Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
27 Août 2015
“Quand tourne le vent on accuse les girouettes.”
Paul-Jean Toulet
Si l'on veut aborder le personnage de Picard, il est absolument nécessaire de parler auparavant de Maurice Privat...
En 1931, juste après l'ouvrage d'Arthur Bernède "Seznec a-t-il assassiné ?", Maurice Privat publie, dans sa collection "Les documents secrets" un livre qui a beaucoup nui à l'affaire Seznec : "Seznec est innocent".
Maurice Privat est astrologue.
Skeptikos nous l'a longuement écrit sur son blog.
On y lit notamment :
"Je ne sais pas comment, Privat a rencontré le Juge Hervé et a pris fait et causes pour ses hypothèses qui ont pour cadre Traou Nez. « [Refusant] de croire que la police [ait] organisé un guet-apens », il est le premier à publier des accusations directes visant Louis Quéméneur, Pouliquen et Kerné. Il participe à la découverte d’une balle fichée dans la porte du bâtiment d’habitation. Mais en 1933, Pouliquen et Quéméneur contre-attaquent et l’assignent en Justice. Hervé ne semble pas en phase avec Privat et refuse de venir témoigner au procès qui s’en suit. La Justice tranche et le livre est retiré de la vente. Précédemment, Hervé avait été condamné avec le journal La Province au procès de Rennes où l’avocat Philippe Lamour, Philippe Lamour l’ami de Maurice Privat, avait développé une superbe plaidoirie qui démontait avec une logique implacable l’accusation contre Seznec."
En fait, encore un qui tripatouille avec l'au-delà. Qui croit ferme aux esprits frappeurs.
Et qui développe une furieuse tendance à mélanger les légendes et la réalité.
Je ne résiste pas à vous livrer cet extrait pour vous mettre dans l'ambiance (page 10) :
"Le 1er mai 1878 - le 1er mai est l'une des fêtes des âmes chez ces croyants - naissait, au hameau de Kernéol, dépendant de Plomodiern, Guillaume Seznec, fils d'Yves et de Marie Colin, qui, à quatre-vingt-trois ans, va encore chercher son bois dans la forêt et qui demeura veuve à trente-deux avec quatre enfants. Elle exploita une ferme de quarante hectares avec sept domestiques hommes et deux servantes. On menait, dans la maison, une vie rude : soins des bêtes, culture - mangeant dans la cuisine, sur les longs bancs encadrant la table de bois. Les escabeaux, dans l'âtre, étaient réservés aux anciens conteurs de belles légendes.. En janvier, on fêtait l'août marin en allant, à marée basse cueillir le goémon, en disputant aux voisins les meilleures places, bien que le maire eût pris la précaution de tirer les lots au sort;
Mme Marie Seznec, jolie, gracieuse, fine, et qui, dans sa vieillesse, a conservé de beaux yeux vifs, ne balayait pas après le coucher du soleil afin de ne pas troubler les esprits, blottis dans les coins. Cette famille, comme tant d'autres de cette étrange province, vivait en familiarité avec les morts. Il n'est pas d'endroit où ne soient les anges, assurait Erasme. Pour les Bretons, les défunts continuent à hanter les lieux où ils vécurent et la nuit leur appartient. Les buissons d'ajoncs qui bordent les chemins sont les refuges des âmes du Purgatoire. On peut les surprendre. Les enfants qui ont traversé deux fois le cimetière sans être baptisés ont le don de les voir, de discerner, les intersignes, présages de la mort."
Je m'arrête là.
C'était juste pour vous faire comprendre, hein ?
Il aurait mieux fait de nous dire, le Maurice, que sa mère, veuve alors que Guillaume avait six ans, et qui avait perdu un autre petit garçon, lui cédait tout. Car il était son seul fils. Que Guillaume n'avait jamais connu aucune autorité paternelle : "Ni père ni repères". Et qu'il avait fait, dès son plus jeune âge, tout ce que bon lui plaisait. Sans en rendre compte à personne.
Aucune autorité patronale non plus. Il quitte la ferme de sa maman, pour s'installer à son compte chez son beau-père. Là aussi, il fait ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut. Il ne rend de comptes à personne. Ce qui le rend terriblement agressif quand on lui en demande....
Aucune retenue enfin sur un tout autre plan. Plus personnel.
Le rêve n'est pas la dure réalité.
"Marie-Jeanne aimante et docile épouse, avait été enceinte neuf fois en ces huit années de mariage. Neuf grossesses mais seulement quatre enfants vivants..." in Rieux et Nédelec en page 21.
Mais revenons à notre maudit Maurice Privat.
Et voilà que je me tords de rire quand je lis dans l'avertissement de Maurice Privat aux nouveaux lecteurs : "L'auteur s'élève au-dessus des passions et fait oeuvre d'historien."
