Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 1.300 articles.
23 Juin 2015
"Dieu dit: Que la lumière soit ! Et la lumière fut."
Genèse 1, 3
J'esquisse juste cet article....
Car il est bientôt demain...
C'est la phrase que m'a balancé Thierry en cours de rédaction du précédent article sur Julien Legrand et l'affaire Cadiou qui m'a interpellée.
"Legrand devait connaître Besseyre des Horts"
Bon sang, mais c'est bien sûr....
Landerneau !
Et si...
Et si, quand Quémeneur va se confier à Julien Legrand, ce n'est pas de ventes de Cadillac dont il lui parle mais de la possibilité d'acheter des actions de la B.P.C. pour 100.000 francs afin de devenir membre de leur Conseil d'Administration.
Voire même responsable d'agence.
Et si, c'est exactement le même discours que Quémeneur tient à son banquier, Gabriel Saleun, pour obtenir cette somme dans les plus brefs délais.
Et si, cela arrive aux oreilles du notaire Pouliquen qui se dit que tout le patrimoine familial va y passer. S'il n'intervient pas dans les plus brefs délais pour freiner son beau-frère.
Et si, Guillaume Seznec sait où ils doivent aller porter cet argent le plus rapidement possible (150, avenue du Maine, normalement) et qu'il avoue, pendant le voyage, à Pierre Quémeneur qu'il n'a pas les dollars ou pas tous les dollars prévus pour faire le compte...avec la promesse de vente de Traou Nez...
Et si les quatre personnes notés en caractères gras plus haut s'étaient mises d'accord sur une seule et même version : celle d'un faux trafic de Cadillac pour les Soviets (important les Soviets pour faire peur, pensez à l'affiche du Bolchevik avec le couteau entre les dents) afin de ne pas mouiller les escrocs banquiers...
Car ces derniers étaient très protégés...
Seulement voilà quelque chose a coincé quelque part dans ce beau roman de gare.
Et plutôt que d'être bien assis à la tête d'une succursale bancaire, notre ami Pierrot s'est retrouvé l'homme le plus enterré de France !
La thèse de l'arnaque me paraît évidente.
Et je ne suis pas la seule. Mais :
1/ Pas d'arnaque à la Cadillac
Les meilleurs profits se sont réalisés sur les années 1920/1921/1922.
Guillaume Seznec n'a pas été le dernier à en profiter.
Je n'ai jamais lu quelque part que Pierre Quémeneur ait possédé une Cadillac. Hors celle du voyage, que Seznec lui a collée en gage pour obtenir 15.000 francs.
Tous les grands parcs de voitures américaines sont fermés (Paris, Brest, Romorantin...)
On pouvait encore à l'époque "faire peur" avec la Russie des Soviets, mais la Grande Bretagne, elle, avait déjà passé, le 16 mars 1921, un accord avec cette fameuse "Russie des Soviets". Une convention de commerce (trade agreement).
Accord qui permettait aux Soviets de se fournir librement en Cadillac. Même si leur volant était à droite.
Baker et Vilain nous ont démontré dans le chapitre 3 de leur livre, de la page 39 à la page 63, l'impossibilité matérielle d'un tel trafic.
En écrivant, page 45 : "La firme Cadillac a expédié 2095 automobiles en Europe pendant la totalité du conflit".
Et en page 50 : "En mai 1923, l'ensemble des stocks avait été liquidé. Les quelques centaines d'automobiles étaient éparpillées sur tout le territoire et même jusque dans les colonies. Il était complètement irréaliste d'espérer acheter des Cadillac par centaines pour les revendre en espérant réaliser un profit."
Le 15 avril 2008, Skeptikos écrit sur son blog :
"Ma question là voilà :
Qui, du plus haut au plus bas de l’échelle, dans le personnel politique a eu intérêt à couvrir un minable trafic de voitures à bout de souffle , destinées à personne et qui aurait eu lieu entre Janvier et Juin 1923 ?
J’insiste sur les trois données incontournables
- Voitures archi- usées (les deux exemplaires cités en font la preuve)
- Aucune clientèle
- A peine six mois pour effectuer les transactions (Je sais, les évènements ont dû brusquer la fin de la partie)
Pour vous aider un peu, je vous rappelle deux témoignages de deux amis de Quémeneur, son banquier et l’ancien maire de Landerneau : en gros et en moins moderne, ils lui ont dit « C’est quoi cette arnaque ? »"
Même si les réseaux sociaux n'existaient pas. Surtout parce qu'ils n'existaient pas, les Français se tenaient informés par la presse. Pierre Quémeneur, de par sa fonction de conseiller général, devait lire la presse locale, certes, mais aussi la presse nationale. Les informations avaient une durée de vie plus longue que nos 140 caractères sur Twitter. On se prêtait les journaux. On découpait les articles. On les classait. On les relisait. Toute une autre culture médiatique. Mais où les sujets faisaient dans la durée, pas dans le "fast read" actuel.
