Le blog de Liliane Langellier. Premier blog sur l'affaire Seznec. Plus de 850 articles.
14 Avril 2018
Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.
Albert Londres
Il nous l'avait promis...
Il l'a fait...
Alain, qui est plutôt habitué à les ramasser, vient de rendre sa copie.
Il était tout neuf sur la primo enquête de Me Pierre Pouliquen.
C'est bon un oeil neuf.
Et ça nous fait tous progresser.
Allons-y...
Ecoutons-le...
Remarques sur la "primo-enquête" de Jean Pouliquen
Bernez Rouz (pp. 95-111) reproduit un texte (''sept feuillets d'une écriture fine et serrée'', qui ''semble avoir été écrit à l'automne 1923'', et qui "[lui] a été confié par le successeur de Me Pouliquen".
Il est d'abord intéressant de se demander pourquoi, au juste, Me Pouliquen a éprouvé le besoin relater par écrit, et en grand détail, ses démarches et ses soupçons.
Car il avait fait tout ce qui semblait adéquat dans la situation : se tenir en contact avec son beau-frère Louis et sa belle-soeur Jenny, alerter la Brigade mobile de Rennes, se renseigner auprès de Seznec, aller à Paris, être mis en relation avec le commissaire Vidal, etc.
Or ce document aurait dormi dans un fond de tiroir entre l'automne 1923 et le moment où B. Rouz a entrepris son enquête. Il est étonnant que ni Jean Pouliquen (décédé d'un cancer en 1943), ni sa famille n'aient éprouvé le besoin de le conserver en un lieu moins professionnel.
La motivation et l'histoire même de cet écrit semblent donc un peu problématiques.
1. Histoires d'adresses
Pour entrer dans plus de détail, on trouve la mention du garage Hodey, "rue d'Orfeuil". (Rouz, p. 101). Si c'est Guillaume Seznec qui lui a fourni l'adresse du garage, comment a-t-il pu donner le nom de la rue, alors qu'il était ce fameux soir recru de fatigue ? Sauf, bien sûr, si Seznec avait vérifié ce nom de rue lors d'un second déplacement... On peut certes objecter que, la ''reconstitution à Dreux et à Houdan'' ayant eu lieu le 29 juin, Me Pouliquen a intégré dans sa ''restitution'' des propos de Seznec un détail qu'il avait pu apprendre ultérieurement par la presse.
Voici à présent un problème posé par une autre adresse, celle de la Chambre de commerce américaine, rue "Toutbout". La première mention (Rouz, p. 103) semble , là encore, provenir de ce que Guillaume Seznec aurait dit à Pouliquen. Mais la même erreur se retrouve (Rouz, p. 106), lorsque le même Pouliquen relate sa visite à le susdite Chambre de commerce : "(...) nous prîmes ensuite la direction de la rue Toutbout".
L'honorable notaire de Pont l'Abbé connaît donc l'adresse exacte d'un garage où il ne s'est jamais rendu, mais se trompe sur celle d'un organisme parisien auprès duquel il s'est, en personne, renseigné.
2. Histoires de dates
"Nous arrivâmes à Rennes, Louis Quemeneur, Seznec et moi le dimanche soir 10 juin et après avoir retenu nos chambres à l'Hôtel parisien (...) où mon frère et Seznec étaient descendus quinze jours auparavant ..." (Rouz, p. 104)
Quinze jours auparavant, c'est le samedi 26 mai... Dans la version "canonique", c'est évidemment dans la nuit du jeudi 24 au vendredi 25...
Mais il y a encore un malheur :
Rouz (note 178, p. 104) cite la main courante de la brigade mobile de Rennes, signée de l'inspecteur Fabrega : Pouliquen évoque "... un membre de notre famille parti à Paris pour affaires depuis une vingtaine de jours".
Ce qui nous ramène... au 21 mai... Or, le 21 mai (Rouz, p. 96), Pouliquen, à 20h30, est (censé être) à table avec Quemeneur, à Landerneau...
3. Histoire de dates (2)
(Rouz, p. 98) : '' Le mardi 29 mai j'assiste à une noce à Landerneau, et ma belle-soeur me fait savoir que mon beau-frère était parti à Paris (…) mais elle me fit savoir que mon beau-frère (…) ferait même son possible pour assister à la noce ; que cependant il ne fallait pas ss'inquiéter s'il n'était pas arrivé ce jour-là.''
Nous avons ici un problème qui n'est peut-être que grammatical. On comprend mal, en effet, comment Jeanne/Jenny Quemeneur a pu, pendant la noce (?) ''faire savoir'' à Pouliquen que Pierre, qui était évidemment absent (et ce quelque soient les hypothèses sur la date et le lieu de son décès) et en même temps qu'il ''ferait son possible pour assister à la noce''.