Privat mélange donc, tout au long de son livre, légendes et réalité.
Il a aussi une pénible tendance à ne pas dater les évènements dont il parle.
Ou à les enjoliver de son style ampoulé... Histoire de mieux passionner le lecteur...
C'est ainsi que l'on trouve en page 33 (Dites 33...) les lignes suivantes. Qui furent aveuglément reprises par nombre d'auteurs. Y compris et en tête Petit-Fils premier. Sans souci de vérifier le moindre mot :
"Guillaume Seznec était inséparable de la belle Marie-Jeanne Marc. Il rentrait avec elle à Plomodiern, dans la douceur attendrie du crépuscule. Il était grand, brun, nerveux, rude d'aspect. Sa voix était rauque. Marie-Jeanne, plus petite, si jolie dans ses beaux atours, était délicieuse. Son visage enchantait comme ses manières. Elle était émue de l'adoration qu'elle inspirait à son camarade. Il la vénérait. Il avait pour elle autant de respect que d'affection. Marie-Jeanne se sentait rassurée par la force calme de Guillaume.
Elle était si jolie, si charmeuse qu'un Monsieur de Guingamp la demanda en mariage. C'était un jeune magistrat qui voulait s'établir. Il rencontra la belle sur les bords de l'Aulne, rivière noble où se mirent des maisons avenantes. Elle accompagnait son père au marché. Il vendait de la graine à luzerne, sainfoin, haricots. Elle achalandait l'éventaire par sa présence. Le père Marc était un brave homme, travailleur entreprenant, que sa femme, très dépensière, devait conduire à la débâcle. A ce moment, il passait pour riche. Théodore Picard, troublé par la jeune fille, en oublia de vider son verre à l'apéritif, signe d'extrême confusion. Il s'informa : la mignonne possédait en dot une dizaine de mille francs. Ses parents avaient du bien, un gros commerce de graines et une épicerie-marchand de vins, une propriété cultivée par un fermier. Cela le décida.
Il croyait n'avoir qu'à se présenter pour être élu. Une paysanne aussi fière, qui connaissait la valeur de sa grâce naïve, ne pouvait qu'être honorée d'être recherchée par lui. Elle abandonnerait les champs pour le séjour moelleux des villes. Elle serait une dame.
Guillaume Seznec connut ce rival et devint mélancolique. Sa petite fée semblait perdue pour lui. Il tournait autour de sa maison sans oser la contempler à la fenêtre d'où elle le surveillait, moqueuse. Car le jeune Picard, qui prétendait à sa main, en attendant mieux, ne l'inspirait pas. Sa finesse avait fait le tour du personnage. Elle ne se laissa pas tenter et, après la messe, un dimanche, sourit si délicieusement à Guillaume qu'il en fut transfiguré. Mme Seznec fit alors sa demande et Marie-Jeanne épousa celui qu'elle aimait."
Voici donc la racine du mal.
Qui donne encore quelques pousses aujourd'hui.
Désolée d'interrompre ce roman de gare pour vous donner à lire la réalité....
Théodore Picard est né le 16 juin 1868 à Guingamp dans les Côtes d'Armor.
Il est d'une famille bourgeoise. Vous pouvez lire sur son acte de naissance (reproduit ci-dessous) que son père est percepteur des contributions directes.
Et sa mère "propriétaire" à Roscoff.
Sans compter que ses ancêtres aussi étaient dans la magistrature...
"père : Théodore Esprit Picard (1829-1892), Percepteur des contributions directes.
grand-père : Nicolas Esprit Marie Picard (1788-1842), Marchand horloger à Quimper.
bisaïeul : Nicolas Esprit Picard (1749-1793), Négociant en vins.
trisaïeul : Jean-Marie Picard (1718-?), Procureur au Présidial de Quimper.
Quadrisaïeul : Joseph François Vincent Picard (ca 1685-1720), Notaire Royal et Procureur au Présidial de Quimper."
Son frère René François, né en 1869, deviendra également magistrat.
On est loin, mais alors très très loin du trip du jeune futur magistrat fauché qui guignait les 10.000 francs de dot d'une fille de grainetier, comme décrit par notre Momo national, hein ?
A 18 ans, il fait son régiment avec la classe 1886 de Rennes (cf R.M. joint). Où il doit sans doute être étudiant en droit.
A cette époque, sa famille réside à Rennes. Ou a une résidence à Rennes.
Il commence sa carrière comme juge suppléant à Quimper le 26 juillet 1893.
Puis devient juge d'instruction à Châteaulin le 16 décembre 1898.
