà pourquoi les fils de Petit Guillaume émettent l'hypothèse du premier voyage de Guillaume Seznec avec Pierre Quémeneur le vendredi 18 mai 1923 et non le vendredi 25 mai 1923.
Vendredi 18 mai 1923 à Houdan...
Donc dimanche 20 mai 1923 à Morlaix...
Capisce ?
Liliane Langellier