Et puis, dernier argument, quand vous voulez refiler un stock de marchandises à un vendeur potentiel, vous n'apportez pas en démonstration la plus tocarde !
Ou au pire vous veillez, quelques semaines auparavant, à la remettre sur pneus, à la requinquer, à lui donner une apparence d'être encore "vendable".
2/ Des trésoreries désastreuses
Nos deux larrons avaient un manque de liquidités qui n'est plus à prouver.
Seznec semblait le plus touché des deux, au vu de sa liste de créanciers.
Ils étaient en situation de fragilité. Il leur fallait "se refaire la cerise" et presto.
Une situation de fragilité - quel que soit le domaine concerné - amène ceux qui la subissent à une plus grande crédulité. Ce sont ces moments privilégiés où les sectes recrutent. Où certains organismes proposent de racheter tous les crédits pour diminuer les mensualités, etc...
Fragilité implique crédulité.
3/ Des escrocs à la pelle
Alors, là, oui, les réseaux sociaux auraient certainement évité à des milliers de gens de se faire arnaquer par des jobards qui venaient toquer à leurs portes pour leur proposer monts et merveilles.
Ils font sortir les bas de laine. Ils proposent d'échanger des valeurs sûres contre des actions de pays lointains, voire même inconnus. Tout est bon pour gruger le badeau. On parle d'intérêts mirifiques. De fortunes mirobolantes. Et l'on pique aux pauvres gens les économies de toute une vie.
Vacquié et Bessyere des Horts sont des orfèvres en la matière.
Vacquié a tellement récidivé qu'on manque de place pour aligner les coupures de presse relatant ses exploits.
Et c'est là qu'intervient Besseyre des Horts. Il a un nom. Il a (ou il a inventé)une position sociale (directeur de la Banque nationale de l'Ouest, à Brest, sise au 7 rue Amiral Linois et revendue à la B.P.C.). Il a certainement une allure et un charisme qui amènent le premier quidam à la confiance absolue.
Les pubeurs actuels n'ont rien inventé quand ils nous présentent des greluches sans un poil de graisse pour nous refiler une crème dite amincissante. D'autres avaient pensé l'arnaque bien avant eux !
4/ La petite annonce déclenchante
Tout le monde dit "Bollon". Legrand en tête of course.
Moi je dis : l'annonce de la B.PC. du 22 octobre 1922.
Lisez, relisez-la bien, elle est en bas de page.
Côté numérologie, je pratique pas, mais quand même il y a des rapprochements troublants : 22 octobre 1922 / 22 mai 1923.
Le Vacquié avait dû prévoir une date butoir pour que "l'affaire se fasse".
Oui, je sais, d'octobre à mai cela nous donne 7 mois. Six mois auraient été mieux. Mais ils peuvent avoir joué le genre "les six mois sont expirés mais nous vous accordons exceptionnellement un mois supplémentaire". Avec un coup de brosse à reluire en prime.
Parce que c'est une véritable panique à bord que nous fait vivre Pierre Quémeneur avec sa recherche de fric. Une véritable panique à bord.
Arnaque ? Dette ? Maître chanteur ?
C'est l'urgence de cette recherche de fric qui aurait dû attirer l'attention de nos fins limiers de la rue des Saussaies. L'urgence qui a amené Pierre Quémeneur à nous faire du grand tout et du grand n'importe quoi.
5/ La somme de 100.000 francs
C'est celle-là. Et pas une autre. Qui revient toujours sur le tapis.
Quel que soit l'interlocuteur : le Guillaume pour Traou-Nez, le banquier Saleun pour le prêt, le beau-frère notaire pour un remboursement anticipé.
Oui, oui, au début, ce n'est pas 60.000 francs que l'ami Pierrot demande au Pouliquen.
100.000 francs 1923, ça nous fait environ 100.000 euros actuels. Oui, 70 plaques à l'ancienne.
Faut dire les choses clairement.
On était loin du sketch "T'as pas 100 balles !"