Quand il épouse Alice Lossouarn, le 24 novembre 1903, à Brest, il est juge d'instruction près le tribunal civil de première instance de Châteaulin. Où il demeure.
Alice Lossouarn, elle, n'a pas encore 20 ans.
Elle est née, le 24 décembre 1883, dans une bonne famille bourgeoise.
Son frère, né en 1885, est médecin des troupes coloniales (voir plus bas son acte de mariage).
Son père, Emile Lossouarn, chirurgien 3ème classe, puis médecin aide-major, appartient à l'Infanterie de Marine. Et est titulaire de la Légion d'Honneur.
Théodore et Alice auront deux enfants : Simone, née en 1904. Et René né en 1910.
Le 17 octobre 1908, Théodore devient procureur à Châteaulin.
Puis procureur à Morlaix le 3 juin 1911.
Et c'est là, qu'il faut être attentif, non aux fausses amourettes de notre Momo, mais aux postes occupés par Théodore Picard. Par rapport à la brillante carrière de Guillaume Seznec !
En clair et non crypté : quand ont-ils pu se croiser avant l'instruction ?
Lors de l'incendie de Plomodiern, notre Picard est procureur de Châteaulin. Et nul doute qu'il se déplace et rencontre là les Seznec pour la première fois le vendredi 6 novembre 1908.
Nous savons tous (enfin presque tous) que Guillaume Seznec a été suspecté - à tort ou à raison - d'avoir lui-même allumé le feu.
Une enquête est ouverte.
On peut lire dans l'Ouest-Eclair du 5 novembre 1908 :
"On ignore exactement les causes du sinistre. On avait d'abord dit que c'était une lampe qui avait fait explosion, mais c'est inexact. Depuis quelques mois, c'est la troisième fois que le feu se déclare dans ces bâtiments."
En 1920, pour l'histoire de la Cadillac planquée dans la grange du cousin, c'est le procureur de Châteaulin qui est concerné. Puisque notre Théodore est déjà à Morlaix.
Donc, sa deuxième rencontre avec Guillaume Seznec serait lors de son arrivée à Morlaix pour la prison de Creach-Joly, le lundi 16 juillet 1923.
En cherchant à bien vérifier la date exacte de cette arrivée à Morlaix, voilà ce que je viens de trouver dans le premier livre de Me Denis Langlois en page 106 :
"Morlaix. Une douleur te saisit derrière la tête. Tu allais tomber entre les mains du procureur Picart. Extérieurement avec sa tête ronde un peu congestionnée, ses yeux toujours en mouvement et son menton relevé, il n'était pas pire qu'un autre. Mais il avait la particularité d'avoir été magistrat à Châteaulin et d'avoir courtisé la fille d'un commerçant de Plomodiern Marie-Jeanne Marc, qui lui avait préféré le fils d'un paysan nommé Guillaume Seznec. Ah ! Quelle revanche quand il te verrait arriver dans son cabinet ! Pourvu qu'on ne te mette pas les menottes ! Tu avais pour toi ta taille, c'était le seul avantage.Serait-ce suffisant pour le toiser et résister à son regard triomphant ?"
No comment.
Et je vous épargne la reprise de la même chose et pareil chez Denis Seznec en page 159 (édition 2006 de "Nous, les Seznec").
C'est pas moi, c'est ma soeur, etc...
Ces écraseurs d'exactitude sont prêts à salir les autres, tous les autres, pour blanchir Guillaume Seznec. Etrange méthode. Qui donnera souvent le résultat contraire.
Car Guillaume Seznec avait déjà un bon dossier. Avec des infractions en tous genres. Il s'en était toujours sorti. Il était toujours "border line".
Mais il n'a pas eu besoin ni d'un Picard ni d'un Bonny pour que, lors de son procès, les premières paroles du président de la cour d'Assises, Dollin du Fresnel, soient :
"- Jusque là, a-t-il reconnu en ajustant ses lunettes, je n'ai que de bons renseignements sur vous. Mais, en 1909, il y a eu cette histoire de magasin de bicyclettes. (...)
- On dit, a repris le président, que l'incendie a gagné votre atelier et que vous avez un peu aidé les flammes pour toucher l'assurance."
in Denis Langlois en page 171.
Bon. EXIT l'amoureux transi des délires de notre Momo.
Reste encore à éclairer l'histoire de l'encrier soi-disant jeté au visage de Théodore par Marie-Jeanne.
Allez, on se la lit chez Denis Seznec, en page 291 :
"Mais cette situation, proche de la misère, n'entame en rien sa farouche détermination, et encore moins sa fierté. Convoquée dans son bureau par le procureur Picard - l'ex-soupirant de Marie-Jeanne - celui-ci déclarant : "Tu vois, je l'ai eu ton Guillaume !", elle lui lance tout le contenu de l'encrier à la figure."
