Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.400 articles.
3 Août 2015
"There's a first time for everything"
Le samedi 2 otobre 2004, à 12 h 50, dans l'émission "12/14 Ouest - l'enquête" sur France 3 Ouest, Bernez Rouz dépucelle l'affaire Seznec.
Il n'était que temps, la vieille dame a déjà 80 berges bien sonnées.
Tétanisation collective des aficionados de l'affaire quand ses mots résonnent dans nos boîtes à images :
"Deux fois par mois ces encarts publicitaires paraissaient dans la presse locale. Guillaume et Marie-Jeanne Seznec ont tenu une buanderie pendant la guerre et ont fait beaucoup d’argent en travaillant pour les armées françaises et américaines. Dès 1918, ils achètent une scierie à Morlaix et s’installent à « Traon-ar-Velin », dans une maison confortable. Seznec investit en outils industriels, et en bon commerçant, profite, comme tout le monde, des stocks américains. Pour faire tourner son usine, on le voit acheter un camion et une Cadillac.
Et Seznec cède au virus des affaires faciles. On le voit acheter et vendre des voitures comme le témoigne la facture au Garage Spor de Lambézellec.
Seznec va plus loin. Le document que vous allez voir est inédit. En janvier 1920, les gendarmes à cheval de Locronan découvrent une voiture américaine de luxe cachée dans une grange de Plomodiern. Chez un cousin de Seznec. Les gendarmes sont intrigués parce qu’on vient juse de voler 200 voitures aux stocks américains dans la région nantaise. Une enquête est diligentée. Seznec est interrogé par le commissaire de police de Morlaix. Il explique, dans sa déposition, qu’il a acheté deux voitures américaines, une Cadillac limousine et une Dodge Torpedo, près du parc américain, avenue de la Bourdonnais, à Paris. Il a pris livraison des voitures à Nantes. Il les a revendues à un garagiste de Marseille pour le marché algérien.
C’est la preuve que Seznec, dès 1919, est en contact avec les grands trafiquants d’automobiles américaines en France."
Non, parce qu'avant : rien, nichts, nada, niente, netra....
Sachez-le : tous les autres auteurs, bien propres sur eux, coiffés comme un jour de rentrée des classes, avec des cartables fleurant bon le cuir neuf, ne se sont jamais risqués à nous parler des traficotages bagnoles du Guillaume.
Petit-Fils premier est sous oxygène. Et son entourage sous perfusion de Valium.
A l'époque, le grand blond connait du monde dans les médias.
Et il se rue pour empêcher la diffusion de la dite émission sur France 3 National.
On a osé salir son papy martyrisé... On a osé...
Et le "on" va oser plus encore puisque son livre sortira en mars 2005.
Un seul média aura les coucougnettes d'en parler : Le Point.
Pour les autres : silence radio.
Ah si R.F.I. invitera l'auteur sulfureux. Le blasphémateur de grands-pères.
Et puis dans le livre, il y a les preuves. Oui, les preuves du traficotage.
Oh, une simple copie d'un procès-verbal. Que je vous joins plus bas.
Il nous en a fallu du temps...
Il nous en a fallu du temps pour réaliser qu'on venait de se faire rouler dans la farine depuis des décennies.
C'est quoi ce procès-verbal exactement ?
En annexe du livre de Rouz, il est écrit :
"Procès-verbal des gendarmes de Locronan daté du 21 février 1920, sur la découverte d'une Cadillac de grande valeur dans une grange de Ploéven. Cette voiture achetée par Seznec avenue de la Bourdonnais fera l'objet d'une enquête poussée qui aboutit à un non-lieu."
Oui mais...
Maintenant on a des petits jeunes qui veulent en savoir plus....
Et qui ne se contentent pas de recopier (avec des fautes) ce qu'écrivent les autres.
Thierry me bonbonne avec cette histoire.
Et il a raison.
Mieux vaut en parler tout de suite plutôt que de prendre le risque d'un nouveau conte de Noël !
Alors parlons-en de cette tire planquée dans une grange....
Ou, plutôt, laissons donc l'auteur nous en parler (en page 46) :
"Seznec semble très au fait des filières d'acquisition et de revente de voitures américaines. Ainsi en janvier 1920, il abandonne une voiture américiane dans une ferme de Ploéven, à proximité de son village natal Plomodiern. Cette présence incongrue attire l'attention des gendarmes de Locronan alors en tournée de communes. N'oublions pas que nous sommes en février 1920, quelques jours après qu'a éclaté une série de scandales sur le trafic des stocks américains, notamment ces 200 voitures volées dans la région de Saint-Nazaire. Le propriétaire de la ferme où se trouve la voiture, Guillaume Le Breton, est le cousin de Guillaume Seznec. Il doit s'expliquer devant les gendarmes de Locronan qui font un rapport très précis : "Il y a trois semaines environ... mon cousin Seznec Guillaume, marchand de bois à Traon Vilin en Morlaix, est arrivé chez moi en automobile entre 23 heures et 24 heures. Il a prétendu revenir de Douarnenez et avoir eu une panne en cours de route. Craignant de ne pouvoir rejoindre Morlaix avec sa voiture, il m'a prié de la remiser dans sa ferme et m'a déclaré qu'il viendrait la chercher le mercredi suivant."
