Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
9 Juin 2015
Je ne suis ni pour ni contre Seznec. Comment pourrais-je honnêtement prendre parti puisque je n’ai pas eu le dossier complet entre les mains et que ceux à qui la chose est arrivée ne se sont pas tous arrêtés aux mêmes conclusions.
Ce sur quoi, je pense, on pourrait se mettre d’accord, c’est sur le point suivant : comme il était presque fatal, dans une affaire tentaculaire comme celle-là et dont on ne soupçonnait pas, au temps du procès, tous les prolongements (la politique elle-même n’a pas été absolument étrangère au procès), un certain nombre de témoins, dont la déposition eût pu influencer le jury dans un sens ou dans l’autre, n’ont pas été interrogés ou, s’ils l’ont été, ils ne se sont décidés que plus tard à confesser certains détails. Au cours de ces dernières années et surtout de ces derniers mois, des faits nouveaux sont incontestablement venus à la lumière, quoique la Chancellerie, d’ailleurs très rétive par principe sur ce chapitre, ne les ait pas jusqu’ici jugés assez grave pour entraîner un supplément d’enquête.
J’ajouterai que les Seznecistes agiraient sans doute sagement dans l’intérêt de leur protégé, en demandant, pour le moment, sa grâce plutôt que la révision immédiate de l’affaire. Cette grâce, la Chancellerie l’aurait peut-être même déjà accordée, si l’on s’était contenté de lui présenter, avec une lucidité froide et impartiale, les arguments qui seraient de nature à faire planer un doute sur la culpabilité du condamné de Quimper. Les Seznecistes malheureusement se sont trop souvent montrés trop passionnés, trop imaginatifs.
« Les nerveux s’attirent » a dit Charcot, les imaginatifs aussi et, de plus, ils sont attirés irrésistiblement par certaines affaires comme l’affaire Seznec dont l’aspect est trouble et énigmatique. Ce qui me paraît surtout étrange, c’est que, jusqu’ici comme dans d’autres affaires célèbres, il ne se soit pas trouvé de gens qui se soient gratuitement accusés d’avoir commis le crime, quoiqu’il fût matériellement impossible qu’ils l’eussent commis. Pour le moment, on s’en tient – et ceci est peut-être plus lourd de conséquences – à accuser les autres. Et ceci me semble d’autant plus inquiétant que les chercheurs ne sont pas toujours de la même opinion et qu’ils prennent à partie des personnes différentes. Sous prétexte de sauver un innocent (but très louable), ils risquent de commettre une erreur judiciaire au moins aussi grave que celle qu’ils reprochent à la justice, puisqu’ils mettent en cause d’autres personnes ou certainement innocentes, ou dont la culpabilité ne pourrait être prouvée qu’après de longs débats.
Un de ceux qui, les premiers se sont occupés de la révision Seznec, M. Huzo, a durement expié devant les tribunaux l’accusation qu’en toute bonne foi il avait lancé contre des habitants de Lormaye, en Eure-et-Loir (il avait d’ailleurs suivi cette piste en complet accord avec Mme Seznec). Peut-être certains de ceux qui ont lu alors avec sympathie les articles de M. Huzo se seraient-ils méfier de son esprit critique, s’ils avaient connu la carrière littéraire , très honorable, je m’empresse de le dire, de notre confrère, mais qui ne le disposait nullement à s’improviser juge d’instruction.
Tout à fait par hasard, j’ai trouvé dans l’Almanach des Lettres Françaises et Etrangères pour 1924, cette magnifique encyclopédie qu’avait entreprise Léon Treich (Crès éditeur, 21 rue Hautefeuille, avril, mai, juin) une longue biographie de Charles Huzo, édifiée par des documents fournis par lui, et dont je détache quelques passages éclairant divers épisodes de sa vie imaginative :
« Charles Huzo resta muet et paralysé des deux jambes jusqu’à cinq ans… Le goût de l’étude lui vint brusquement du jour où il dut quitter l’école. Toutes ses nuits, il les passa dans la petite ferme où il travaillait, à lire les livres de tout genre qui pouvaient lui tomber sous la main. Apprit ainsi le latin. A vingt ans, il connaissait les classiques comme peu de jeunes hommes de lettres, plus favorisés par le sort, peuvent se flatter de les connaître.
Un jour, nous conte M. Huzo, le spectre de Victor Hugo m’apparut et m’entretint. Il revint les jours suivants pour m’inviter à embrasser la carrière des lettres. Je craignis d’être victime d’une hallucination ; mais la confirmation m’arriva par d’autres voies, par celles principalement d’amis qui ne se doutaient de rien. Je pris bientôt goût à ces entretiens. J.-J. Rousseau, de Maistre, E. Zola vinrent aussi. Enfin, je me décidais à écrire un livre. Il parut deux ans après en 1912 chez Bernard Grasset, sous un pseudonyme : c’est un roman historique : Les Criminels… Il ne valait que par l’imagination dont j’y faisais preuve ; le style était décousu et il y avait trop de digressions. Sur les conseils de Victor Hugo, je vins à Paris en 1913… La guerre arrivée, je m’engageai… Blessé à trois reprises : six blessures. La dernière : une balle reçue à Verdun… me traversa la tête de part en part et faillit me laisser paralysé… Depuis j’ai travaillé à quatre romans : Les surprises du cœur, Yolande, Les Eternelles emmurées, Hermaphrodite ».
C’est M. Huzo, je crois, qui, le premier, après une visite à Houdan avec Mme Seznec, en revint avec l’histoire d’un coup de téléphone mystérieux que Pierre Quéméneur aurait donné au Plat d’Etain pendant le repas.