Bernez Rouz nous l'écrit bien en sa page 63 :
"Quémeneur téléphone à son beau-frère rentré tôt à Pont-l'Abbé pour lui demander de l'argent. La somme est considérable et représente la quasi-totalité du dû de Pouliquen à Quémeneur soit 150 000 francs, somme que Pierre Quémeneur avait avancée à son beau-frère pour acheter l'étude notariale de Pont-l'Abbé."
Je parierai volontiers ma collection de stylos Montblanc que le chiffre écrit sur les premières promesses de vente de Plourivo (oui, celles qu'on a jamais vues et qu'on ne verra jamais) était bien : 100.000 francs.
Peu importait, dans l'urgence de Quémeneur, que Seznec les possède. Ou pas. Il lui fallait un papier légal, dûment signé avec tout le tralala, prouvant qu'il allait les avoir. Au cas où le banquier ou le beau-frère, ou les deux refuseraient de céder à l'urgence de son caprice.
Il assurait ainsi ses arrières, notre Pierrot.
6/ Besseyre des Horts à Landerneau
On a ramé comme des bêtes, hier, avec Thierry pour trouver un papier, un article, enfin quelque chose qui nous prouve les années où Julien Le Grand fut maire de Landerneau.
Grâce à quelques articles par-ci par-là, on en a déduit que c'était la période 1904/1908.
Oui, toujours au joli mois de mai les Municipales et de 4 ans en 4 ans.
Tiens, je vous les reproduis ci-dessous les articles, Thierry n'aura pas bossé pour rien.
Et Besseyre des Horts, il honorait quand exactement Landerneau de sa noble présence ?
Son R.M. (Registre Matricule) n'est guère causant à ce sujet.
Mais l'administration de l'armée notait les adresses qu'on voulait bien lui donner, hein ?
C'est mon matin de bonté, je vous en reproduis le zoom de ses adresses ci-dessous.
A tel point que, dans l'article sur sa noble personne, Thierry nous écrit :
"Le trou dans ses adresses entre 1920 et 1923, c'est sa période Landerneau et Saint-Marc..."
Et voilà... CQFD...
Sûr que le Vacquié, il savait ce qu'il faisait en envoyant Jean Besseyre des Horts pécher le nigaud breton en eaux peu profondes, pour sûr !
Le flou est très mode dans l'affaire Seznec.
Le flou des dates, surtout....
Mais le flou des gens, aussi...
7/ Le choeur des vierges
J'aime pas trop les versions béton répétées ad nauseam.
Et pourtant si vous lisez bien partout, notre quatuor de mélomanes, Legrand, Saleun, Seznec et Pouliquen, nous pousse la même chansonnette.
Pas une seule fausse note dans le répertoire : Cadillac + Soviets + Gherdi.
Comme j'appartiens à une chorale, je sais qu'il faut beaucoup répéter pour éviter les fausses notes...
Donc, ils ont dû beaucoup répéter.
Ensemble. Ou séparés. Alors, ça, je n'en sais rien du tout.
Ce que je sais par contre, c'est que si tu vires du répertoire de ces messieurs le trafic des Cadillac et le méchant Bolchevik au couteau entre les dents, il faut penser fissa à une autre mélodie, et à une mélodie que notre quatuor ne s'est pas risqué à chanter en public.
Et la B.P.C. qui était là.
Et qu'on ne la regardait même pas.
Et que le gars Vacquié il s'énervait dans son grand bureau vide de l'avenue du Maine parce que le pigeon était long à rôtir.
Et que ce pauve Quémeneur, tout essoufflé; cherchait à trouver fissa ses 100.000 francs.
Parce que les mots "Conseil d'Administration", "Directeur de Banque", ça fait rêver, même dans la chaumière luxueuse d'un conseiller général.
Et que les rêves parfois...
Liliane Langellier
P.S. Et pendant ce temps-là, Skeptikos nous fait "un petit saut au Havre"...
L'affaire Seznec ne rend pas fou.
Elle oblige juste à penser différemment.
Et à se remettre en cause perpétuellement.
Ce qui est le moteur du progrès.
Par contre, elle peut rameuter des faiblards du ciboulot.
Et hier soir, mon petit dernier a encore sévi dans sa série "Giries 2, le retour"...
Besseyre des Horts à Landerneau in DPB du 3/8/1922. Et le tir aux pigeons aussi, il le pratiquait....
La B.P.C. à Pont-l'Abbé in Le Courrier du Finistère du 5 avril 1924. Donc, connue par notre notaire...