Passons sur ''ma femme étant rentrée à Landerneau le samedi soir de juin''. Ou, plutôt, passons sur ''rentrée à Landerneau'', alors que le couple semble quand même habiter Pont l'Abbé (86 kilomètres). La mention du ''soir de juin'' demeure étonnante, sauf à considérer que Pouliquen se réfère au samedi 2 juin, puiqu'il ''enchaîne'' sur son télégramme envoyé le lundi 4 juin à la Société Générale pour se renseigner sur le sort de son chèque. Et c'est à partir du 30-31 mai et/ou des 1er-2 juin, que Pouliquen, qui (Rouz, 99) ''ne s'inquiétait pas outre mesure'', entame des démarches, la première étant de consulter la Société Générale à Paris pour s'inquiéter... de son chèque de 60000 francs. Dès lors, il est ''de plus en plus inquiet'', puis ''toujours plus inquiet'' (Rouz, ib.), tandis que Jeanne/Jenny ''pressent un malheur''. Et lorsque cette même Jeanne/Jenny lui rend compte de sa visite à Morlaix il ''ne peu[t] s'empêcher de [s]'écrier qu'il y avait eu un malheur et que Seznec n'était pas étranger''. Comment, donc, Pouliquen, qui ''ne s'inquiète pas'' en dépit de l'absence de son beau-frère à la noce du 29 mai, se met-il, en l'espace de deux ou trois jours, à croire à un ''malheur'', jusqu'à parler de ''catastrophe'' le 10 juin à l'inspecteur Fabrega ?
3. Histoires de lieux
Puis, c'est l'accélération : vendredi 8 juin, Pouliquen '' ne [peut tenir plus longtemps'' et décide d'aller voir Seznec le samedi 9, et, dès le lendemain, d'aller, en sa compagnie, à la Brigade mobile de Rennes. Assez curieusement, ce que Seznec aurait dit, dès le début, à Pouliquen, ''colle'' parfaitement avec la défense ultérieure : ''ils résolurent de revenir à Dreux, où mon beau-frère prit le dernier train pour Paris'' (Rouz, 102). Revenir, donc, de Houdan, où ils avaient dîné au Plat d'Étain. Et, dans la relation que Pouliquen donne de sa conversation avec Seznec, il est encore deux fois question de Dreux : ''après avoir déposé M. Quemeneur à la gare de Dreux'' et ''une auto incapable de fournir le trajet de Dreux à Paris''. Donc, le 9 juin, Seznec aurait bien parlé à Pouliquen de Dreux, d'où il était encore possible (?) de prendre un train pour Paris, (plaidoirie de Me Philippe Lamour), ou de retourner à Paris en changeant au Mans (hypothèse de Denis Seznec, citée par Langlois). Mais, le 26, avec Vidal, il confond Dreux et Houdan, ce qui entraînera la série d'interrogatoires et de versions contradictoires des employés des deux gares. Trois hypothèses se présentent alors :
1/ Pouliquen évoque Dreux parce que, lorsqu'il écrit, Dreux est devenu, quand même, le lieu ''officiel'' de séparation des deux voyageurs, et il ''simplifie'' un peu les propos bien plus confus qui ont pu lui être tenus par Seznec, que ce dernier répétera à Vidal le 26.
2/ Seznec dit la vérité à Pouliquen, mais, devant Vidal, qui n'est pas le même interlocuteur en dépit de l'aspect un peu inquisitorial que l'on peut supposer à Pouliquen. Il fera semblant de confondre devant Vidal. Car le but du second voyage (hypothèse de Liliane Langellier, fondée sur le témoignage de ''Petit'' Guillaume, via ses fils Jean-Yves et Gabriel) aurait justement été de brouiller et les dates et les lieux.
3/ On citera pour mémoire cette dernière hypothèse : même si Seznec n'était pas très précis dans ses réponses à Pouliquen, ce dernier connaissait la vérité (séparation à Dreux), parce qu'il était complice d'on ne sait quelle machination...
Alain Delame
Bien sûr, que tout cela apporte de l'eau à mon moulin...
Puisque je ne cesse de dire et de répéter que Jean Pouliquen a mené l'enquête.
Et qu'il l'a menée d'une main de maître.
Toutes réflexions, pour faire avancer le sujet, sont les bienvenues.
Alors...
Alors ne vous en privez pas !
Liliane Langellier
P.S. Même de nuit, les gares de Dreux et de Houdan ne se ressemblent pas du tout !
P.S. 2 Sur son blog, Marc du Ryez nous décortique la famille du gars Ackerman(n) :
Et, grâce à lui, on avance pas à pas dans la connaissance de cet énigmatique personnage !