Et c'est là que notre Thierry trépigne, et me trouve des extraits de presse en veux-tu en voilà.
Je vous avise donc que Le Breton Guillaume était le fils de Pierre Breton et de Anne Marchadour. Cette dernière est la soeur de la mère de Marie-Jeanne Seznec.
Sur la petite annonce publiée ci-dessous vous verrez que notre lascar connaissait les filières : "tires exposées à Pontanézen et renseignements avenue de la Bourdonnais".
Mais c'est surtout l'audition, lors du procès de Quimper, du commissaire de police de Morlaix, Abel, qui a traumatisé Thierry !
Oui, surtout la dernière phrase : "Il avait la réputation d'être un pillard des stocks américains".
Thierry est choqué par deux faits :
- aucune enquête n'est vraiment diligentée pour savoir d'où viennent les voitures de Guillaume,
- les prix de 1920 annulent d'eux-mêmes l'histoire d'un vaste trafic à 30.000 francs la bagnole en mai 1923.
1. L'enquête
Là encore, autant laisser parler l'auteur (en page 47) :
"Une enquête est diligentée et nous apprend beaucoup de choses sur la connaissance que petu avoir Seznec du marché des voitures américaines. Le 1er mars 1920, le commissaire de police de Morlaix, Armand Boniin, se déplace à Traon-ar-Velin pour entendre les explications du maître de scierie : "La voiture automobile de provenance américaine que j'ai laissée chez mon cousin Le Breton à Ploéven, à une date que j'ignore, provient d'un lot de deux voitures achetées par moi à un garagiste, M. Randoin 11 rue du Pasquier à Annecy, Haute-Savoie. Au cours d'un voyage à Paris, j'ai passé avec ce commerçant le 29 novembre 1919, un marché par lequel il s'engageait à me livrer le 2 décembre 1919 à Nantes, pour la somme de 30.000 francs, deux voitures automobiles provenant des stocks américains.
"Le 2 décembre dernier, mon chauffeur et moi sommes allés prendre livraison à Nantes des deux automobiles. M. Randoin m'a délivré un reçu que je vous montrerai. En janvier dernier, j'ai vendu une voiture et je dus laisser l'autre chez mon cousin à Ploéven par suite d'une panne en rentrant de Douarnenez. Cette dernière voiture est vendue également et livrée à un sieur Bosson de Marseille. Je crois qu'il doit la livrer en Algérie." Le commissaire ajoute que les deux voitures sont de type Cadillac limousine et Dodge Torpédo. Il ajoute : "Le sieur Seznec est un grand brasseur d'affaires, doit avoir des dettes et ne paraît pas des plus solvables."
L'enquête se poursuit à Annecy où la police cherche vainementun garagiste nommé Randoin.
Le 8 avril, Seznec est de nouveau entendu au sujet de ses achats d'automobiles à Paris : "C'est le 29 novembre 1919, au Champ-de-Mars à Paris lors d'une exposition d'automobiles. J'ai fait la connaissance d'un individu paraissant 35 ans disant se nommer Randoin, garagiste rue du Pasquier à Annecy. Un jeune homme l'accompagnait. J'étais moi-même en compagnie de mon beau-frère M. Marc Pierre, mécanicien à Clichy et de deux de ses amis. Nous nous sommes rendus dans un café du Champ-de-Mars, boulevard Bourdonnais et c'est là que le contrat de vente de deux autos américaines a été passé entre M. Randoin et moi en présence de tous les convives."
Pugnaces, les enquêteurs, faute de mettre la main sur le garagiste fantôme interrogent le 15 avril Pierre Marc à Paris, celui-ci confirme la tractation et ajoute quelques détails: "M. Seznec s'est rendu à Paris pour faire des achats de pièces qui lui étaient nécessaires à la réparation d'un camion automobile. Nous sommes allés ensemble au Champ-de-Mars, au parc des ventes de stocks... Cet individu était en compagnie d'un autre qui bégayait. Ils ont parlé de voitures et l'individu dont il s'agit a proposé à mon beau-frère de lui en vendre."
Cette enquête qui s'est terminée par un non-lieu est fort intéressante pour jauger l'implication de Seznec dans le marché de revente des stocks américains."
C'est vous dire le bruit qu'ont fait dans le Landerneau pro Seznec ces quelques lignes....
Il a eu du bol, Bernez Rouz, de ne pas être brûlé sur le bûcher en place de Plomodiern !
Mais Thierry, lui, il ne comprend pas pourquoi l'enquête s'est brusquement arrêtée....
Et il a pas tort.