D’après M. Maurice Privat (I) Seznec a déclaré depuis qu’il se souvenait en effet que Pierre Quéméneur avait été pendant le repas du Plat d’Etain, appelé au téléphone.
Après M. Huzo, est venu M. V. Hervé, que les circonstances ont conduit à signaler, comme magistrat, au Parquet, le fait nouveau le plus important de l’affaire Seznec : l’incident de Plourivo. L’information reçue alors par lui l’a aiguillé vers une piste nouvelle et par conséquent vers l’accusation d’un nouveau personnage qu’il ne cite pas, mais dont on devine le nom. Il a apporté des documents intéressants ; il les a liés entre eux de façon fort attachante ; mais, que l’esprit critique soit contrarié, chez lui, par des tendances imaginatives, voilà qui n’est pas niable. Ce sont même ces tendances imaginatives très prononcées qui ont fourni un prétexte facile à ses supérieurs quand, excédés par le zèle, à leur avis, désordonné qu’il avait déployé au cours de diverses enquêtes judiciaires, ils le firent enfermer dans un asile d’aliénés par une sorte de lettre de cachet. Fatigué, surmené – écrit lui-même M. Privat qui professe une grande admiration pour les talents de détective de l’ancien juge – Charles Victor Hervé avait besoin de repos et ses chefs auraient dû l’obliger à prendre un congé réparateur. Ce magistrat adorait mener des enquêtes. Il n’attendait pas le résultat d’une commission rogatoire et courait lui-même aux renseignements féru de son métier, ne se fiant qu’aux résultats acquis directement par lui. Il dormait mal, ce qui lui donnait une nervosité qu’un peu de calme, un bon régime auraient fait disparaître. On préféra ordonner son internement dans un asile d’aliénés. »
Un fait brutal demeure, c’est que, comme M. Huzo, M. Hervé possède cette faculté peut-être enviable de voir des êtres qui ne sont pas de chair et d’os. Dans son livre « Debout, magistrats de France ! » (éditions Hervé, place Renan, à Tréguier), Hervé relate une « vision » le mot est de lui qu’il eût de sainte Thérèse de Lisieux, au moment précisément de sa séquestration et, cette vision, il ne la traite pas même aujourd’hui en vision de fièvre puisque c’est depuis lors – dit-il – qu’il a la certitude d’un au-delà.
« Il faisait sombre – écrit-il - et mon réveil dut suivre de peu le moment où je m’étais endormi. C’est ici que se place pour moi une vision, oui, une vision. Je l’appelle ainsi parce que je ne trouve pas d’autre nom… Je suis sûr d’être réveillé. On pourra l’apprécier comme on voudra… Je ne demande pas à ceux qui liront d’en tirer les mêmes conclusions que moi, mais ayant promis de dire tout ce qui s’est passé, je dois conter ceci et j’ajoute qu’à l’époque, si j’étais un croyant, je n’étais guère pratiquant. Il n’en est plus de même. »
Donc, une religieuse, que tout d’abord il n’identifiait pas à sainte Thérèse, lui est apparue, « jeune femme souriante, au sourire si bon, si doux, si suppliant qu’il en est agaçant. » Et elle lui dit : « Il me faut construire une chapelle à cette place. »
Je me suis levé. J’ai marché dans la chambre de long en large. Je me suis tâté bras et jambes et je me disais : « Il n’y a pas de doute je suis pourtant réveillé, j’ai dû me tromper. » « Il faut me construire une chapelle ici. » Il ne manquait plus que cela… Mais pourquoi moi ? Pourquoi construirais-je ici une chapelle ? Moi qui ne vais pas à la messe, moi qui ne prie plus jamais. Moi qui mange de la viande quand je peux le vendredi. Me demander de construire une chapelle ? Mais c’est burlesque ! »
Et puis c’est une vision nouvelle : encore sainte Thérèse mais sous forme d’une gravure encadrée avec l’inscription : « Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus » ; et enfin, au même endroit, sur le mur « un disque éclairé s’agrandit de plus en plus et fait apparaître ces mots : « Le créateur a surtout soif d’amour. »… De l’autre côté, je lis : « Sur toutes les routes de l’univers » et rien de plus. Le cercle lumineux s’est évanoui en tons dégradants. »
Et voici maintenant que M. Maurice Privat, dans des textes plus énergiques encore que ceux de ses devanciers, vient de publier un livre : Seznec est innocent, où il cite des noms, où il accuse. M. Maurice Privat est-il aussi un imaginatif ? La question cette fois paraît plus complexe. Dans un prochain article, je dirai et les déclarations qu’il a bien voulu me faire et les réflexions que la lecture de son livre m’a inspirées.
Charles Chassé, 2 mai 1932.
In "La Dépêche de Brest" du lundi 2 mai 1932.
J'espère que vous aurez autant de plaisir à lire cet article que j'en ai eu à le retranscrire mot à mot tôt ce matin. Car il avait été aussi victime du crash sans sauvegarde.
Charles Chassé était un grand. Un très grand.
Comme en témoigne cet In Memoriam
Je suis complètement d'accord avec lui (et pour cause) en ce qui concerne La Piste de Lormaye. Il serait enfin grandement temps que les partisans de la piste de Traou-Nez acceptent de la considérer aussi comme une piste de diversion.
(ndlr Cet article avait déjà été publié sur mon précédent blog "La Piste de Lormaye au cours de l'été 2013)