Cette scène - dont le scénario n'existe que dans la tête de Petit-Fils Premier - est en fait directement inspirée d'une autre scène que l'on trouve chez Claude Sylvane en page 115, geste attribué cette fois à Jeanne Seznec, lors de l'annonce de la mort de sa soeur Marie par une religieuse peu délicate : "Maman chancela...Alors, dans un geste que je ne pus retenir, j'attrapai l'encrier qui se trouvait sur le bureau et le jetai à la figure de la religieuse."
Suite à la fermeture du tribunal de Morlaix, Théodore Picard est afffecté au tribunal de Brest le 25 octobre 1926.
Il n'a pas une promotion "pour avoir coulé" Guillaume Seznec comme l'insinuent certains.
Il ne se suicide pas non plus en se jettant dans le Queffleuth en 1926, comme nous l'écrit encore en note bas de page 291 Denis Seznec...
Mais il meurt le 4 novembre 1928 à son domicile, 26, Quai du Léon à Morlaix.
"Des suites d'une longue maladie"...
"Muni des sacrements de l'Eglise..." (cf son avis d'obsèques ci-dessous).
Ce qui fait curieusement écrire à la "future carmélite" Marie Seznec, dans une lettre à son frère Albert de février 1930 : "Le temps passe vite et plusieurs ont déjà reçu leur sentence du Bon Dieu. Je ne sais pas si maman t'avait annoncé la mort du Procureur de Morlaix qui savait papa innocent et qui malgré tout a été si inhumain pour papa et pour nous pendant la cruelle affaire." (pas vraiment un langage ni de catholique ni de future bonne soeur, hein ?)
Une vraie famille pieuse...
Je ne me suis toujours pas remise de la façon dont Guillaume Seznec entourloupe Castel pour acquérir la scierie de Morlaix (dans le dernier Langlois en pages 258/259).
Oui.
On sait.
On a même remarqué.
On a même fait le rapprochement.
4 novembre 1928 = quatre ans jour pour jour après la condamnation au bagne de Guillaume Seznec.
Et alors ???
Il nous avait prédit quelque chose à ce sujet l'astrologue ???
Liliane Langellier,
avec la précieuse collaboration de Thierry pour la documentation.
P.S. On ne soulignera jamais assez l'importance de l'exactitude.
Surtout dans une affaire comme l'affaire Seznec.
Vérifier ses sources et les croiser avant d'écrire.
On ne soulignera jamais assez non plus l'importance des recherches dans les archives et les anciens articles de presse.
C'est un travail long et laborieux. Parfois ingrat.
Mais, au moins, la joie de trouver n'a pas de prix...
P.S. 2 Cerise sur le gâteau, voilà que j'allais oublier le blog de Catherine Clausse :
" PICARD Théodore Olivier
Né à Guingamp le 16 juin 1868. Ancien juge de Chateaulin, Finistère, il était Procureur à Morlaix au moment de l'affaire. Il fut chargé d'établir un rapport de moralité sur l'inculpé par lequel il l'accabla totalement. Le 4 novembre 1928, il se suicida en se jetant par la fenêtre dans le Queffleuth, la rivière qui traverse Morlaix.
ASSASSINE "
Arrivée de GS à Morlaix in Le Petit Parisien du 17 juillet 1923 . A comparer avec la page 183 du livre de Denis Seznec...
"Décédé en son domicile... muni des sacrements de l'Eglise..." in La Dépêche de Brest du 5 novembre 1928.
Je vais répondre à Yargumo, ici, puisque j'ai quitté le forum J.A.C.
Parlons Petit-Guillaume.
Il avait épousé en secondes noces Claudie Neyret.
Qui vit toujours.
Puisque je lui ai parlé au téléphone.
Petit-Guillaume a eu quatre enfants de Claudie Neyret : trois fils et une fille.
Je rappelle que ce sont les quatre seuls petits-enfants à avoir le droit de porter le nom de Seznec.
Ils ont toujours voulu, comme leur père, rester en-dehors de l'affaire Seznec. Etant en total désaccord avec les actions de Denis Le Her.
Qu'ils jugeaient - entre autres choses - médiatisé à outrance.
Lorsque le livre de Me Denis Langlois a été terminé, et une fois seulement qu'il a été paru, seul l'aîné des petits-fils a reçu un exemplaire de "Pour en finir avec l'affaire Seznec" dédicacé de son auteur.
Ni Madame Guillaume Seznec, ni les autres enfants n'ont eu ce privilège.
Je me demande quelle aurait été ma réaction - si on avait publié un livre dont le personnage principal soit mon mari ou mon père - sans même que je sois prévenue auparavant ?
Je me demande....