Il ne comprend pas non plus pourquoi le Pierre Marc et ses deux potes n'ont pas été plus interrogés.
Oui, Thierry tempête. Il m'en ressort une amende payée par une commerçante de Ploéven (25 francs) pour défaut d'affichage des prix.
Alors il y aurait en quelque sorte deux lois ???
Peut-être pas, mais on peut se poser la question autrement (je reviens encore au film "Les Ripoux") : qu'est-ce que la police a négocié avec Seznec pour le laisser peinard ???
Le Pierre Marc, lui, en mars 1921, il est dans le Gers où est née sa femme. On n'est jamais trop prudent, hein (voir son R.M. ci-dessous).
2. Au bonheur des Cadillac
Vous noterez que le gars Seznec, en novembre 1919, il s'achète deux Cadillac pour 30.000 francs.
Et on voudrait nous faire croire que, dans le trafic proposé à Quémeneur, en mai 1923, la Cadillac (une seule, hein) est achetable (pour être revendue aux mecs qui ont le couteau entre les dents) à 30.000 francs pièce. Voitures qui, elles-mêmes, auront été achetées à des jobards, à travers toute la France, entre 15 et 20.000 francs pièce.
Rêve de pépètes... Avec les yeux de l'Oncle Picsou...
M'enfin, voyons, Pierrot, il est commerçant...
Il suit les prix. Il connaît les marges.
Comment peut-il croire à une telle fable ???
Nouvelle tempête de Thierry :
"Comment pouvait-il espérer toucher cette somme pour une seule voiture 3 ans 1/2 plus tard ?"
Et, rageur, il ajoute :
"Tallerie en 1919 vendait les Cadillac 13.000 francs pièce et touchait une commission de 1.000 francs."
Il est clair que c'est à Guillaume Seznec que l'on peut attribuer le trafic de Cadillac. Et l'idée du trafic de Cadillac en mai 1923.
Il avait suffisamment de potes sur Paris et dans le domaine des bagnoles pour monter une escroquerie de ce genre.
Ce qui me sidère c'est l'assurance du père Guillaume. Parce qu'il est loin d'être sot, hein ? Il serait même un brin rouleur de caisse (c'est le moment de le dire) Voir articles plus bas.
Question d'un djeune "Pourquoi cet abruti, convoqué à la Sûreté, emmène dans sa valise des docs compromettants ?"
C'est que les djeunes, on leur fait pas en ronds de jambes lors des conférences, hein ?
Maintenant, côté Pierre Quémeneur, peut-on penser à une arnaque, en faisant miroiter à Seznec une baraque dont il n'avait pas l'intention de se séparer ?
Mais qu'urgence il y avait et qu'il lui fallait à tout prix un papelard prouvant qu'il allait - sous peu - toucher 100.000 francs ?
Alors qu'il était bien placé pour savoir Seznec sans un rond ?
Se sont-ils mentis tous les deux.... ces deux grands amis.... Se sont-ils trompés mutuellement...
Mais le plus malin des deux avait bien caché le but de son voyage à Paris : la B.P.C. et le job de directeur avec en prime un poste chèrement acheté pour appartenir au Conseil d'Administration d'une banque bidon.
Lire mon article : "Arnaque B.P.C.vs arnaque Cadillac".
Liliane Langellier
P.S. Mes articles peuvent être - bien évidemment - recopiables par tous. A la seule condition (élémentaire, mon cher Watson...) de signaler leur auteur.
P.S. 2 Je rajoute tout en bas le document officiel de la perquisition de Ker Abri (29 juin 1923) où il n'est nullement question d'un quelconque document de la B.P.C.
Ainsi que l'article de L'Ouest-Eclair du 30 août 1924 où il est écrit :
"Le Banquier, rentré à Paris, écrivit plusieurs lettres à M. Quémeneur, mais celui-ci les laissa sans réponse."
On ne parle donc pas là d'avoir trouvé des lettres de la B.P.C., ou des copies de lettres, ou des brouillons de lettres, dans le bureau de Pierre Quémeneur, lors de la perquisition de Ker Abri.
Je reprends Bernez Rouz en page 23 (et le sujet est clos) :
"Sur les activités bancaires de Pierre Quémeneur, l'enquête révélera tardivement (en août 1924) des tractations entre Pierre Quéméneur et la Banque privée coloniale qui fait faillite pendant l'été 1924."
Sicut dixit.
Ker Abri. Perquisition du 29 juin 1923 dactylographiée. "Ni livres de commerce, ni copies de lettres..."
Un Breton envoyé au bagne pour un crime sans témoins, sans cadavre et sans aveux : la controversée affaire Seznec continue, près d'un siècle après les faits, de hanter et d'agiter les esprits...
http://www.letelegramme.fr/bretagne/seznec-le-proces-sans-fin-03-08-2015-10726906.php
Aujourd'hui, ne ratez pas l'article d'Hervé Chambonnière dans Le Télégramme....
Bel été à tous... voire plus à certains....